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maturément et dont elle n'eut pas de postérité. Mais elle n'oublia point Henri de Derby, et, dans les messes qu'elle fit dire pour le repos de l'âme de son époux, elle joignit une intention spéciale pour le roi d'Angleterre Henri IV, son premier et peut-être son seul amour.

M. Wenck a su présenter avec charme les traits essentiels de cette histoire et discuter avec sagacité la validité du mariage contracté avec Frédéric de Misnie. Si Lucie Visconti n'a pas joué un grand rôle, elle a été du moins mêlée à des affaires politiques considérables, elle nous apparait surtout comme une figure intéressante, et l'histoire s'incline avec respect devant cette princesse énergique refusant de céder à la contrainte et d'appartenir à un homme qu'elle n'aimait pas.

Georges BLONdel.

Il comune Teramano nella sua vita intima e pubblica dai piu antichi tempi ai moderni, racconto e studi seguiti da documenti e da tavole, per Francesco SAVINI. Roma, Forzani, 1895. In-8°, 612 pages.

C'est un bien gros livre que M. Savini a consacré à Teramo, et, a priori, on pouvait se demander si les fastes de cette ville, qui a joué un rôle assez effacé en Italie, exigeaient une aussi longue histoire. Après l'avoir lu, on est persuadé qu'elle aurait pu, avec avantage, être réduite des deux tiers. Une grande partie du livre est occupée par des digressions aussi inutiles que fastidieuses. Quelle utilité peut présenter ce préambule de trente et une pages que l'auteur a intitulé Prolégomènes à l'Histoire de la commune de Teramo? Que nous importent toutes les opinions qui ont pu être émises sur les communes italiennes en général depuis Sigonius jusqu'à M. Savini? L'on sait fort peu de chose sur Teramo dans le haut moyen âge; à cela rien d'étonnant, mais notre auteur a voulu à tout prix combler ces vides par des développements généraux sur les communes italiennes, ou même sur la vie municipale à l'époque romaine ou carolingienne. C'est ainsi qu'il a consacré de nombreuses pages aux institutions lombardes (p. 73), puis à celles de Charlemagne. Pour expliquer la souveraineté qu'exerçait l'évêque de Teramo sur sa cité, il étudie l'immunité (chap. 1x); ailleurs, il nous expose comment, dans toute l'Italie, l'organisation communale a succédé au pouvoir épiscopal (p. 105), ou bien encore il examine le rôle des consuls dans les villes italiennes.

Tous ces développements peuvent être exacts, nous ne contesterons pas les belles théories qui y sont présentées; mais ils ont un double défaut d'abord, ils ne se rattachent au sujet que par des liens fort lâches et ils nous font penser à Simonide chantant tous les dieux pour s'éviter la peine de chanter l'athlète obscur qui lui avait commandé des vers! De plus, ce ne sont que des emprunts faits par M. Savini à des auteurs allemands ou italiens. C'est M. Hegel qui lui a inspiré de

très près sa théorie sur la transition du pouvoir épiscopal à l'organisation communale; M. Salvioli n'est pas étranger à ses idées sur l'immunité, Handloike a été souvent mis à contribution pour les origines du Consulat. Mieux valait ne rien dire que de parler à côté du sujet et d'après autrui!

Mieux valait surtout traiter certaines questions que l'auteur a laissées dans l'ombre. Il n'a rien dit de l'histoire ecclésiastique de Teramo : à quelle époque le christianisme y a-t-il fait son apparition? Quelles sont les traditions locales? Quel rôle ont joué les évêques dans l'histoire politique et religieuse? Des institutions monastiques se sont-elles établies dans ce diocèse? Voilà autant de questions qu'il eût été intéressant d'aborder, même si elles devaient rester insolubles. La vie économique de Teramo n'aurait pas été moins curieuse; l'auteur en parle à plusieurs reprises, il mentionne l'industrie de la laine et des draps, qui faisait, au moyen âge, la richesse de cette cité; mais ces détails nous sont donnés sans ordre et par hasard, ils auraient pu faire l'objet d'une étude suivie. Je sais bien que M. Savini a voulu surtout écrire l'Histoire de la commune de Teramo, il nous le dit expressément (p. 233); mais peut-on séparer l'histoire municipale de l'histoire ecclésiastique dans une ville où les institutions communales se sont peu à peu formées sous le gouvernement épiscopal? Le commerce, l'industrie ne sont-ils pas à considérer de très près dans l'histoire intérieure de toute cité? Si l'auteur ne voulait considérer que la vie municipale, ne devait-il pas décrire, avec plus de détails, les luttes des factions qui donnent un caractère si tragique à cette ville, pendant le xve siècle? Encore sur ce point, l'auteur a craint de sortir des limites qu'il s'était tracées, et il a coupé court à un récit, qui eût été cependant fort intéressant (p. 235).

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Nous aurions encore à faire plus d'une critique si nous examinions le livre dans le détail. Nous relèverions des répétitions si nombreuses que l'auteur lui-même a senti le besoin de s'en excuser (p. 126); nous mentionnerions un grand nombre de faits qui demanderaient des références plus précises à la page 335, l'auteur donne la liste des familles patriciennes de Teramo avec la date de leur première apparition dans l'histoire; mais il ne renvoie à aucun document, et nous sommes obligés de le croire sur parole. Enfin, pourquoi continuer, après les savantes études de M. l'abbé Duchesne, à citer Anastase le Bibliothécaire pour le Liber Pontificalis? (p. 66).

Malgré toutes ces réserves, cette Histoire de la commune de Teramo ne sera pas sans utilité. Préparé à cette œuvre par une série de publications antérieures, l'auteur a réuni un nombre considérable de renseignements; il a publié en appendice des documents que l'on pourra consulter avec fruit; enfin, il a savamment élucidé des questions jusqu'ici souvent controversées, comme, par exemple, lorsqu'il identifie l'antique Aprutium et le Castrum Aprutinense avec Teramo (p. 57-63). Les divisions qu'il a établies dans l'histoire de cette cité semblent tout

à fait scientifiques. Il établit tout d'abord une période barbare et une autre comtale; il distingue au xire et au xies. le régime épiscopal, de 1207 à 1292 le régime de libertés communales, de 1292 à 1388 la période de semiliberté où, peu à peu, les institutions municipales succombent devant l'absolutisme des rois napolitains; enfin de 1388 à 1507, la ville est agitée par des factions et devient la proie des tyrans, comme d'ailleurs la plupart des autres cités italiennes, jusqu'au jour où se constitue, vers 1520, le patriciat, qui la gouverne jusqu'à la fin du xvIIe siècle. Les critiques que nous avons présentées ne sauraient, sans injustice, nous faire oublier les mérites de l'auteur, la somme de travail et l'étendue des recherches que suppose son œuvre, et les services qu'elle peut rendre à l'histoire municipale de l'Italie.

Jean GUIRAUD.

Henri LORIN. Le comte de Frontenac. Étude sur le Canada français à la fin du xvire siècle. Thèse présentée à la Faculté des lettres de Paris. Paris, Colin, 1895. In-8°, xiv-503 pages, avec une carte. Frontenac est la plus grande figure historique du Canada français, qu'il a gouverné pendant une vingtaine d'années, en deux fois, de 1672 à 1682 et de 1689 à 1698. C'est le Dupleix de l'Amérique du Nord. Son nom est populaire de l'autre côté de l'Atlantique. Il est le héros des légendes, des poètes et des historiens canadiens. Les Anglo-Saxons eux-mêmes lui rendent justice et Parkman lui a consacré une étude intéressante et équitable, quoique insuffisamment informée. Mais ce grand Français n'avait pas encore trouvé d'historien français. M. Lorin a eu la louable pensée de combler cette fâcheuse lacune et de réparer cet injuste oubli. Il a pieusement rassemblé, à travers les documents et les livres, soit français, soit canadiens, soit anglais, les pierres du monument que Frontenac méritait d'avoir dans sa patrie d'origine, dans le vieux pays, et il le lui a élevé. Son travail est donc une monographie et même, il le déclare, une apologie de Frontenac, mais une apologie qui reste œuvre de science et de vérité. De plus, en raison de l'importance du personnage et de l'étendue de son double commandement (1672-1698), c'est une étude complète du Canada pendant la seconde moitié du xviie siècle, époque intéressante de son histoire, où se fixe la constitution et se dessine la physionomie de la Nouvelle-France de l'Amérique du Nord.

Une rapide introduction nous fait connaître la scène avant l'entrée du principal acteur. Sous le régime de la Compagnie des Cent-Associés (1628-1663), le Canada n'avait guère été qu'un terrain de chasse pour les coureurs des bois et une mission de Jésuites1. Colbert, en le livrant

1. Dans la liste, si rapide soit-elle, des gouverneurs du Canada depuis Chaplain, on a lieu d'être surpris de l'oubli de Montmagny, d'Ailleboust et de Lau

à la Compagnie des Indes-Occidentales (1664), vient de lui donner l'organisation qu'il gardera jusqu'à la fin de la domination française: un gouverneur général, un intendant, un conseil souverain, un évêque à Québec; des gouverneurs particuliers à Montréal et Trois-Rivières; des fiefs, baronnies et châtellenies dans le reste du territoire. C'est l'image d'une province française. C'est l'ancien régime transporté dans le nouveau monde, avec tous ses défauts, toutes ses charges, toutes ses entraves, le despotisme, la centralisation, la féodalité, l'intolérance religieuse, les conflits de pouvoir et de préséance entre les fonctionnaires, la lutte entre le gouvernement civil et le clergé, un clergé tout-puissant et très autoritaire; aucune autonomie, aucune liberté d'action, aucune ressource. La colonie est à la fois trop dépendante et trop isolée de la métropole. Elle ne se suffit pas à elle-même, elle ne peut rien faire par elle-même, et cependant elle communique très difficilement avec la France. Elle n'a pas même un vaisseau à sa disposition. Il lui faut attendre de longs mois les ordres, les approvisionnements, les renforts, l'argent nécessaires pour vivre et pour agir, par un convoi qui vient une fois l'an, en été, et qui repart en automne, avant les glaces, chargé de rapports contradictoires, de plaintes, de dénonciations, de calomnies, qui rendent bien difficiles, sinon impossibles, de la part du gouvernement métropolitain, des vues nettes, des jugements équitables et des décisions heureuses sur les hommes et sur les choses. Malgré tout, sous l'administration du gouverneur de Courcelles et de l'intendant Talon, précurseurs immédiats de Frontenac (1664-1672), le Canada commence à prendre figure de colonie. En 1671, il a 6,000 habitants et 700 naissances. Il s'essaie à l'agriculture, à l'industrie, à la recherche et à l'exploitation des mines. Il a sa petite armée, les six compagnies du régiment de Carignan. Il s'étend vers les grands lacs, vers la baie d'Hudson, vers l'Acadie, par une série d'expéditions, d'établissements, de postes de traite et de missions.

Frontenac arrive dans l'automne de 1672, et la première partie de l'ouvrage expose son premier gouvernement (1672-1682). Louis de Buade, comte de Palluau et de Frontenac, avait alors cinquante ans. C'était un gentilhomme de haute naissance, bien apparenté et bien posé à la cour (fils d'un maître d'hôtel et filleul de Louis XIII, époux d'une des divines, Anne de la Grange-Trianon), mais de petite fortune. Il avait servi avec distinction dans l'armée. Mais rien ne le préparait à son nou veau rôle. Il y réussit supérieurement. Il avait les qualités extérieures du commandement un grand air, une majesté imposante et quelque peu hautaine. Il y joignait une intelligence prompte et nette, une

zon, surtout de Montmagny, dont le nom est resté pour les sauvages celui de tous les gouverneurs sous sa forme indigène d'Onontio (grande montagne, Mons magnus, Montmagny). M. Lorin, qui emploie plusieurs fois ce terme, d'après les documents, n'indique nulle part cette curieuse étymologie, qu'il ne doit pourtant pas ignorer.

volonté ferme avec une bonté toute paternelle pour ses administrés. Son installation se fit avec une grande solennité. Les trois ordres de la colonie, réunis en forme d'États généraux, lui prêtèrent serment. Pendant deux ans, il gouverna en maître. Mais, à partir de 1675, il entra en lutte avec l'intendant Duchesneau, l'évêque Laval, le conseil souverain et son procureur général d'Auteuil. La bataille s'engagea sur de mesquines querelles de préséance dans lesquelles on peut estimer, avec M. Lorin, que Frontenac montra trop de raideur et eut sa part de torts et de responsabilités. Il est vrai que ses adversaires étaient aussi répréhensibles. Laval était un prélat honnête, loyal, pieux, mais d'une piété intolérante et exaltée, d'un orgueil intraitable et d'un cléricalisme intransigeant; d'Auteuil un personnage violent et emporté; les bourgeois du conseil souverain en voulaient à Frontenac de ses airs dominateurs de grand seigneur; quant à Duchesneau, c'était un envieux et un hypocrite, rampant et obséquieux vis-à-vis du ministre, plat valet du clergé, plus jésuite que les Jésuites, animé contre Frontenac d'une de ces haines féroces de dévot, qu'il déverse dans des rapports pleins de fiel et de venin. La cour donna tort à Frontenac, réorganisa le conseil souverain, fixa les préséances et les attributions de l'évêque et de l'intendant d'une façon contraire aux prétentions et à l'autorité du gouverneur. Plus grave que cette querelle de pure forme était le conflit qui éclata à propos de la traite et du trafic des spiritueux, car l'avenir de la colonie en dépendait. Cette question domine toute l'histoire du Canada à cette époque. M. Lorin en a bien compris et montré l'importance. Dans un de ses meilleurs chapitres, il l'a mise en pleine lumière. Il a exposé et discuté les diverses opinions avec une finesse pénétrante et une louable impartialité. Et il n'a pas eu de peine à démontrer que Frontenac avait raison, tout en rendant justice aux intentions de ses adversaires.

Le principal commerce du Canada était alors celui des fourrures de castor, que les coureurs des bois achetaient aux sauvages pour les revendre à la compagnie fermière. La monnaie d'échange ordinaire et presque exclusive était l'eau-de-vie, l'eau-de-feu, dont les naturels raffolaient. On devine les ravages et les désordres auxquels ce trafic donnait lieu. La traite était l'occasion de véritables orgies, parfois suivies de rixes sanglantes. Le clergé s'indignait de ces scandales, et, pour les supprimer, demandait l'interdiction de la traite. Il n'était qu'à moitié sincère, car on le vit, sous des gouverneurs plus agréables, la tolérer et même la pratiquer. En réalité, il tenait surtout à se réserver la direction des sauvages. Dépendant du pape autant et plus encore que du roi, il s'appliquait à convertir les indigènes, avec peu de succès d'ailleurs, beaucoup plus qu'à les franciser. Il se plaçait exclusivement sur le terrain religieux. - Frontenac, au contraire, envisageait la question au point de vue politique. Il connaissait, lui aussi, les abus de la traite; il les déplorait et essayait de la réduire, en la surveillant, en ne l'autorisant qu'au moyen de permis ou de congés. Mais il ne pensait pas qu'on

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