Quoi qu'il en soit, ce sont ces épisodes étranges qui ont longtemps compromis l'histoire de l'Indulgence devant la critique' et qui expliquent jusqu'à un certain point les attaques dont elle a été jadis l'objet. Aujourd'hui, ces controverses ne sont pas seulement oubliées, elles paraissent inexplicables, et je pense inutile d'en donner même un court résumé. Nous avons vu qu'il suffit de s'adresser aux vrais témoins et de replacer la concession de l'Indulgence à sa véritable date pour que tout s'éclaire et s'explique. Le dialogue d'Honorius III et de saint François marque un moment unique dans les annales de l'Église, celui où le plus généreux des souverains pontifes, encore tout ému de l'onction suprême, se sentant puissant comme Dieu et humble comme un pauvre prêtre, voulut, dans un élan d'enthousiasme et d'amour, mettre la plénitude de sa puissance au service de l'apostolat franciscain. Moment bien court sans doute, car la voix des cardinaux allait rappeler le pontife à la réalité et lui faire sentir que, si saint Pierre en personne revenait s'asseoir sur le siège du Latran, il sentirait s'interposer entre Dieu et lui une force mystérieuse et inéluctable, celle des traditions de la curie romaine. Paul SABATIER. morale toute particulière aux histoires que renferment ces recueils, n'a jamais été présentée comme constituant une définition cathédrale. 1. Voy. par exemple Hase, Franz von Assisi, p. 6 ss.; éd. fr. Berthoud, p. 6 ss. BULLETIN HISTORIQUE FRANCE. DOCUMENTS. - La vie véritable du citoyen Rossignol, vainqueur de la Bastille et général en chef des armées de la République dans la guerre de Vendée, publiée par M. Victor BARRUCAND (Plon, in-12), se compose de divers fragments autobiographiques où l'auteur nous raconte son enfance, son apprentissage, les huit années qu'il passa au régiment de Royal-Roussillon-Infanterie, où il s'était engagé à l'âge de seize ans, la part qu'il prit à la prise de la Bastille et aux journées des 5 et 6 octobre, enfin son rôle dans la guerre de Vendée. Ces fragments sont suivis de quelques documents sur les rapports de Rossignol avec Babeuf, de correspondances officielles relatives à sa mise en route pour l'expédition d'Égypte et à son retour à Paris en congé de convalescence, d'un récit sur la déportation de Rossignol aux Seychelles et à Anjouan, où l'ex-général trouva la mort en 1802. Cet ensemble un peu disparate n'apporte pas beaucoup de lumières nouvelles sur l'histoire de la Révolution; ce que Rossignol nous conte sur la guerre de Vendée en 1793 est en réalité fort insignifiant, et l'on n'y trouvera rien, ou presque rien, qui permette de juger équitablement le rôle qu'il y a joué. On remarquera néanmoins que sa nomination comme général, bientôt comme général de division commandant à trois armées, si elle surprit bien des gens et sembla ridicule à plusieurs des représentants de la Convention envoyés en Vendée, n'étonne pas moins Rossignol lui-même; il se sentait inférieur au rôle difficile qu'on lui assignait et, chaque fois qu'il se trouvait en contradiction violente avec les autres généraux, il offrait, sincèrement je crois, d'abdiquer son pouvoir et de se battre sous les ordres de plus habiles que lui; mais on l'y maintint parce qu'il était un des « vainqueurs de la Bastille » les plus authentiques, un combattant du Dix août, un furieux démocrate; c'est un mauvais service qu'on lui rendit, car son ignorance lui valut bientôt d'être rappelé et même mis en prison. Les chapitres où il raconte ses années de régi ment (1776-1786) sont parmi les plus intéressants du volume, parce qu'ils nous donnent une idée vivante des mœurs soldatesques à cette époque. L'ex-apprenti orfèvre n'y apprit rien, sinon l'exercice et l'escrime; d'ailleurs indiscipliné, chatouilleux sur le point d'honneur, toujours prêt à tirer le fer, ce qu'on appelle une mauvaise tête. Tel il fut dans la Révolution, où il se jeta dès le premier jour sans savoir pourquoi. Homme médiocre en somme, mais pour lequel l'histoire n'a peut-être pas été tout à fait juste; ce n'était qu'un comparse, et on l'a flétri comme s'il avait joué un premier rôle. Le tome IV du Journal du maréchal de Castellane (Plon) est très particulièrement intéressant: il s'étend de la fin de 1847 aux premiers mois de 1853, c'est-à-dire qu'il comprend toute la période remplie par la chute de Louis-Philippe, la Révolution de février, le rétablissement de l'empire et le mariage de l'empereur; période de coups d'État frappés par le haut ou par le bas, d'anarchie et de césarisme. Castellane a subi tous les contre-coups de ces troubles mis en non-activité puis à la retraite par le gouvernement provisoire, rappelé à l'armée par les ministres du prince président, nommé maréchal par l'empereur, il exhale dans son Journal son indignation ou son mépris pour les républicains, il se complaît à énumérer les mesures militaires qu'il prit à Lyon pour assurer l'ordre et préparer au prince président un chaleureux accueil. Pendant ces cinq années, quand tout changeait autour de lui, il resta ce qu'il avait toujours été, l'incarnation même de la discipline militaire. D'idées politiques, il n'en avait guère; il est tout simplement l'ennemi de la république et des républicains. Il y avait plus d'une manière d'être bon républicain même en 1848; Castellane ne connaît que « les rouges. » Pas plus de nuances que dans un éclair de sabre. C'est d'ailleurs ce qui faisait sa force, et c'est pourquoi, bien qu'on ne l'aimât guère, il fut si bien choyé par les hôtes de l'Élysée. Les Notes et souvenirs recueillis et publiés par M. DENORMANDIE sont de valeur inégale. Le chapitre sur les journées de juin 1848 apprendront bien peu de choses nouvelles à l'historien. Au contraire, à propos du siège de Paris en 1870-71, on trouvera dans ce volume une grande quantité de faits précis sur les prodigieux efforts accom 1. Une première édition avait paru en 1892, mais à très petit nombre, et n'avait pas été mise dans le commerce. Pour la présente édition (Chailley), l'auteur a écrit un nouveau chapitre (les Journées de juin 1848), remanié plus ou moins les autres et ajouté sous forme de conclusion quelques réflexions sur l'état actuel de notre société politique. plis par la municipalité parisienne pour assurer l'alimentation de la population civile. M. Denormandie, alors maire du VIII arrondissement, a été des mieux placés pour savoir, et les difficultés sans cesse aggravées auxquelles il fallut faire face, et le courage avec lequel ces épreuves furent endurées. Il nous donne encore d'intéressants détails sur l'occupation de sa mairie par les fédérés après la révolution du 48 mars, et sur le rétablissement du gouvernement régulier au moment de la rentrée des troupes de Versailles dans la capitale. Les simples anecdotes recueillies par cet homme d'affaires expert et dévoué ravivent les angoisses morales que n'oublieront jamais ceux qui sont restés enfermés dans Paris pendant ces dures semaines et cette lamentable fin de l'insurrection dans le sang et l'incendie. Quelques détails sur les lois d'indemnités votées par l'Assemblée nationale pour réparer les maux de la guerre, des anecdotes sur Berryer, Dufaure, Thiers, Gambetta, etc., terminent ce volume, qu'il eût peut-être mieux valu laisser discrètement entre les mains des amis intimes et de la famille, mais que le grand public ne lira pas cependant sans plaisir ni profit. OUVRAGES DIVers. M. Pierre DE VAISSIÈRE a consacré sa thèse française de doctorat à Charles de Marillac', qui fut ambassadeur en Angleterre, en Allemagne, en Suisse et en Italie pendant vingt ans, de 1539 à 1559. Les matériaux qu'il a eus à sa disposition sont abondants et de premier choix, car il a retrouvé plusieurs séries complètes des dépêches envoyées par Marillac au roi, il les a résumées avec clarté en les complétant par de nombreux documents déjà publiés tant en Allemagne qu'en France et en les éclairant à l'aide des plus récents travaux sur les rapports de la France avec l'Angleterre et avec l'Empire, à un moment particulièrement important et embrouillé de notre histoire diplomatique. Il arrivait en effet en Angleterre au lendemain de la trêve de Nice, alors que François Ier, converti aux idées de pacification universelle, essayait assez maladroitement d'amener Henri VIII à la restauration du catholicisme et à l'alliance avec Charles-Quint (1539), puis, quand la chute de Thomas Cromwell, à laquelle n'avait pas peu contribué notre ambassadeur, semblait favoriser les projets de François 1er, celui-ci changeait brusquement de politique, rompait avec l'empereur et chargeait Marillac de détruire l'entente précédemment ménagée entre le roi d'Angleterre et Charles - Quint. L'ambassadeur échoua dans cette 1. Paris, Welter, xx-440 p. Nous avons parlé plus haut, p. 87, de la thèse latine de M. de Vaissière sur Robert Gaguin. REV. HISTOR. LXII. 2o FASC. 21 entreprise plus qu'aventureuse et fut même retenu en otage par Henri VIII après que le traité d'alliance avec l'empereur eut été conclu (1543). Quatre ans plus tard, il était envoyé en Allemagne pour suivre les délibérations de la diète d'Augsbourg et, suivant les instructions trop souvent contradictoires qu'il recevait de sa cour, essayer de négocier tantôt une entente avec l'empereur, tantôt un accord avec les princes contre l'empereur. Il suivit donc de très près les affaires allemandes au temps de l'intérim d'Augsbourg, du soulèvement de Maurice de Saxe et de la paix de Passau. La paix signée, et comme Charles-Quint travaillait à en réparer les conséquences désastreuses pour sa politique, c'est encore Marillac qui dut négocier avec les princes, soit avec Maurice de Saxe, pour le retenir dans l'alliance française, soit avec Albert de Brandebourg-Kulmbach pour l'y attirer (1553-1554). Il échoua dans cette double tentative, dans le même temps où le mariage de Philippe d'Espagne avec Marie Tudor mettait la France dans la plus critique des situations. Mais Marie Tudor avait besoin de la paix pour rétablir le catholicisme dans son royaume, et elle offrit sa médiation à l'Allemagne et à la France; les instructions données à Marillac et ses dépêches nous renseignent pleinement sur les conférences qui eurent lieu alors à Marck, près de Calais, et qui, on le sait d'ailleurs, demeurèrent sans résultat (1555). Messager de paix à Marck, Marillac dut l'année suivante jouer un rôle tout différent : Henri II avait cru bon de dénoncer la trêve de Vaucelles et de recommencer les hostilités contre Charles-Quint. Après avoir essayé de justifier de son mieux cette imprudente résolution, Marillac fut envoyé à Rome pour négocier avec le pape Paul IV une alliance dirigée contre la domination espagnole en Italie. Bien qu'appuyé par François de Guise et l'armée que celui-ci venait d'amener en Italie, il ne put que constater la mauvaise foi du pape et de son neveu le cardinal Caraffa, et lorsque, tout espoir d'entente avec le pape étant perdu, il s'embarqua à CivitaVecchia, il emporta avec lui de sinistres pressentiments sur le sort de l'armée française si imprudemment engagée dans le guêpier italien (1557). Avocat de toutes les causes compromises, nous retrouvons Marillac à Augsbourg en 1559, avec la mission d'agir auprès de la diète pour empêcher l'Allemagne de profiter des négociations engagées à Cateau-Cambrésis pour réclamer les Trois-Évêchés; et en effet, la question ne fut pas officiellement engagée, malgré le désir qu'en avait l'empereur Ferdinand. Marillac était pour peu de chose dans cet heureux résultat; mais il en explique très nettement les causes dans le « Sommaire de son ambassade » qu'il rédigea à |