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n'avait absorbé toutes les forces vives et toute l'attention du pays. On ne peut savoir quel eût été le résultat de la lutte, mais il est bon de remarquer qu'avant 1808 tous les hommes de progrès en Espagne étaient imbus des idées françaises, que les violences de Napoléon n'avaient pas encore discréditées; même parmi les fuéristes, beaucoup parlaient des libertés provinciales comme d'antiquailles légèrement surannées. Les Vascongades et la Navarre furent représentées aux cortès unitaires de Cadiz et sacrifièrent généreusement leurs libertés locales à la liberté espagnole.

L'absolutisme furieux de Ferdinand VII réveilla l'attention des fuéristes. Puisque l'Espagne retombait dans l'esclavage, les Vasco-Navarrais se retournèrent naturellement vers leurs anciennes lois, et, ne pouvant être libres comme Espagnols, ils le furent comme Basques et comme Navarrais.

Ils ont ainsi donné à l'Espagne une grande leçon et un grand exemple. Au lieu de leur imposer par la force ses lois médiocres et sa détestable administration, que la Castille se réforme ellemême, se fasse plus libre et plus prospère que les pays de fuero, et ceux-ci demanderont alors à se ranger sous ses lois.

G. DESDEVISES DU DEZERT.

MÉLANGES ET DOCUMENTS

ÉTUDE CRITIQUE

SUR LA

CONCESSION DE L'INDULGENCE DE LA PORTIONCULE

OU PARDON D'ASSISE.

Les historiens orthodoxes racontent longuement de quelle façon saint François obtint du saint-siège une faveur inouïe alors, celle d'une Indulgence plénière et absolue pour tous les péchés passés, accordée à ceux qui, confessés, communiés et absous, visiteraient, le 2 août de chaque année, la chapelle Sainte-Marie de la Portioncule, appelée aussi Notre-Dame-des-Anges.

Il y a trois ans, j'ai rejeté en bloc tout ce qui avait trait à ce fameux pardon, mais de nouvelles études entreprises à Florence, à Rome et surtout à Assise m'ont amené à la conviction que j'avais eu tort.

D'une part, ces recherches m'ont fait découvrir un certain nombre de documents nouveaux; d'autre part, elles m'ont montré que les documents traditionnels, qui, en passant par les mains de copistes ignorants, souvent indiscrets ou même sans scrupules, ont perdu une partie de leurs caractères originaux, sont cependant authentiques'. Ces conclusions négatives étaient du reste basées encore sur d'autres raisons, dont voici les principales 2 :

1. Tous ces documents, dont plusieurs, faute d'espace, ne peuvent trouver place ici, seront publiés prochainement dans les appendices d'une édition complètement remaniée de la vie de saint François.

2. Seules, les raisons de nier provenant de préoccupations historiques peuvent trouver place ici. La plupart des adversaires de la tradition franciscaine en appellent à des considérations théologiques que je n'ai pas même à indiquer. Ceux qui désireraient être au courant des attaques dirigées par les Réformateurs et par les Jansénistes contre l'Indulgence en trouveront un résumé dans les apologies de Grouwels, Historia critica sacrae indulgentiae, et de Chalippe, Vie de saint François, t. III, p. 190-327.

1° Le silence absolu gardé par tous les biographes primitifs de saint François sur cette indulgence;

20 L'invraisemblance qu'il y avait à représenter François, adversaire déclaré des privilèges, et chef d'un ordre tout récent, implorant du saint-siège une faveur exorbitante.

3o L'impression éminemment défavorable que l'on ressent à la lecture des élucubrations publiées vers la fin du XIVe siècle sur le pardon d'Assise. << Il n'est pas aisé de savoir où il faut s'arrêter dans cette progression croissante d'embellissements, » a fort bien dit un auteur peu suspect d'hétérodoxie, M. l'abbé Le Monnier (Histoire de saint François, t. I, p. 349, note, édit. in-8°. Paris, 1889).

Reprenant ces considérations l'une après l'autre, il est facile de voir que, si la dernière explique et excuse en partie des conclusions négatives, elle n'est pas une raison proprement dite: plus il est difficile de ne pas laisser échapper quelque humeur contre les excroissances continuelles d'une légende qui, durant des siècles, n'a cessé de se développer, plus le véritable historien doit faire effort pour réagir.

De ce qu'une maison a été si bien agrandie et agrémentée de dépendances inattendues qui masquent d'abord complètement l'ancienne construction, il ne faut pas conclure que celle-ci n'a jamais existé; il ne faut même pas désespérer trop vite de retrouver les lignes primitives. C'est à ces reconstitutions que tend toute la critique historique.

Or, pour la question qui nous occupe, on arrive, je crois, à un édifice solidement historique. Mais, pour en voir l'unité, l'ensemble et l'harmonie, il faut absolument faire abstraction de toutes les fioritures postérieures.

La deuxième raison n'existe plus aujourd'hui. Comme je le montrerai ailleurs, le succès prodigieux du mouvement franciscain, au moment de l'élection d'Honorius III, nous est attesté par des documents tout nouveaux d'une valeur et d'une authenticité incontestables.

Quant à l'horreur de saint François pour les privilèges, elle fut très réelle, mais cette indulgence n'est pas un privilège, c'est un acte d'amour du souverain pontife à l'égard des membres de l'Église. Ni la chapelle de la Portioncule ni les frères Mineurs ne devaient en tirer le plus mince profit.

A tous, saint François distribuait gratuitement les trésors de son cœur et ceux de l'Évangile; comment, lui simple et fervent catholique, n'aurait-il pas cherché à faire ouvrir gratuitement les trésors de l'Église? Pour apprécier et comprendre tout cela, il ne suffit pas de se mettre au point de vue des catholiques actuels dont la foi est

comme corrodée par le rationalisme ambiant, il faut revivre la foi entière et sereine de ces âges, où, en chantant le Credo unam sanctam et apostolicam ecclesiam, on avait la sensation de l'unité de l'Église et de la solidarité qui, à travers l'espace comme à travers le temps, unit à la terre l'Église triomphante du ciel et l'Église souffrante du purgatoire1.

Le savant d'aujourd'hui, qui voue sa vie à la recherche désintéressée des secrets de la nature, entend aux heures d'exaltation la voix confuse de milliers d'êtres qu'il ne connaît pas, qui peut-être ne balbutieront jamais son nom, mais dont il soulagera les souffrances et il se sent tout à la fois grandi et réconforté par cette pensée d'amour et de communion; de même alors le saint, le moine contemplatif, la recluse s'imposaient des pénitences et faisaient assaut de prières pour des pécheurs qu'ils ne connaissaient pas, pour des fautes dont ils ne soupçonnaient pas l'existence.

Il reste la première, et de beaucoup la plus importante des raisons, le silence des biographes.

Au premier abord, cette conspiration du silence de toute la première génération des historiens franciscains a quelque chose d'écrasant, et l'on est tenté de sourire à la vue des efforts maladroits que font pour l'expliquer des critiques qui se croient pieux et ne sont que crédules.

Je ne veux pas insister sur la faiblesse théorique de l'argumentum a silentio, je désire surtout proposer quelques vues qui s'appliquent tout spécialement à l'histoire de saint François.

Tout d'abord, il faut bien constater que les biographies de saint François sont loin de constituer autant de témoignages différents. Si vous faites un récit à cent personnes qui le répéteront, cela ne fait pas cent un témoignages, cela n'en fait qu'un.

Les écrivains franciscains se sont tous copiés les uns les autres, et il n'y a pas lieu de leur en vouloir, puisque le procédé était courant, admis, et a été pratiqué par les plus fameux annalistes de cette époque; mais, s'il n'y a pas lieu de les blâmer, il faut pourtant tenir compte de ces mœurs.

Peut-on parler par exemple ici du témoignage de saint Bonaventure? Je ne le crois pas, puisqu'il s'est borné à prendre chez ses prédécesseurs ce qui lui convenait. Son silence n'ajoute rien au leur, pas plus que le silence de tous ceux qui viendront après lui et le copieront n'augmente la valeur du sien.

1. On ne s'attend pas à trouver ici un exposé de la doctrine catholique des indulgences. Le P. Chalippe a fort bien résumé l'essentiel à ce sujet. Voy. ses éclaircissements dans la Vie de saint François d'Assise, t. III, p. 190-327.

En somme, nous n'avons que deux biographies proprement dites de saint François, celle de Thomas de Celano et celle des Trois Compagnons.

Peut-on trouver dans leur silence des motifs suffisants pour nier en toute sécurité la concession de l'Indulgence? Je ne le crois plus. Il faut encore mettre hors de cause les Trois Compagnons traditionnels, puisqu'il a été démontré ailleurs que nous ne possédons plus leur œuvre dans sa forme primitive.

Quant à Thomas de Celano, son silence peut s'expliquer par plusieurs bonnes raisons.

Tout d'abord, c'est s'exposer à ne rien comprendre à ces vies de saints que les juger du point de vue historique actuel. Les préoccupations des biographes sont aujourd'hui absolument différentes de ce qu'elles étaient alors; ce que nous désirons le plus savoir est précisément ce qu'on disait le moins. Voyez par exemple les Gesta d'Innocent III. Quoi de plus pauvre et de plus extérieur? Les plus grands actes du glorieux pontificat échappent à cet historiographe, mais il vous détaillera toutes les toitures d'églises réparées par les deniers du saint-père, tous les cadeaux dont il combla ses familiers.

Quoique les historiens franciscains se soient montrés plus dignes de leur tâche, ils n'en ont pas moins laissé dans l'ombre bien des traits qui, pour nous, seraient du plus grand intérêt.

Ils ne nous disent rien du voyage de François en Palestine, rien de sa mission en Espagne et en France, rien des martyrs du Maroc (16 janvier 1220), et cependant la fin de ces derniers était tout aussi glorieuse pour l'ordre des frères Mineurs, tout aussi consolante pour François que l'Indulgence de la Portioncule.

Saint Bonaventure, venant après Thomas de Celano et les Trois Compagnons pour faire une biographie qui devait se substituer à toutes les autres, non seulement n'ajoute rien d'important à ce qu'ont dit ses prédécesseurs, mais il se borne à s'approprier leurs récits, sans autre norme que la prudence; le but poursuivi n'est pas de faire revivre la physionomie de saint François, c'est d'éviter tout ce qui pourrait éveiller les préoccupations des frères, si bien qu'il arrive à écrire la vie de son héros, sans plus parler de la règle de 1221 que de toutes les épitres de saint François, et qu'il supprime soigneusement toute indication relative au testament, malgré les exhortations si pressantes du maître. Faire l'histoire de saint François sans parler de son testament, c'est comme si on voulait faire une vie de Jésus où l'on se tairait sur l'Eucharistie'. Peut-on raisonnablement sou

1. Ce silence a été remarqué et relevé par Grouwels, p. 259.

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