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Entre l'histoire de la concession de l'Indulgence, telle que nous la trouvons dans la lettre de Théobald et telle qu'elle est dans celle de Conrad, il y a un abime. Autant la première narration est simple, autant la seconde est non seulement développée et allongée, mais compliquée d'épisodes aussi merveilleux qu'invraisemblables.

Que la phrase de Théobald : Fuit sibi (Francisco) de nocte revelatum à Domino, soit remplacée par le long récit d'une apparition de Jésus, de la Vierge et d'un chœur d'anges à saint François, cela n'a rien d'étonnant; mais qu'après avoir raconté l'entrevue d'Honorius III et de François à Pérouse, on ajoute: In omnibus hiis beatus Franciscus adhuc diem determinatum non habebat nec a Deo nec a Papa, puis que l'on raccroche à cette phrase toute une série d'anecdotes nouvelles, et qui n'ont pas plus de vraisemblance psychologique que de garantie documentaire, voilà qui est fait pour éveiller bien des soupçons.

Tous les premiers documents, y compris la lettre de Théobald, impliquent que le pardon fut fixé en même temps que concédé. La phrase citée est évidemment la trouvaille trop habile de quelqu'un qui a cru souder à la tradition écrite la tradition orale'.

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par Honorius III, d'après Théobald; 3° une nouvelle apparition de Jésus à François, le miracle des roses et le voyage à Rome pour la fixation du jour de l'Indulgence; 4° la proclamation miraculeuse de l'Indulgence par les sept évêques. Malgré cette identité de plan, il est clair pour qui examine les deux textes que Barthélemy de Pise n'avait sous les yeux ni l'œuvre de Bartholi ni celle de l'évêque de Conrad, mais qu'il a copié directement, en se permettant parfois des gloses ou des coupures, la relation de Michel Bernardi, et qu'il en a distribué les fragments suivant les besoins de son plan. On peut en conclure que cette partie de l'œuvre de Barthélemy de Pise constitue une tentative parallèle à celle de Bartholi. Il est même fort possible que Bartholi lui en ait donné le plan de vive voix. L'attestation de Michel Bernardi, trop longue pour trouver place ici, sera publiée dans la prochaine édition de la Vie de saint François.

1. Dans le Speculum, 71 a, le miracle des roses est raconté par un certain Michel Bernardi comme ayant eu lieu avant la première démarche de François auprès d'Honorius III. Dans Bartholi (ms. 344, 8b; ms. BB, fol. 76 ss.), au contraire, ce récit est modifié de façon à servir de préface à la seconde démarche, celle qui aurait eu pour but de faire fixer le jour de l'Indulgence.

La narration de Michel Bernardi représente donc la tradition populaire telle qu'elle existait à côté du récit officiel de l'évêque Théobald. L'ouvrage de Bartholi nous la montre placée à la suite de celui-ci et se ressoudant à lui. Si Bartholi n'est pas lui-même l'auteur de la trouvaille, il a vécu du moins très près de lui et à un moment où toute cette tradition était singulièrement indécise et malléable, puisque, après avoir dit, fol. 6 b-7 a, ms. 344, que saint François à Pérouse dit au pape : Sancte pater, nuper ad honorem virginis matris christi reparavi vobis unam ecclesiam supplico sanctitati vestre quod ponas (!) ibi indulgentiam absque oblationibus in anniversario consecrationis

Ceux qui voudront étudier cette tradition orale, savoir comment saint François, après avoir obtenu très facilement l'Indulgence ellemême, ne songea pas à en faire fixer la date, comment il se jeta, en pleine nuit du mois de janvier, au milieu d'épines qui se chargèrent aussitôt de roses merveilleuses, comment il fut appelé à l'église qu'il trouva envahie par toute l'armée céleste conduite par le Christ, qui lui reprocha doucement de ne pas donner à sa mère les âmes qu'elle attendait de lui et l'avertit de faire fixer le jour de l'Indulgence, comment il partit le lendemain pour Rome, portant six des roses miraculeuses et accompagné de plusieurs frères qui avaient tout entendu, comment, le 2 août suivant, sept évêques, qui avaient reçu du pape l'ordre de proclamer l'Indulgence, montèrent en chaire, décidés à ne proclamer qu'une indulgence de dix ans, et comment une force invisible les força à répéter exactement ce qu'avait dit François les personnes qui désireront savoir tout cela n'auront qu'à recourir au livre de Bartholi ou à la lettre de Conrad'.

Les Bollandistes, sans se montrer aussi sévères pour cette surabondance de merveilleux que pour les récits des Fioretti, ont cependant fait ressortir combien toutes ces adjonctions de frère Bartholi et de l'évêque Conrad auraient dû être appuyées sur de solides autorités. Il est du reste à remarquer que le bréviaire romano-séraphique ne parle pas du miracle des roses, pas plus qu'il ne distingue deux démarches de saint François pour l'obtention de l'indulgence, l'une à Pérouse, l'autre à Rome3.

ecclesie, ce qui était en déterminer le jour, il ajoute au fol. 8 a une rubrique : Notandum quod dicetur inferius quod diem determinatum non habebat nec a domino nec a papa. Ces efforts d'harmonistique se manifestent naïvement dans ms. 344, 55 a; BB, 26 a : Exemplum lictere... a fr. Iohanne de camollia de Senis super materia concordantie hystorie indulgentie...

1. Il existe un original de celle-ci à Assise, pièce III du recueil XII des Inst. div. C'est un parchemin de 56 centimètres sur 78, qui se termine par Datum Assisii anno Domini M° CCC XXX• Vo III indictionis. Quoique le sceau en cire rouge, appendu par des lacs de chanvre violet, soit enfermé dans une boîte en fer-blanc, il est aujourd'hui fort endommagé; il a été jadis décrit par Octavius Spader. Voy. A. SS., oct., t. III, p. 881. Le texte de ce document a été donné par A. SS., loc. cit., p. 781 ss. Cf. Grouwels, 103-106; Spader, Dimostrazione, p. 62-121.

2. A. SS., Oct., II, p. 910-914.

3. Breviarum romano seraphicum, in-18. Romæ, 1858, p. 933; Die II Augusti, In consecrat. S. M. Anglorum, lectio IV-VI. Ces leçons sont très anciennes. Voy. Grouwels, p. 63-75; Cf. A. SS., loc. cit., p. 903 s. Il est sans doute inutile de rappeler ici que l'approbation des missels et des bréviaires par le saintsiège, tout en conférant aux yeux des catholiques orthodoxes une autorité

Quoi qu'il en soit, ce sont ces épisodes étranges qui ont longtemps compromis l'histoire de l'Indulgence devant la critique' et qui expliquent jusqu'à un certain point les attaques dont elle a été jadis l'objet. Aujourd'hui, ces controverses ne sont pas seulement oubliées, elles paraissent inexplicables, et je pense inutile d'en donner même un court résumé.

Nous avons vu qu'il suffit de s'adresser aux vrais témoins et de replacer la concession de l'Indulgence à sa véritable date pour que tout s'éclaire et s'explique. Le dialogue d'Honorius III et de saint François marque un moment unique dans les annales de l'Église, celui où le plus généreux des souverains pontifes, encore tout ému de l'onction suprême, se sentant puissant comme Dieu et humble comme un pauvre prêtre, voulut, dans un élan d'enthousiasme et d'amour, mettre la plénitude de sa puissance au service de l'apostolat franciscain. Moment bien court sans doute, car la voix des cardinaux allait rappeler le pontife à la réalité et lui faire sentir que, si saint Pierre en personne revenait s'asseoir sur le siège du Latran, il sentirait s'interposer entre Dieu et lui une force mystérieuse et inéluctable, celle des traditions de la curie romaine.

Paul SABATIER.

morale toute particulière aux histoires que renferment ces recueils, n'a jamais été présentée comme constituant une définition cathédrale.

1. Voy. par exemple Hase, Franz von Assisi, p. 6 ss.; éd. fr. Berthoud, p. 6 ss.

BULLETIN HISTORIQUE

FRANCE.

DOCUMENTS. La vie véritable du citoyen Rossignol, vainqueur de la Bastille et général en chef des armées de la République dans la guerre de Vendée, publiée par M. Victor BARRUCAND (Plon, in-12), se compose de divers fragments autobiographiques où l'auteur nous raconte son enfance, son apprentissage, les huit années qu'il passa au régiment de Royal-Roussillon-Infanterie, où il s'était engagé à l'âge de seize ans, la part qu'il prit à la prise de la Bastille et aux journées des 5 et 6 octobre, enfin son rôle dans la guerre de Vendée. Ces fragments sont suivis de quelques documents sur les rapports de Rossignol avec Babeuf, de correspondances officielles relatives à sa mise en route pour l'expédition d'Égypte et à son retour à Paris en congé de convalescence, d'un récit sur la déportation de Rossignol aux Seychelles et à Anjouan, où l'ex-général trouva la mort en 1802. Cet ensemble un peu disparate n'apporte pas beaucoup de lumières nouvelles sur l'histoire de la Révolution; ce que Rossignol nous conte sur la guerre de Vendée en 1793 est en réalité fort insignifiant, et l'on n'y trouvera rien, ou presque rien, qui permette de juger équitablement le rôle qu'il y a joué. On remarquera néanmoins que sa nomination comme général, bientôt comme général de division commandant à trois armées, si elle surprit bien des gens et sembla ridicule à plusieurs des représentants de la Convention envoyés en Vendée, n'étonne pas moins Rossignol lui-même; il se sentait inférieur au rôle difficile qu'on lui assignait et, chaque fois qu'il se trouvait en contradiction violente avec les autres généraux, il offrait, sincèrement je crois, d'abdiquer son pouvoir et de se battre sous les ordres de plus habiles que lui; mais on l'y maintint parce qu'il était un des << vainqueurs de la Bastille » les plus authentiques, un combattant du Dix août, un furieux démocrate; c'est un mauvais service qu'on lui rendit, car son ignorance lui valut bientôt d'être rappelé et même mis en prison. Les chapitres où il raconte ses années de régi

ment (1776-1786) sont parmi les plus intéressants du volume, parce qu'ils nous donnent une idée vivante des mœurs soldatesques à cette époque. L'ex-apprenti orfèvre n'y apprit rien, sinon l'exercice et l'escrime; d'ailleurs indiscipliné, chatouilleux sur le point d'honneur, toujours prêt à tirer le fer, ce qu'on appelle une mauvaise tête. Tel il fut dans la Révolution, où il se jeta dès le premier jour sans savoir pourquoi. Homme médiocre en somme, mais pour lequel l'histoire n'a peut-être pas été tout à fait juste; ce n'était qu'un comparse, et on l'a flétri comme s'il avait joué un premier rôle.

Le tome IV du Journal du maréchal de Castellane (Plon) est très particulièrement intéressant: il s'étend de la fin de 1847 aux premiers mois de 1853, c'est-à-dire qu'il comprend toute la période remplie par la chute de Louis-Philippe, la Révolution de février, le rétablissement de l'empire et le mariage de l'empereur; période de coups d'État frappés par le haut ou par le bas, d'anarchie et de césarisme. Castellane a subi tous les contre-coups de ces troubles: mis en non-activité puis à la retraite par le gouvernement provisoire, rappelé à l'armée par les ministres du prince président, nommé maréchal par l'empereur, il exhale dans son Journal son indignation ou son mépris pour les républicains, il se complaît à énumérer les mesures militaires qu'il prit à Lyon pour assurer l'ordre et préparer au prince président un chaleureux accueil. Pendant ces cinq années, quand tout changeait autour de lui, il resta ce qu'il avait toujours été, l'incarnation même de la discipline militaire. D'idées politiques, il n'en avait guère; il est tout simplement l'ennemi de la république et des républicains. Il y avait plus d'une manière d'être bon républicain même en 1848; Castellane ne connaît que « les rouges. » Pas plus de nuances que dans un éclair de sabre. C'est d'ailleurs ce qui faisait sa force, et c'est pourquoi, bien qu'on ne l'aimât guère, il fut si bien choyé par les hôtes de l'Élysée.

Les Notes et souvenirs recueillis et publiés par M. Denormandie' sont de valeur inégale. Le chapitre sur les journées de juin 1848 apprendront bien peu de choses nouvelles à l'historien. Au contraire, propos du siège de Paris en 1870-71, on trouvera dans ce volume une grande quantité de faits précis sur les prodigieux efforts accom

à

1. Une première édition avait paru en 1892, mais à très petit nombre, et n'avait pas été mise dans le commerce. Pour la présente édition (Chailley), l'auteur a écrit un nouveau chapitre (les Journées de juin 1848), remanié plus ou moins les autres et ajouté sous forme de conclusion quelques réflexions sur l'état actuel de notre société politique.

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