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solide argument est d'ordre biologique, c'est que la jalousie et la monogamie sont des instincts très puissants dans un grand nombre d'espèces animales.

L'ouvrage est un répertoire commode des usages relatifs à l'union sexuelle (cour faite par l'homme, moyens d'attraction de la femme, nudité et pudeur, liberté du choix, idéal de beauté, interdiction d'unions entre parents, amour, capture, achat, dot, rites du mariage, monogamies, polygynie, durée du mariage).

Au point de vue historique, le principal intérêt de ce livre est dans la méthode. L'auteur déclare avoir suivi la méthode statistique » telle qu'elle a été définie par Tylor à l'Institut anthropologique. Il se propose de « traiter l'histoire de la civilisation humaine aussi scientifiquement que celle de la nature organique, c'est-à-dire de classer en groupes les phénomènes de la vie sociale et d'étudier l'origine et le développement de chaque groupe. La sociologie ainsi comprise travaille sur les matériaux fournis par l'historiographie descriptive » et l'ethnographie; l'observation des peuples sauvages actuels nous fait connaître les survivances des états sociaux antérieurs, mais ce procédé exige beaucoup de prudence, car on risque de se tromper sur le sens des formes symboliques. « Il nous faut d'abord découvrir les causes des phénomènes sociaux, puis les phénomènes eux-mêmes » (les causes ce sont les idées et les sentiments qui ont fait créer les usages). Pour les découvrir, on a besoin de comparer un grand nombre de faits; donc il faut tout d'abord réunir des matériaux considérables, » d'autant plus « que les récits ethnographiques ne sont pas toujours absolument dignes de foi... les récits d'un voyageur ne peuvent valoir les preuves de l'histoire. Et comme en beaucoup de cas le sociologiste ne peut distinguer l'erreur de la vérité, il doit être prêt à admettre l'inexactitude de quelques-uns des faits qu'il rapporte. La quantité doit suppléer à la qualité. »

Il n'est pas nécessaire d'insister sur ce qu'a d'inquiétant cette méthode de travail en gros. Employer des affirmations sans essayer d'en faire la critique, c'est tirer des conclusions de faits dont on ignore l'existence; avant de savoir dans quelles conditions se présente un document, on n'a aucun droit de présumer qu'il ait une valeur quelconque, puisque la probabilité des affirmations contenues dans un document peut varier jusqu'à zéro. Il arrive souvent, il est vrai, aux historiens de se servir de documents dont ils ont négligé de faire la critique, mais aucun n'aurait la naïveté d'ériger cette négligence en méthode. M. Westermarck lui-même, quand il a besoin de montrer que la théorie de ses adversaires ne repose sur aucune base solide, ne s'arrête pas à l'argument de la quantité des documents, il en examine la qualité : « Nombre des assertions faites sur les peuples vivant en promiscuité sont évidemment erronées. Les voyageurs sont souvent sujets à mal comprendre les mœurs des peuples qu'ils visitent » (p. 57). « Quant aux Bushmen, Lubbock n'indique pas la source où il a pris l'assertion que... » C'est bien là de la critique des sources. Mais pourquoi M. Westermarck

n'applique-t-il pas cette même critique à ses propres assertions, à ce pêle-mêle de récits de capitaines, de descriptions de missionnaires, de fantaisies d'explorateurs et de fragments de manuels de sociologie? « M. Letourneau raconte qu'à Basra, il était du devoir d'une femme surprise au bain de cacher son visage, inutile de cacher le reste de sa personne » (p. 96). A quelle source M. Letourneau a-t-il pris cette historiette?

Cette insuffisance de critique n'est après tout qu'un défaut superficiel ; il serait facile d'y remédier par une révision critique des matériaux, car ils sont en quantité surabondante; il est probable que ce travail laisserait encore debout un nombre suffisant des documents qui ont servi à la construction. En ce sens, la quantité permettrait d'arriver à la qualité, et peut-être est-ce là ce que l'auteur a voulu dire.

Une objection beaucoup plus grave peut être faite à la méthode de construction elle-même, la « méthode statistique. » Elle consiste essentiellement à détacher de l'ensemble des usages et des conceptions d'une société un détail choisi arbitrairement (le goût du tatouage, l'horreur de l'inceste, l'idéal de beauté), à faire le même travail sur un grand nombre de sociétés, à rapprocher ces détails et à conclure sur l'existence ou l'évolution de ce détail dans l'ensemble de l'humanité. Le procédé est séduisant, sans parler de l'effet de vertige respectueux produit sur le lecteur moyen par le défilé rapide de plusieurs centaines de noms de peuples sauvages inconnus, séduisant par une apparence de rigueur et par une vague ressemblance avec les procédés de la zoologie comparée. Mais le cas est différent. En zoologie on commence par étudier séparément chaque animal, l'analyser en ses organes, se rendre compte des fonctions de chaque organe et de l'agencement de l'ensemble; c'est seulement entre des organismes bien connus chacun individuellement qu'on essaye d'établir une comparaison. Lors même qu'on compare un à un des détails analogues dans des espèces d'organismes différents, on ne perd jamais de vue le rapport de ce détail à l'ensemble de l'organisme; on sait déjà quelle place ce détail tient dans l'ensemble, et quand on le compare à un autre détail d'un autre organisme c'est qu'on sait d'avance que tous deux jouent un rôle analogue dans l'ensemble.

Mais dans la méthode statistique on commence par rapprocher des usages tirés de sociétés différentes avant d'avoir étudié la place que chacun de ces usages tient dans sa société. Et c'est de ce rapprochement qu'on prétend conclure la place que ces usages tiennent dans l'humanité, par conséquent dans chacune des sociétés. Or, un usage n'est pas même un détail réel, concret, comme l'organe d'un animal qu'on peut analyser au sens réel, c'est-à-dire couper et disséquer; c'est une simple abstraction, un nom commun sous lequel nous réunissons des actes d'hommes différents, actes qui n'ont entre eux rien de commun, sauf une ressemblance abstraite que nous croyons apercevoir entre eux et qui peut-être existe seulement dans notre imagination. Avant de pouvoir conclure sur des faits aussi vagues et aussi arbitraires, il faudrait au

moins s'être assuré de la place qu'ils tiennent dans les ensembles réels, les seuls que nous connaissions : l'individu ou le groupe d'individus formant société. L'exogamie, la polyandrie sont des usages qui semblent assez précis, et pourtant ils peuvent se produire pour des motifs tout différents, tenir dans l'ensemble des actes de l'individu ou de la société une place si différente qu'on n'ait plus le droit de les comparer; plus qu'on ne peut comparer les naissances illégitimes d'une union de rencontre avec celles d'une union permanente non enregistrée à l'état civil.

pas

En toute matière psychologique et sociale (sociologique aussi bien qu'historique), la modestie commandée par l'état misérable de la science nous fait un devoir de procéder au moins avec autant de lenteur que la zoologie comparée : nous devons commencer par étudier séparément chaque société de façon à déterminer la place de chaque usage et de chaque conception dans l'ensemble. Quand nous connaîtrons plusieurs sociétés et plusieurs évolutions, il sera temps de les comparer.

Ch. SEIGNOBOS.

Science and Ethics, being a Series of six Lectures delivered under the auspices of the Natural Law Research League, by W. A. MACDONALD. Londres, Swan Sonnenschein, 1895. 1 vol., in-12, vr-182 pages.

Ce petit livre s'est évidemment trompé de porte en venant échouer sur le bureau de la Revue Historique. Il n'y est point question d'histoire; elle y serait plutôt mal vue. Et l'auteur ne se cache pas de la vouloir supprimer, en même temps que la théologie et la métaphysique (p. 178), à moins que l'on y veuille chercher la figure de l'avenir plutôt que la représentation du passé (p. 166). « En commençant d'étudier l'histoire, » nous dit-il, « j'avais cru d'abord que les faits historiques avaient une valeur réelle, et que chaque époque renfermait des événements qui marquaient son caractère. Mais, aussitôt que j'eus conscience que les forces économiques, d'où naissent les événements de l'histoire, sont identiques à toutes les époques, je compris que l'histoire ne se modifie point, qu'on ne saurait la diviser en ancienne et moderne: bref, que l'histoire des premiers âges est aussi bien l'histoire des derniers temps» (p. 109). M. Macdonald, au surplus, doit d'autant moins affectionner l'histoire qu'il professe un dédain superbe pour la civilisation. A de certains moments, on croirait entendre Thomas Vireloque : « L'homme est le chef-d'œuvre de la civilisation. Qui dit cela? L'homme.» « Or la civilisation, » continue M. M., « n'est que le culte excessif des abstractions; et, plus ces dernières se développent, plus l'état social devient

1. « L'homme de la civilisation n'est grand que parce qu'il se proclame tel » (Macdonald, p. 157).

déplorable» (p. 132). En général, quand les gens arrivent à ce degré d'antipathie pour les principes abstraits, on peut les attendre sans crainte au chapitre des vérités mathématiques. Le professeur Clifford, quand on le poussait dans ses derniers retranchements positivistes, n'hésitait pas à conclure qu'il n'est pas impossible d'imaginer quelque part, dans le temps ou dans l'espace, des triangles dont la somme d'angles égale plus ou moins celle de deux angles droits. M. M. ne recule pas davantage en pareille circonstance. « On dit que deux lignes parallèles, si on réussit à les tracer, ne se rencontreront jamais. Cela dépend. D'abord, il est impossible de trouver deux lignes vraiment parallèles, ou des lignes droites quelconques; et, si on les traçait le long des lignes de longitude, elles se croiseraient au pôle » (p. 183). D'où il résulte, sans doute, que, si l'on construisait autour du globe une voie ferrée passant par les pôles, les rails s'intervertiraient à l'extrême nord ou à l'extrême sud, et la locomotive ne pourrait jamais circuler que sur un hémisphère !

Nous n'insistons pas sur les idées de M. M., qui sont un fruit de culture anarchiste et proposent le retour à un certain état de nature, où l'on rendrait à la libre végétation des bois les terres malencontreusement défrichées, pour subvenir à notre alimentation mal comprise. Une philosophie qui aboutit à soutenir qu'au point des lois éternelles du Cosmos, on ne sait quel est le plus criminel du juge ou du condamné, du bourreau ou du patient, peut n'être pas plus excentrique qu'une autre; mais elle a besoin de nombreux éclaircissements pour ne point ressembler à une mystification. M. M. nous promet de développer sa thèse en différents opuscules qui la traiteront au point de vue du mariage, de l'éducation, etc. (p. 161). Nous ne saurions trop l'encourager à y introduire de toute façon plus de lumière, et surtout à ne plus nous offrir ses livres. Nos confrères de la Revue Philosophique sont là pour les recevoir. KERALLAIN.

A History of Slavery and Serfdom, by John Kelly INGRAM, L. L. D. Londres, Adam et Charles Black, 1895. 1 vol. in-12,

IX-285 pages.

Autour de la grande Encyclopaedia Britannica, il s'est créé toute une petite littérature formée d'articles refondus et développés en volumes par leurs auteurs. De ce nombre est l'Histoire de l'Esclavage et du Servage que M. Ingram présente aux lecteurs anglais jusqu'ici privés d'un travail substantiel et continu sur ce thème intéressant, depuis les origines jusqu'à nos jours. A quoi nous pouvons ajouter qu'en France nous ne sommes guère mieux partagés comme histoire générale du sujet. L'auteur peut se rendre, croyons-nous, la justice qu'il réclame d'être consciencieusement exact dans l'exposé des faits'. Mais il nous

1. M. I. reproduit en tête du volume la bibliographie des principaux

semble à quelques égards trop succinct pour offrir au lecteur ordinaire une idée précise de la question servile. Du moins relevons-nous à première vue deux lacunes, dont le vide se fait bientôt sentir même dans un ouvrage élémentaire, et sur lesquelles nous insistons ici dans l'espoir que, reprenant un jour son œuvre, M. Ingram lui donnera des proportions vraiment utiles.

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On oublie trop, en effet, et l'auteur tout au plus le rappelle par d'imperceptibles allusions (p. 141, 142, 278), que l'esclavage réel s'est perpétué en Occident presque jusqu'à notre siècle; et ce n'est pas le servage, dont on s'occupe exclusivement d'habitude après la chute de l'Empire romain, qui peut le couvrir de sa définition. Sans doute, l'esclavage ainsi perpétué n'avait qu'un rôle effacé dans l'économie de l'Europe chrétienne. Mais, justement, à cause même du progrès de l'esprit chrétien, il est instructif de noter cette persistance. L'Italie, sous Frédéric II, a vu se produire une véritable traite des blanches qu'on envoyait peupler les harems des Musulmans. Le pape, au besoin, autorisait la saisie des rebelles à son autorité et leur réduction en esclavage, ainsi qu'il advint aux gens de Florence en 1376'. Dans la catholique Espagne, les esclaves se comptaient par troupeaux; on les marquait d'un fer rouge comme le bétail2; et le père de sainte Thérèse se singu

ouvrages qu'il a consultés; il se flatte en même temps de n'en avoir guère omis qui soient d'importance. Cependant, en France, on en peut citer quelques autres à ne pas négliger. D'abord, le petit livre de M. Paul Allard sur les Esclaves chrétiens (1876), auquel la volumineuse réédition du travail classique de M. Wallon et les grandes publications de Fustel de Coulanges n'ont pas enlevé toute sa valeur. Puis le livre de M. Lemonnier sur la Condition privée des affranchis aux premiers siècles de l'Empire romain (1887) et le mémoire de M. Fournier, paru ici même, sur les Affranchissements du Ve au XIIIe siècle (1883). Ensuite, pour les temps modernes, les travaux de M. Anatole LeroyBeaulieu sur la Russie et les Russes, dont il vient d'être fait une traduction anglaise et qui marchent facilement de pair avec le livre de Sir Donald M. Wallace; on y doit joindre son volume sur le général Milutine. Finalement, les études de M. G. Cavaignac sur la Prusse, de M. Berlioux sur la Traite orientale (1870), et de M. de Grammont sur la régence d'Alger. A ce dernier propos, M. I. veut bien reconnaître que la France a rendu service à la civilisation en détruisant ce nid de corsaires; mais il désapprouve, ajoute-t-il, « l'occupation permanente du pays, malgré les promesses d'évacuation » (p. 276). En admettant qu'il y ait eu promesse, ce dont nous doutons, le reproche n'en serait pas moins amusant. L'auteur n'a-t-il jamais entendu parler d'une certaine Égypte, en ce moment occupée d'une façon que tout le monde croit permanente, malgré des promesses positives d'évacuation?

1. Pour le pays, en général, cf. Burckhardt, la Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. fr., II, 349-50. Comme le cas de l'esclavage est parfois contesté pour Venise, voir aussi Molmenti, Vie privée à Venise, trad. fr. (Venise, Ongania, 1882), p. 331-334; Lamansky, Secrets d'État de Venise. Saint-Pétersbourg, 1884, p. 502, 681-682.

2. Forneron, Histoire de Philippe II, t. I, p. 150-152.

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