part qu'ont dans l'amélioration du sort des prisonniers à travers les siècles deux sortes d'institutions de nature essentiellement religieuse. Les premières ont pour représentants les ordres qui se sont voués à la libération des captifs, celui des Trinitaires d'origine française, celui des Nolasques ou de la Merci, de fondation espagnole. Les secondes consistent dans un nombre presque infini d'associations, celles de la Confraternité de la Miséricorde et de la Compagnie de Sainte-Marie de la Croix à Florence, des Frères de la Pénitence à Parme, des Sacconi, de la Confraternité de la Charité, de la Confraternité de la Pitié, à Rome ou dans d'autres villes d'Italie. Ce n'est pas tout d'ailleurs. Cette sollicitude inouïe jusque-là des États et de leurs chefs pour une catégorie particulière de misérables, ces efforts de certains groupes d'hommes associés dans le but d'atténuer les horreurs d'une situation primitivement épouvantable, ce sont les formes diverses d'une même générosité, en quelque sorte collective. Mais il s'y ajoute encore l'initiative spéciale, la charité personnelle de quelques individus, qui, pour s'apitoyer, n'ont eu qu'à écouter la voix de leur cœur débordant de tendresse. Grands hommes, les plus dignes de ce nom, avec tout le sens et toute la valeur qui peuvent lui rester encore, malgré l'abus qu'en a fait trop souvent l'histoire aveuglée! M. K. voit en eux les fondateurs de notre système pénal moderne. Il passe en revue leur série glorieuse. Ce sont, dès le ve siècle, Paulin de Nole, l'évêque de Carthage, Deogratias, Séverin, l'apôtre du Norique, les gaulois Nicétius et Léonard; au XIe siècle, le catalan Raimond Nonnatus; au xvie, l'archevêque de Milan, Charles Borromée; au xviie, l'espagnol Jean Peccador, l'allemand Friedrich de Spée, les prêtres français Claude Bernard et Vincent de Paul, le jurisconsulte Christian Thomasius'. Grâce à eux se résout, dans une unanimité triomphante, cet ensemble d'efforts, au bout desquels notre civilisation entrevoit enfin son idéal, le règne de la justice, mais de la justice attendrie, d'une justice de plus en plus tempérée de pitié. En dehors de ces deux livres, dont nous venons d'exposer rapidement le contenu et l'esprit, et si importants d'ailleurs qu'on les juge, eu égard à leur nouveauté comme aux développements dont ils se composent, peut-être trouvera-t-on encore plus de valeur à celui qui leur succède, le troisième et dernier de l'ouvrage. Pour penser ainsi, on aura l'étendue de cette division nouvelle, et aussi la nature du sujet dont M. K. y fait l'étude. Ce sujet, on l'a déjà dit, c'est l'emprisonnement appliqué par l'Église elle-même aux trois classes de personnes que compte la société issue du christianisme : les religieux vivant dans les monastères, les représentants du clergé séculier, les membres de la société laïque2. 1. Voir, p. 165-188, les considérations présentées, sous forme d'Excursus, à propos de ces personnages et de leur œuvre d'humanité. 2. C'est sur la distinction de ces trois catégories de personnes que sont Par lui-même, comme l'observe tout d'abord l'auteur, le cloître est une véritable prison. Toutefois, l'emprisonnement proprement dit y devient encore de bonne heure un moyen disciplinaire. Dès 529, dans la règle qu'il donne au couvent du Mont-Cassin, saint Benoît inflige l'isolement aux moines coupables, et l'emprisonnement est bientôt considéré dans toutes les maisons religieuses comme une peine ecclésiastique d'une légalité incontestable. M. K. étudie les formes diverses que revêt cette peine, les particularités qu'elle comporte dans les règles des principaux ordres monastiques. Il décrit les locaux qui y sont affectés. Il énumère les châtiments corporels qui viennent s'y joindre, l'enchaînement, la privation de nourriture, la torture. Pour ce qui concerne l'emprisonnement infligé aux représentants du clergé séculier, ce qu'on découvre, quand on essaie d'en éclaircir les origines, c'est qu'il demeure inconnu à la primitive Église jusqu'au vre siècle environ. Les traditions changent après cette date, et le cloître devient le lieu d'internement habituel pour les clercs. Le but qu'on poursuit en les y enfermant, c'est de leur faire faire pénitence (ad agendam penitentiam). Ce châtiment est d'ailleurs plus terrible qu'on ne le croirait au premier abord. Il peut équivaloir à la peine de mort proprement dite, à la suppression pure et simple de l'individu qui y est condamné, quand c'est ce qu'on appelle le carcer perpetuus. Quoi qu'il en soit, telle est la jurisprudence qui prévaut sans réserves jusqu'au XVIe siècle. Bien qu'adoucie et surtout réglementée par l'État, on peut même dire qu'elle change peu depuis. Ce n'est pas, du reste, que les évêques n'aient constitué d'assez bonne heure pour les prêtres séculiers soumis à leur juridiction des prisons qui leur sont propres. Ces prisons, on les retrouve, selon toute apparence, sous leur première forme, dans les decanica ou diaconica de l'ancienne Église. Elles subsistent, durant de longs siècles, en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne. Comme moyens de correction pour les clercs, on y met en usage des punitions corporelles de tout genre, y compris la torture. Des membres du clergé séculier aussi bien que régulier, l'emprisonnement ecclésiastique s'étend enfin aux représentants de la société civile elle-même. Les plus anciens conciles lui ont attribué cette application particulière, que sanctionnent tous les papes du haut moyen åge. Ainsi entendu, il est mis définitivement en usage par l'Inquisition pontificale à partir du xíe siècle. Il préside à la naissance de l'Inquisition d'État, dont l'Espagne donne le premier exemple à la fin du xve. Il entraîne enfin comme conséquences pour les prisonniers les mêmes traitements devenus traditionnels1. fondées les trois parties dont se compose le dernier livre de l'ouvrage que nous analysons: 1° l'emprisonnement monastique, p. 192-251; 2° l'emprisonnement appliqué par l'Eglise au clergé séculier, p. 251-314; 3° l'emprisonnement appliqué par l'Église aux laïques, p. 314-346. 1. En ce qui concerne l'Inquisition et les châtiments qu'elle emploie, à peine Après ce que nous avons dit du livre de M. K. et l'analyse que nous avons essayé d'en présenter, notre espoir serait bien déçu si on n'avait pas pris déjà de ce livre l'idée la plus favorable. Ce que nous y avons relevé jusqu'ici n'est pas, du reste, tout ce qui s'y trouve uniquement de remarquable. Outre l'exposition détaillée et consciencieuse du sujet choisi, ce qu'il faut y noter encore, c'est la netteté du plan, qui naît pour ainsi dire de lui-même des matières successivement embrassées. C'est, de plus, mais sans pédantisme aucun, et au grand profit du lecteur, la trace volontairement conservée de recherches presque infinies, tout l'appareil, en un mot, que réclame la science moderne. A cet égard, nous nous reprocherions de ne pas mentionner, d'une façon expresse, la série d'éclaircissements qui terminent l'ouvrage, et, sous la forme d'indications bibliographiques ou sous celle de notes proprement dites, en complètent les trois livres de la manière la plus heureuse1. A tout cela se joint, et c'est par cet aperçu que nous terminerons notre jugement, comme par le plus considérable que nous ayons à offrir à propos du travail qui nous a occupé, et celui où l'on trouvera, il semble, le plus grand éloge qu'on en puisse faire, à tout cela se joint, disons-nous, pour l'éclairer et le vivifier en quelque sorte, le plus haut et le plus large esprit d'humanité, la confiance la plus ferme dans le progrès et la civilisation. En commençant son livre, M. K. a cru pouvoir en parler dans les termes que voici et qu'on nous permettra de reproduire : « Le théologien qui veut connaître l'Église, à la fois comme une mère pleine d'amour et de sollicitude pour les criminels et les pécheurs et en même temps rigoureuse parfois pour eux et attentive à les châtier, le juriste aussi, qui s'intéresse aux origines du droit pénal, avec eux et pas moins qu'eux l'historien de la civilisation et l'archéologue, tous voudront bien sans doute accorder quelque attention à notre œuvre, si modeste qu'elle soit, parce que l'objet en est emprunté à l'un des domaines de la science encore peu connu et peu exploré 2. » A ce témoignage, que l'auteur s'est donné à lui-même, nous nous associons entièrement pour notre part. Nous y voyons volontiers une espérance, qui vraisemblablement ne sera pas trompée, et qui en tout cas mérite, à notre sens, de se réaliser pleinement. Charles MOLINIER. est-il besoin de noter que, dans tout ce qu'il en dit, M. K. se montre aussi au courant que possible des travaux qui, depuis un certain nombre d'années, ont renouvelé cette partie de l'histoire religieuse. 1. Voir Anmerkungen, p. 348-380. De ces remarques, les plus importantes sont celles qui se rattachent au livre II. L'auteur y a étudié toute une suite de questions, dont quelques-unes de notre époque même. Nous indiquerons plus particulièrement les suivantes : les prisons en Allemagne au moyen âge; la prison San Michele, fondée par Clément XI en 1703, pour la correction des jeunes gens; l'origine des prisons cellulaires; les derniers sorciers. Voir d'ailleurs la table de cet ensemble, p. VI, VII. 2. Préface, p. iv. Felice Tocco. I Fraticelli o Poveri Eremiti di Celestino, secondo i nuovi documenti. In-8°, 43 pages. (Extrait du Bolletino della Società storica Abruzzese. Anno VII, Puntata xiv, p. 117-459. Santini Simeone editore, Aquila, tipografia Aternina, 1895.) Tous ceux qu'intéresse l'histoire religieuse du xie et du xive siècle savent assez la transformation profonde qu'ont subie, depuis une vingtaine d'années environ, nos informations au sujet de l'ordre des Franciscains, dans la première période si agitée de son développement. A des notions, non seulement très incomplètes et très confuses, mais encore absolument erronées sur les points les plus essentiels de l'existence primitive de cet ordre, ont été substituées peu à peu des indications désormais sûres et satisfaisantes. Il s'en faut d'ailleurs que ce travail de reconstitution, si activement qu'il ait été conduit, ait résolu encore tous les problèmes que comporte une histoire de telle importance. A peine même pourrait-on soutenir avec quelque exactitude que rien ait été fixé de celle-ci, en dehors des grandes lignes et des idées maitresses qui doivent lui servir de cadre. Aussi doit-on attribuer d'autant plus de valeur à tout effort, quelle qu'en soit la nature, capable d'ajouter quelque chose à la connaissance, jusqu'à présent si sommaire, que nous avons de l'histoire franciscaine. Surtout quand il s'agit d'un savant tel que M. Tocco, dont on peut dire, ainsi que de son émule, le P. Franz Ehrle, qu'il doit être mis sans contestation au nombre de ceux qui auront le plus contribué à débrouiller le difficile sujet dont nous parlons. Ce que s'est proposé le premier des deux écrivains que nous venons de nommer, dans le travail dont nous avons à donner ici un aperçu, c'est de déterminer en quelque sorte et de résumer ce que nous apprennent les textes découverts et étudiés le plus récemment au sujet d'une des fractions dissidentes de l'ordre de saint François, celle que l'on connaît sous le nom de Fraticelles. Dans une première division (p. 117-132), l'auteur présente d'abord un récit succinct des destinées de ces sectaires, sous les pontificats successifs de Célestin V, de Boniface VIII, de Benoît XI, de Clément V, de Jean XXII, depuis l'année 1294, où le premier des papes énumérés leur permet de fonder une congrégation à part, sous le nom de Pauvres Ermites de Célestin, jusqu'à la mort, en 1337, d'un de leurs premiers chefs, Fra Angelo Clareno, demeuré seul à leur tête après la disparition, en 1307 ou 1308, de son compagnon de luttes, Fra Liberato. Ce récit, comme l'observe en passant M. Tocco, a pour base les documents les plus authentiques, tels que les propres lettres d'Angelo, les procès instruits à différentes époques contre ses adhérents, les bulles pontificales et enfin la célèbre Chronique des sept tribulations de l'ordre des Mineurs, dont la composition est due très certainement à Angelo lui même. Cette première division épuisée, M. Tocco, dans la seconde partie de son étude (p. 132-149), arrive à ce qui en est l'objet spécial et que nous avons indiqué plus haut. Il expose, en les appuyant de quelques textes choisis entre les plus significatifs, les conclusions définitives de la science à propos d'un certain nombre des questions principales se reliant à l'histoire des Fraticelles, aux opinions et aux tendances qui leur sont particulières. Voici, sous une forme aussi brève que possible, quelques-unes de ces conclusions. Nous donnons naturellement celles qui semblent les plus importantes. Les Fraticelles, malgré leurs aspirations à une existence indépendante, doivent être rattachés à cette fraction de l'ordre franciscain dont les membres ont été désignés sous le nom de Spirituels. C'est au temps de Jean XXII que l'appellation, qu'ils ont rendue fameuse, supplante définitivement celle de Pauvres Ermites de Célestin. Ainsi que l'a démontré le P. Ehrle, il ne faut les confondre ni avec le mystique Ermanno Pungilupi, ni avec les chefs des Faux-Apôtres Segarelli et Dolcino, ni même avec les Minorites dissidents, de la France méridionale, les fameux Béguins. Des Fraticelles, il faut distinguer encore les partisans de Michel de Césène. Ceux-ci sont d'ailleurs ennemis des Spirituels, puisque l'un d'eux, frère Bonagrazia, a défendu les Conventuels contre Ubertino de Casal. Si beaucoup d'entre eux s'insurgent, à partir d'une certaine date, contre Jean XXII, leurs théories spéciales, favorables aux prétentions de l'Empire, qu'a exposées Occam, ne se trouvent pas dans les aveux obtenus des Fraticelles proprement dits. Une autre distinction qui s'impose également, c'est celle qu'il faut faire entre ces derniers et les Spirituels, des rangs desquels ils sont sortis. Les Spirituels n'auraient jamais souscrit à la scission opiniâtrément réclamée par les Fraticelles, puisqu'au contraire ils rêvaient l'union de l'humanité entière sous le règne de l'Esprit-Saint. Les vrais disciples et successeurs des Spirituels, ce sont les Béguins de France et leur chef, le grand écrivain Pierre Olive. Celui-ci a parfois des paroles dures pour Fra Angelo. Il combat aussi l'opinion favorite des Fraticelles, que Célestin V, en abdiquant, a pris une détermination qu'il n'avait pas le droit de prendre. En même temps que ces questions, dont la solution semble désormais acquise à la science, M. Tocco en examine un certain nombre, qui, pour le moment au moins, demeurent encore assez obscures. Voici un certain nombre de ces dernières. Comment Fra Angelo, qualifié autrefois de nequam hereticus » par Jean XXII, s'élève-t-il, après sa mort, à la dignité de bienheureux, si bien que les Bollandistes se croient obligés d'insérer sa biographie dans leur recueil? (voir p. 147). A quelle époque aussi ses disciples donnent-ils son nom à leur congrégation particulière? (voir p. 148-149). Comment enfin les représentants tardifs de l'esprit qui l'a animé, Giovanni della Valle et Paolo dei Trinci, font-ils approuver par les souverains pontifes, dans la seconde moitié du XIVe siècle, la séparation d'avec l'ordre primitif de saint |