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terminée de la sorte en 17871. Manno donne de plus amples explications; il raconte comment les îles ont été occupées par les Sardes en 1767; il reconnaît qu'elles étaient peuplées par des Corses, qui ne payaient pas de tribut au roi de Sardaigne et ne lui rendaient aucun hommage; mais il affirme énergiquement le droit de celui-ci et il écrit cette phrase étrange, où fourmillent les contradictions : « Néanmoins, la raison politique voulait que la << haute domination du roi y fût marquée par un acte spécial et, << en outre, que les colons de ces îles, qui montraient déjà la plus « grande inclination à être tenus pour sujets sardes, ne pussent << plus se dérober aux devoirs attachés à cette qualité. » Quant aux réclamations de Vergennes, il n'y fait qu'une très lointaine allusion2.

Ces allégations sont-elles conformes à la vérité? Sont-elles corroborées par les documents? C'est ce que nous allons voir.

II.

La Maison de Savoie a acquis l'île de Sardaigne en 1720; elle l'a reçue de l'Empire, à qui l'Espagne l'avait cédée en 1714. Ses prédécesseurs n'ont pu lui transmettre que les droits de souveraineté qu'ils possédaient eux-mêmes; avaient-ils des droits sur les îles des Bouches de Bonifacio?

La République de Gênes a cédé à la France la Corse avec ses dépendances par le traité du 15 mai 1768; elle n'a fait de réserves que pour l'île de Capraja, qui lui a été restituée en 1771. Si les îles des Bouches de Bonifacio lui appartenaient, elle en a donc également consenti la cession à Louis XV; lui appartenaient-elles?

C'est bien ainsi que la question se pose. La diplomatie piémontaise n'a jamais eu l'idée de le contester au cours des négociations dont nous aurons à parler; le vice-roi de Cagliari le reconnaissait formellement dans sa correspondance personnelle avec le secrétaire d'État de Turin, quand il lui parlait des << droits de la République de Gênes et par conséquent de la France sur les îles Intermédiaires 3. » Pour établir ces droits, il faut donc tout d'abord en indiquer rapidement l'origine.

1. Carutti, Storia della Corte di Savoia durante la Rivoluzione e l'Impero francese, t. I, p. 60.

2. Manno, Storia di Sardegna, t. III, p. 380.

3. Archives de Cagliari. Lettre du vice-roi de Sardaigne du 17 août 1787.

Les Génois, déjà maîtres de la Corse, et les Pisans, gravement troublés en Sardaigne par les Sarrasins, s'allièrent et parvinrent enfin, en 1050, après de longs efforts, à chasser définitivement les Musulmans de cette dernière île. Après leur victoire commune, ils ne purent s'entendre et se firent la guerre. En 1157, une sentence arbitrale de l'empereur Frédéric Ier attribua à Gênes le nord de la Sardaigne avec les petites îles voisines; le pape Boniface VIII rendit, il est vrai, une décision contraire1, mais le traité de 1298, conclu entre les belligérants, confirma ce partage. Les Aragonais, qui remplacèrent les Pisans en Sardaigne en 1326, ne contestèrent jamais cet état de choses et la République put librement, en 1583, faire élever des tours fortifiées sur la côte de Gallure, à Terranova, à Santa Riparata, à Longo-Sardo, à Castel-Sardo2; pendant longtemps on avait appelé cette dernière place Castel-Genovese, le château génois3.

Cet historique lointain remonte si haut à travers les siècles que l'on aurait le droit de le considérer comme purement archaïque, si des faits infiniment plus récents ne venaient attester qu'il offrait, en 1768, un intérêt immédiat. Les Génois, gens de négoce, avaient en effet peu à peu délaissé la côte dépeuplée de Gallure, qui ne leur offrait aucune ressource; puis ils l'abandonnèrent complètement. A aucun moment, au contraire, ils ne renoncèrent aux îles des Bouches de Bonifacio; ils n'y firent point, à vrai dire, construire des fortifications pour affirmer une possession que personne n'aurait eu l'idée de leur disputer; qui se serait avisé d'aller soulever des incidents et chercher des querelles pour un si pauvre objet? Mais jamais la Seigneurie n'abdiqua aucun de ses droits régaliens sur les îles; jusqu'à la dernière heure, elle y conserva d'une manière efficace la suprématie religieuse, la suprématie judiciaire, la suprématie fiscale, la suprématie territoriale, tout cet ensemble de prérogatives dont l'exercice constitue la Souveraineté.

La juridiction religieuse est démontrée par les actes les plus anciens comme les plus récents. Cela résulte d'abord de la fondation de la petite église de Budelli, ainsi qu'en témoignent les registres de la Banque de la Maison de Saint-Georges, de Gênes, qui était chargée par la République de l'administration de

1. Letteron, Osservazioni storiche, livre 13, obs. 6, no 77.

2. Archives nationales, Q1 291. Mémoire de de Santi. - Affaires étrangères, Sardaigne, M. et D., t. XV. Mémoire des Archiprêtres.

3. Jurien de la Gravière, la Marine d'autrefois; la Sardaigne en 1842.

ses possessions corses; les premières donations, dont les fonds ont été déposés à cette banque, remontent à l'année 1445. L'église était indistinctement connue sous le nom de Sancta Maria intra insulas de Budellis et sous celui de Sainte-Marie de Budelli de Bonifacio; elle était une succursale de SainteMarie-Majeure de Bonifacio, et c'était un vicaire de cette paroisse qui en avait la charge; elle fut détruite par les Turcs, après 1584, et ne fut pas reconstruite. A partir de cette époque, les insulaires, n'ayant plus de chapelle à eux, relevèrent directement de la paroisse de Bonifacio; c'est là qu'ils venaient faire leurs pâques, se marier, faire baptiser leurs enfants; c'est là qu'ils apportaient au curé les prémices de leurs moissons et de leurs troupeaux et qu'ils payaient la dîme; c'est là encore qu'ils venaient faire inscrire les décès survenus dans leurs familles, les registres de l'état civil étant à cette époque tenus par le clergé.

La juridiction criminelle de Gênes sur les îles n'est pas moins nettement établie par une série de documents. Les vols de bestiaux et les attentats sur les personnes sont déférés aux tribunaux de Bonifacio et réprimés par eux, avec l'assentiment des puissances étrangères. En 1711, un corsaire français, le capitaine Brunon, qui a dérobé du bétail à la Maddalena, est poursuivi à Bonifacio et la France ne proteste pas. En 1718, une rixe s'élève à Caprera entre des Corses et des matelots napolitains; l'affaire est jugée à Bonifacio; le gouvernement de Naples réclame d'abord, sous prétexte que ses tribunaux devaient en connaître, puis il se désiste de ses observations. En 1731, la polacre du patron provençal Gioja échoue à San Stefano et ses marchandises sont pillées par les bergers; c'est au commissaire génois Spinola que Gioja porte plainte et c'est ce commissaire qui lui fait restituer les biens volés. En 1749, le capitaine Rubiano et le capitaine Porcile, qui commandent des chebecs armés du roi de Sardaigne, saisissent à la Maddalena deux gondoles bonifaciennes, qu'ils accusent à tort ou à raison de faire de la contrebande; Rubiano s'aventure ensuite, avec son navire dans le port de Bonifacio; le commissaire le fait arrêter sur son chebec et fait faire son procès sans qu'une réclamation s'élève. En 1752, le même Rubiano est tué sur les côtes de Sardaigne par des bergers de Caprera; ce n'est pas en Sardaigne, mais à Bonifacio, que ces bergers sont poursuivis, et c'est là qu'ils sont châtiés; la Cour

de Turin n'a pas même l'idée d'ordonner des recherches. Il nous paraît superflu de citer des affaires, criminelles ou civiles, dans lesquelles les Corses seuls étaient engagés, ou de relater les contrats de négoce passés à Bonifacio et se rapportant aux biens situés dans les îles.

En matière économique et fiscale, les droits de la République sont aussi formellement constatés. Les navires napolitains et autres, qui venaient se livrer à la pêche du corail dans les îles, payaient des redevances au Trésor génois. Les marchandises apportées des iles à Bonifacio étaient exemptes de taxes douanières. Un arrêté de 1701 prohibait l'extraction des grains des îles, réservant exclusivement leur importation en faveur de la commune de Bonifacio, qui éprouvait des difficultés d'approvisionnement.

Si ces preuves étaient insuffisantes, l'exercice plus immédiat des droits territoriaux, des droits régaliens de souveraineté de Gênes, serait encore affirmé par d'autres incidents offrant un caractère politique plus marqué. En 1709, le futur empereur d'Allemagne, Charles VI, était, sous le nom du prétendant Charles III, le compétiteur de Philippe d'Anjou à la succession d'Espagne; il s'était emparé de la Sardaigne et avait donné au bonifacien Carbone une commission de consul à Bonifacio. Carbone s'avisa de se faire octroyer, par la Junte du Patrimoine de Sardaigne, la concession des îles situées entre la mer de Gallure et la Corse, à condition de compter à la Chambre royale de Cagliari un tiers du produit qu'il en retirerait. Le gouvernement génois, blessé dans ses droits, n'hésita pas à faire arrêter Carbone, en dépit de la qualité diplomatique dont il était revêtu et des représailles auxquelles cela pouvait donner lieu; loin de protester, le vice-roi de Sardaigne écrivit à la Seigneurie pour lui recommander Carbone, comme consul de S. M. I.; celui-ci ne fut relaxé qu'après avoir renoncé publiquement à l'octroi des îles et remis aux autorités génoises son titre d'investiture féodale; l'affaire n'eut pas d'autre suite. En 1744, un navire tunisien vint faire naufrage entre les îles et la Sardaigne; vingt-quatre Musulmans purent se réfugier à la nage sur la côte sarde; ils furent pris par les bergers de Gallure, réduits par eux en esclavage, vendus à des Corses et transportés à Bonifacio. La Cour de Turin les réclama, en prétendant qu'ils devaient lui être restitués, parce qu'ils avaient échoué sur la rive de la Sardaigne et non sur celle de la Maddalena, et que, par conséquent, ils lui appartenaient en qualité d'épaves; elle put démontrer le bien

fondé de sa réclamation et les esclaves lui furent rendus. En 1766, le patron bonifacien Malberti, inculpé d'avoir en contrebande pris un chargement de moutons, fut arrêté en Sardaigne; le consul génois le réclama et, la preuve ayant été faite que c'était dans les îles qu'il avait opéré son chargement, il fut aussitôt délivré.

Au point de vue personnel enfin, les habitants des îles étaient assimilés non pas même aux Corses, qui étaient des sujets de la République, mais aux Bonifaciens eux-mêmes, descendants d'une colonie génoise et considérés comme citoyens génois par la Seigneurie; à l'exclusion des autres Corses, ils jouissaient du privilège réservé aux Génois d'avoir un domicile à Bonifacio; ils étaient exempts de la taille; ils avaient le droit de port d'armes, dont les Corses étaient privés; la République les rachetait lorsqu'ils étaient faits prisonniers et réduits en esclavage par les Barbaresques; elle n'exigeait d'eux aucune redevance pour les esclaves dont ils s'emparaient.

Ainsi, les Génois n'avaient laissé péricliter aucun de leurs droits, et la Sardaigne elle-même en a reconnu et facilité l'exercice jusqu'à la dernière heure1.

Les îles des Bouches de Bonifacio appartenaient donc à la Seigneurie et celle-ci les cédait à la France en lui cédant la Corse. Comment les gouvernements successifs de Louis XV et de Louis XVI ont-ils permis au roi de Sardaigne de les usurper?

1. Affaires étrangères, Gênes; Correspondance, t. 151, fol. 285. Mémoire remis au duc de Choiseul par le chevalier de Sorba, ministre de Gênes. Sardaigne; Mémoires et Documents, t. 15, fol. 59. Mémoire de Regnier du Tillet. France, t. 1541, fol. 51. Mémoire de Regnier du Tillet. Sardaigne; M. et D., t. 15, pièce 42. Documents certifiés par le juge de Rossi. Loc. cit., fol. 118. Mémoire de Millin de Grandmaison. Loc. cit., fol. 158. Mémoire de Lebègue de Villiers. Loc. cit., pièce 132 et suivantes. Documents remis à Constantini le 2 juillet 1792. — Loc. cit., fol. 350. Seconde délibération de la commune de Bonifacio. Loc. cit., fol. 355. Mémoire des archiprêtres Meglia et Trani. Loc. cit., fol. 207. Mémoire du maréchal de Ségur.

Archives nationales. K. 1226, n° 23. Mémoire de Millin de Grandmaison et de Chardon. Q1 291. Pièces envoyées par M. de Barrin. Loc. cit. Mémoire de l'assesseur de Santi. F60 6. Manuscrit de de Santi. Loc. cit. Note du 30 juillet 1781 pour le maréchal de Ségur. - T. 1169. Mémoire de Lebègue de F60 6. Première délibération de la commune de Bonifacio. cit. Mémoire d'Henry.

Villiers.

· Loc.

Letteron, Osservazioni storiche, loc. cit.

· Petit Bastiais, loc. cit.

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