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Et, malgré tout, l'abbé Dedouvres a raison; il aura eu le mérite incontestable d'évoquer et de reconstituer la figure du Père Joseph polémiste.

Dès 1624, le capucin rédigeait son Discours sur l'État des princes chrétiens (Mercure, X, 461). Laissons toutes les preuves littéraires que l'abbé Dedouvres en donne : il en est une qui suffit, parce qu'elle est autrement solide. C'est l'identité de ce pamphlet avec le Mémoire présenté au roi par le Père Joseph, retrouvé et publié par M. Fagniez, II, 467-480. En 1624, second pamphlet, sur l'Occurence des affaires présentes (Mercure, XI, 67); l'identité de cette œuvre avec une Remontrance au roi sur les affaires de la Valteline, que l'abbé Dedouvres attribue très justement au Père Joseph et par d'excellentes raisons, me paraît concluante. En 1625, le capucin a publié dans le Mercure un Discours sur les affaires de la Valteline, que M. Geley a eu tort d'attribuer à Fancan (Mercure, XI, 125). Son erreur s'explique par le fait qu'il a cherché entre les écrits de Fancan et celui-ci des rapports de style. L'abbé Dedouvres, qui critique justement M. Geley, mériterait le même reproche s'il n'avait à la fin, et comme surcroît, appuyé sa démonstration sur une preuve plus solide, l'identité de ce discours avec un Manifeste du Père Joseph contre les Espagnols de 1635, cité par M. Fagniez (II, 265), et qui est notoirement son œuvre.

C'est ainsi que l'abbé, presque sans s'en douter, a donné la preuve qu'il faut encore attribuer au Père Joseph un Advis sur l'état présent des affaires d'Allemagne (Mercure, XII, 731), faussement attribué par M. Geley encore à Fancan. C'est l'identité de jugements que l'auteur de l'Advis sur la politique espagnole avec ceux que le biographe autorisé du Père Joseph Lepré-Balain lui attribuent.

Et, de même, Lepré-Balain nous a conservé du Père Joseph un fragment (V, chap. vi) du Discours des alliances avec les hérétiques, si semblable aux Vindiciae theologiae iberopoliticae (Mercure, XI, 1099), attribué jusqu'ici à Jean Goulu, que l'abbé Dedouvres a parfaitement raison de le restituer au Père Joseph.

Il faut aussi lui rendre le Catholique d'état, œuvre prétendue de Jérémie Ferrier ou de Jean Sermond. Mais l'abbé Dedouvres a, selon moi, négligé l'argument décisif. Il l'a mis seulement en note (p. 304): « Quelquefois, dit le libelle, le zèle des plus saints est trop chaud. Saint Pierre met la main à l'épée pour sauver son maître, et n'y a Père capucin qui ne l'eût fait et de très bon cœur. » A quoi bon tant d'arguments tirés du style, et très douteux, à côté de cette marque d'auteur presque inconsciente et si certaine ?

Lorsque dans des libelles et écrits politiques on peut retrouver l'homme et le politique, cela ne vaut-il pas mieux, et n'est-ce pas plus logique que d'y rechercher l'écrivain? Ainsi me paraît s'établir solidement la part que le Père Joseph a prise, non seulement en 1635, mais depuis l'avènement de Richelieu, dans le Mercure, à la défense devant l'opinion publique, à la justification de la diplomatie du cardinal; apôtre

et polémiste politique, voilà deux aspects bien différents du capucin qu'on nous révèle à la fois. Et, à mon sens, il serait bien difficile de les concilier, et il le faut pourtant, puisqu'ils sont également unis, si l'on n'admettait pas que de très bonne heure le Père Joseph ait subordonné ses rêves au succès des entreprises de Richelieu au point de paraître, non seulement dans la diplomatie, mais dans la presse, son agent.

Faut-il aller jusqu'à considérer avec l'abbé Dedouvres le confident de Richelieu comme le directeur du Mercure français? La seule preuve critique que l'auteur de cette thèse fournisse, c'est qu'en 1638, année de la mort du Père Joseph, le tome XXI du Mercure a paru chez un autre imprimeur que les vingt premiers. Si l'argument était décisif, pourquoi le tome X avec lequel aurait commencé la direction du Père Joseph et les suivants auraient-ils été publiés par le même imprimeur que les neuf précédents? Je ne suis pas convaincu par toute la série des raisons littéraires qu'apporte l'auteur de cette thèse. Entre le tome X et le tome XXI, le Mercure français contient des récits de missionnaires, et visiblement de capucins, où l'on peut retrouver la pensée et la plume du Père Joseph; il renferme des libelles politiques qu'on lui doit, pour une bonne part, attribuer. De ce que le Père Joseph a été fréquemment le collaborateur du Mercure, est-on en droit de conclure qu'il en a été le directeur de 1624 à 1639? Et sur quelle preuve l'abbé Dedouvres s'appuie-t-il pour reprocher à Barbier d'avoir attribué la direction du Mercure à Jean Richer? Je conclus avec lui, contre lui < ce que le Père Joseph a été pour la Gazette, qui paraissait sous le nom de Renaudot, un collaborateur, il a pu, il a dû l'être pour le Mercure, qui parut anonyme jusqu'au jour où il passa aux mains de Renaudot1. » Rien ne prouve qu'il ait été davantage le directeur des premiers journaux français, le vrai fondateur du journal en France. S'il tient à l'établir, l'abbé Dedouvres nous en doit d'autres preuves.

En les attendant, nous le remercierons de ce que son étude suggestive et sagace apporte encore de nouveau, d'inédit, aux belles études de M. Fagniez, auxquelles il semblait qu'on ne pût rien ajouter.

Émile BOURGEOIS.

Les étapes de l'histoire sociale de la Belgique (Bruxelles, Anvers, Gand, Liège), par Maurice HEINS (Extrait de la Revue de Belgique). Bruxelles, Weissenbruch, 1895. In-8°.

Ce livre est fait avec des ouvrages de seconde main. Il ne contient aucun texte nouveau, aucun fait nouveau; on ajoutera qu'il ne contient aucune idée nouvelle. L'auteur s'attarde même à des hypothèses anciennes et qui sont à présent abandonnées par exemple celle qui fait sortir

1. P. 528.

les lignages des « anciens hommes libres de la conquête. Ce sont des idées qui sonnent aujourd'hui à l'oreille de l'historien comme certaines redondances de l'époque romantique. M. Heins écrit : « Le pouvoir échevinal était devenu héréditaire. » Nous croyons bien qu'il l'était dès le début. M. Heins considère le xive siècle comme une époque où la société était «< assise et tranquille, » du moins dans des villes, en la comparant aux xire et xe siècles. Ce fut, au contraire, l'époque la plus terrible que l'histoire municipale ait connue, surtout en Flandre guerres, massacres, incendies et pillages. Les grandes villes d'Ypres et de Bruges furent ruinées à jamais. Nous pourrions multiplier ces obser

vations.

Dans l'ensemble, néanmoins, M. Heins a donné un résumé simple, clair et généralement exact des conclusions auxquelles les écrivains modernes sont parvenus, et qui, à ce titre, peut rendre des services.

Fr. F.-B.

Docteur G. LEGUÉ. Médecins et empoisonneurs au XVIIe siècle. Paris, 1896. In-12.

entre

Les Médecins au temps de Molière, les Apothicaires au XVIIe siècle, Médecins et grandes dames, les Poisons, la Messe noire, la Voisin, la Mort de Madame, tels sont les titres des chapitres qui composent le livre de M. Legué. L'auteur avait une compétence particulière pour traiter ces différents sujets par sa connaissance de la médecine, et spécialement des maladies nerveuses. Il a écrit un livre qui est destiné au grand public, plutôt qu'aux historiens, bien qu'il repose sur des recherches consciencieuses. Il a, néanmoins, omis de compléter les renseignements qu'il a trouvés dans les documents d'archives, autres les pièces du fameux procès des poisons, en grande partie publiées par François Ravaisson, dans ses Archives de la Bastille, — par les indications que fournissent sur les personnages en scène les mémoires et correspondances des contemporains. La partie la plus importante du livre de M. Legué est consacrée à la mort de Madame, la gracieuse Henriette, première femme du duc d'Orléans. M. Legué conclut à l'empoisonnement par le sublimé corrosif; même après la lecture de cette dissertation très intéressante, l'opinion de Littré, qui conclut à la mort naturelle, causée par un ulcère simple de l'estomac, conservera des partisans.

Fr. F.-B.

La Hongrie littéraire et scientifique, par Y. KONT, professeur au Collège Rollin, docteur de l'Université de Budapest. Paris, Leroux, 1896. In-18, vII-459 pages.

Cet ouvrage, plutôt littéraire qu'historique, publié à l'occasion de

l'exposition millénaire hongroise, mérite cependant d'être mentionné ici, pour deux raisons.

D'abord, il renferme un exposé de la littérature historique en langue magyare ou latine, qui résume et complète, en conduisant le lecteur jusqu'au moment même où nous sommes, les tableaux présentés dans ce recueil-ci, par nous en 1876, par MM. Marczali et Lederer en 1887. Il est intéressant, par exemple, d'apprendre que l'Académie hongroise prépare, en l'honneur de la solennité actuelle, des éditions définitives de toutes les sources orientales, grecques et occidentales contemporaines de la prise de possession du pays et qui mentionnent ce fait. Déjà M. Geiza Kuun a donné les sources orientales (1er volume, 1893); M. Vari donnera les sources grecques et M. Marczali les sources occidentales. M. Kont nous renseigne aussi sur les travaux les plus récents de MM. Fraknoi (Mathias Corvin) et Pauler (les Arpard), etc., etc.

Ensuite, le livre tout entier est un chapitre d'histoire, en ce sens que les fluctuations littéraires de la nation magyare, ses alternatives d'enthousiasme national, de chauvinisme ethnographique, d'oppression, de découragement, de renaissance littéraire traduisent exactement, d'une façon qu'on pourrait appeler adéquate, les va-et-vient de l'histoire politique. Nous n'avons pas à souhaiter la bienvenue à M. Kont, qui, depuis plusieurs années, agrégé de notre Université, enseigne l'histoire dans un collège de Paris, mais nous pouvons le féliciter et le remercier de son utile publication.

Ed. SAYOUS.

P. COQUELLE. Le royaume de Serbie. Paris, Vanier, 1894. 1 vol. in-18, 294 pages. Histoire du Monténégro et de la Bosnie.

Paris, Leroux, 1895. 1 vol. in-8°, v-490 pages.

Il y a des livres ennuyeux, mais savants; il en est qui exaspèrent le lecteur en heurtant ses manières de voir, mais dont le mérite est d'ailleurs incontestable; il y en a enfin qui ne laissent qu'une sensation de vide; en fermant le volume, on constate avec tristesse que les promesses du titre n'ont pas été tenues et que les pages qu'on a feuilletées ne contiennent rien. Tels sont, j'ai le regret de le dire, les deux ouvrages de M. Coquelle; écrits dans une langue prudhommesque, sans souci d'une méthode quelconque, ils révèlent une absence presque totale de recherches préliminaires; c'est superficiel, vague ou faux. On tolère ces à peu près dans des articles d'actualité bâclés par un reporter à court de copie, mais, quand on rencontre dans un ouvrage de dehors scientifiques une pareille légèreté et une pareille insuffisance, on ne peut s'empêcher de crier au scandale.

Le premier devoir d'un historien est de rapporter le plus exactement possible les noms des personnes et des lieux dont il parle; on se demande comment on peut, sans le faire exprès, arriver à l'incorrection que pré

sentent les livres de M. C. Je signalerai les erreurs que j'ai relevées dans les dix premières pages de l'Histoire du Monténégro qui me sont

tombées sous la main :

P. 262, la paix de Pressbourg; même erreur p. 269, mais, p. 267, Presbourg est écrit correctement. - P. 262, l'agent autrichien appelé le baron Cavalcado avait nom Baroni Cavalcabó. — P. 263, les habitants des bouches de Cattaro (bocche di Cattaro) ne s'appellent pas Bocchésiens, mais Bocquais, de l'italien Bocchesi; Bocchésiens supposerait Bocchesiani; rapprocher le nom de Ragusans donné par M. C. aux Ragusains et celui de Bosniens donné aux Bosniaques. - P. 264, Catvat; p. 267, Caftat. Le vieux Raguse (Ragusa vecchia) s'appelle en croate Cavtat (Civitas?). P. 264 et pass., le prince Vyazamski, cette famille écrit son nom Viazemski. - P. 265, île de Locroma, c'est Lacroma.

P. 266, M. C. semble ignorer que Novi est le nom croate de Castelnuovo. - P. 267, Ostro, dans les montagnes voisines de Cattaro. Ostro n'est pas une localité, mais un cap, punta d'Ostro; ce cap n'est pas dans les montagnes et n'est pas voisin de Cattaro. P. 267, Deleli brog, lisez Debeli brig. P. 267, Mokrin, lisez Mokrinje. P. 267, Vilalica, lisez Vitalina. - P. 268, le colonel italien qui capitula dans Curzola ne s'appelait pas Orsango, mais Orfengo. P. 268, Porto roso, lisez Porto rose.-P. 268, Eylau et Friedland sont en Prusse et non en Pologne, de même que Carlovitz n'est pas en Basse-Autriche (Roy. de Serbie, p. 173). - P. 269, Ostorg pour Ostrog; écrit correctement p. 275.

Ces inexactitudes sont généralement dues à l'inattention de l'auteur, qui ne persévère pas toujours dans ses erreurs. Scander-beg est appelé aussi Scanderberg (Roy. de Serbie, p. 145) et Scanderburg (Ibid., p. 146); Funfkirchen ou Pec, en Hongrie, se change en Funftkirchen (Ibid., p. 176) ou en Funftekirchen (Ibid., p. 154). Le nom de l'historien Andric devient Andrich, Andritch et Andricht.

Mes remarques se bornent aux noms dont j'ai pu relever la véritable forme; il en est d'autres qui sont défigurés au point de devenir absolument méconnaissables. J'ai consulté M. Leger, compétent entre tous sur ces matières, et nous n'avons pas pu arriver à deviner le sens de certains groupes de syllabes.

Mais tout ceci n'est qu'une affaire secondaire; ce qui est beaucoup plus sérieux, c'est que M. C. ne connaît pas le sujet qu'il a entrepris de traiter. Ses sources sont au moins insuffisantes; dans le volume sur la Serbie, il ne donne qu'une seule référence: p. 14, Figuer (probablement L. Figuier), les Races humaines, pas d'indication de page. De quoi s'est-il servi pour faire son livre? Il nous le laisse ignorer. Pour le Monténégro, il cite Andric, Medakovic et Milutinovic; Andric seul a écrit sur l'ensemble de l'histoire monténégrine, et son travail n'est pas estimé. Il ne manque pas cependant d'ouvrages qu'on pouvait utiliser; il y a, à ma connaissance, six histoires du Monténégro; en croate, Milakovic (Zara, 1856); Kallay écrit en hongrois, mais traduit en serbe, en allemand et, je crois, en russe; en italien, Kaznacic, qui a traduit Milakovic en le REV. HISTOR. LXII. 1er FASC. 10

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