Colonna Cesari, neveu de Paoli; elle devait être transportée dans les îles par quelques felouques et escortée par la corvette la Fauvette. Après avoir été retardée plusieurs jours par la tempête, elle mit à la voile le 22 février 1793 et put accoster le soir même à San Stefano; le lendemain, un officier d'artillerie, qui avait le grade de lieutenant-colonel dans la garde nationale d'Ajaccio, le jeune Buonaparte, vint avec ses canons se mettre en batterie et foudroyer les fortifications de la Maddalena, à travers l'étroit goulet qui sépare les deux îlots; les Sardes se défendaient avec courage et les Français se préparaient à une attaque de vive force lorsque, dans la nuit du 24 au 25, l'équipage de la Fauvette, qui protégeait la flottille de l'expédition contre les demi-galères ennemies, se révolta et refusa d'appuyer davantage le débarquement; les supplications du lieutenant de vaisseau Goyètche n'y firent rien; Colonna Cesari, accouru à bord, fut retenu prisonnier et dut se résigner au départ; c'est à grand'peine qu'il put déterminer les révoltés à attendre quelques instants pour permettre de rembarquer les soldats descendus à terre et leur jeune lieutenant-colonel. Les historiens italiens racontent complaisamment qu'un marin sarde, le brave Domenico Millelire, avait contourné l'île avec vingt hommes, surpris et mis en déroute le détachement français et qu'il avait failli couronner ses exploits en faisant prisonnier Napoléon Bonaparte. Ils le croient sans doute. XV. Désormais, il ne fut plus question de la Maddalena; au milieu de la tourmente révolutionnaire et des événements prodigieux qui se succédaient, personne ne songea à la réclamer; le vainqueur de Montenotte et de Mondovi oublia lui-même à Cherasco les petites îles où les marins mutinés de la Fauvette avaient failli l'abandonner trois ans auparavant. Le Directoire avait d'ailleurs d'autres conceptions; il songeait à acquérir la Sardaigne elle-même1, soit pour en faire matière à compensations, soit, plus tard, pour la conserver. Correspondance de Napoléon Ier, Les principaux documents se trouvent au ministère de la Guerre, Sardaigne, archives modernes. 1. Aff. étr. Turin; Corresp., t. 272, fol. 263; t. 273, fol. 67, 117, 134, etc. La Cour de Turin accédait volontiers à ce plan qui lui aurait permis d'échanger, contre de bons territoires du Milanais, du Parmesan ou du Mantouan, l'île frondeuse qui, deux fois depuis 1793, avait chassé les Piémontais; un projet de convention secrète1 fut même conclu par lui avec le général Clarke, le 5 germinal an V. On ne put cependant se mettre d'accord et, lorsque, à la fin de 1798, il fut détrôné par Joubert, Charles-Emmanuel IV fut heureux de pouvoir se réfugier dans cette Sardaigne qu'il avait désiré troquer contre des principautés hasardeuses sur les rives du Pô. Plus tard, Napoléon Ier songea à s'emparer de la Sardaigne et à préparer des expéditions contre elle; la complexité même de ses vastes desseins ne lui permit pas d'exécuter celui-là 2. Mais personne ne pensait plus aux « quelques rochers » dont Montmorin parlait si dédaigneusement à Duportail. Quant aux hommes qui avaient en vain signalé l'importance militaire de la Maddalena et dont les patientes et pénibles recherches auraient dû permettre à la France de la récupérer, ils étaient oubliés depuis longtemps. De Santi et Millin de Grandmaison n'avaient pu obtenir la pauvre indemnité qu'ils avaient sollicitée3; Lebègue de Villiers, après avoir pendant de longs mois quémandé une modeste fonction qui lui permît de vivre et qu'on lui laissait toujours espérer, avait été obligé d'accepter à Berlin l'emploi de lecteur du roi de Prusse 1. 1. Aff. étr. Turin; Corresp., t. 273, fol. 145. Henri MARMONIER. 2. Corresp. générale de Napoléon Ior. T. IX. Note pour Talleyrand, 16 novembre 1803.-T. XVI. Lettre à Decrès, 5 septembre 1807; au prince Eugène, 28 décembre 1807; à Champagny et à Decrès, 12 janvier 1808; au roi Joseph, 7 février 1808. · T. XVII. Décret de Bayonne du 20 avril 1808. Lettre à Decrès, 9 août 1811. 4. Aff. étr. Sardaigne; M. et D., t. 15. Arch. nat., T 1169. de l'Institut. Papiers de Hennin. T. XXII. MÉLANGES ET DOCUMENTS LA CAPTIVITÉ DE JEAN D'ORLÉANS COMTE D'ANGOULEME (1412-1445). Des travaux sérieux nous ont appris comment Louis de France, duc d'Orléans, le père de Jean, comte d'Angoulême, occupa le royaume entier de ses ambitions pendant sa vie, et de sa vengeance après sa mort. Nous savons aussi quel profit les Anglais, depuis Azincourt jusqu'au traité d'Arras, surent tirer des rivalités tragiques entre les Armagnacs et les Bourguignons. La captivité du comte Jean d'Angoulême, épisode à la fois de ces luttes civiles et de la guerre franco-anglaise, est moins connue. Peut-être méritait-elle d'être étudiée : elle éclaire d'un jour nouveau nos relations avec nos ennemis d'outre Manche, à une époque où ces relations sont en grande partie l'histoire de notre pays; elle nous permet de surprendre le jeu d'une des spéculations les plus en vogue en ces temps troublés : la rançon d'un prisonnier de haut rang. Nous n'avons donc pas jugé inutile de rechercher les circonstances qui amenèrent la captivité du comte, d'exposer ce qu'elle fut, de préciser comment elle prit fin. I. Jean d'Angoulême devint le prisonnier des Anglais en 1442, moment où la guerre de Cent ans, suspendue plutôt qu'interrompue depuis la mort de Charles V, allait reprendre. Il ne tomba pas dans leurs mains sur un champ de bataille, mais à la suite des négociations ouvertes avec eux par les princes d'Orléans. Ces princes crurent bon de chercher, même à l'étranger, les moyens de venger leur père; ils firent une ligue contre Jean sans Peur, duc de Bourgogne, qui tenait, disaient-ils, « le roi sous son pied'. » Non seulement ils s'allièrent avec les ducs de Berry, de Bretagne, de Bourbon, avec les comtes d'Alençon et d'Armagnac 2, mais avec Henri IV d'Angleterre. Henri leur donna des troupes comme il en avait donné au Bourguignon. Cependant Thomas de Lancastre, duc de Clarence, propre fils du roi, qui les conduisait, débarqua trop tard en France; il n'y descendit que le 10 août 1412, alors que les princes avaient fait la paix dès le 12 juillet. Furieux d'être inutile et craignant de n'être pas payé, Clarence ravagea tout sur son passage. Finalement, après un mois de pourparlers, les ambassadeurs de Charles d'Orléans consentirent aux conditions suivantes : les Anglais rentreraient chez eux avant le 1er janvier 1413 (n. st.), sans pillage aucun sur leur route. Ils recevraient 150,000 écus pour leurs gages et comme indemnité. Cette somme serait garantie par des joyaux, dont un seul, la croix de Berry, était prisé 40,000 livres; surtout par sept otages qui seraient remplacés en cas de décès et délivrés au fur et à mesure des paiements3. De ces sept otages, le plus illustre était Jean d'Orléans, comte d'Angoulême. Il avait douze ans seulement. Les six autres étaient de simples serviteurs de la maison du duc Charles, son frère, Guillaume le Bouteiller, Archambaud de Villars, Hector de Pontbriant, Jean Davy, - ou de la sienne, Macé le Borgne, Jean de Saveuzes. Ni Berry ni Bourbon n'avaient proposé aucun de leurs gens comme otage. Ce fut là le traité de Buzançais: il fut scellé, le 14 novembre 1412, par Clarence, York, Dorset, d'une part; Tignonville, Braquemont, Gaucourt, de l'autre. Ainsi, la mort violente de Louis de France et le défaut de raison saine, d'énergie royale, chez Charles VI; les hostilités des princes et 1. Arch. nat., K. 56, no 18. Ces mots se trouvent dans le manifeste des princes d'Orléans (juillet 1411). 2. Par le traité de Gien du 15 avril 1410. L'original est à Londres (British Museum, Addit. charters 7926) et porte les six signatures autographes des princes: Berry, Bretagne, Orléans, Bourbon, Alençon, Armagnac. Cf. Geste des nobles (éd. Vallet), p. 130. Juv. des Ursins (éd. Godefroy), p. 203-206. Chron. anon. (D. d'Arcq, Monstrelet), VI, 204. Pierre Cochon, Chronique normande (éd. de Beaurepaire, Soc. hist. de Norm.). Rouen, 1870, in-8°, p. 247248. Bibl. nat., Pièces orig. 985, n° 21976, p. 75. 3. Arch. nat., K. 57, n° 28. Original du traité de Buzançais, 14 novembre 1412. 4. Jean d'Angoulême nous paraît être né en 1399, entre le 1er mai et le 7 août. Cf. notre article sur l'établissement de cette date, Bibl. de l'École des chartes, 1895, t. LVI, p. 318-327. 5. Texte du traité cité suprà. Nous retrouverons plus loin chacun de ces personnages. leur réconciliation; l'appel fait aux troupes anglaises et le refus d'utiliser leur secours; l'épuisement financier de Charles d'Orléans et la conduite des négociations que lui laissèrent ses alliés; - voilà les causes de la captivité de Jean d'Orléans, comte d'Angoulême. II. Le jour même du traité de Buzançais, le 14 nov. 1412, Jean d'Angoulême, monté sur une haquenée noire, à longue queue, fut conduit avec honneur dans le camp des Anglais et sa captivité commença1. Il était sans doute impossible à l'origine de prévoir par quelle série d'événements cette captivité serait prolongée; cependant, avant la fin de cette journée, un acte déloyal, commis par Clarence, put sembler un présage funeste ce duc ajouta, de son autorité, 60,000 écus aux 150,000 inscrits dans le traité 2. La somme dont répondaient les otages fut alors, malgré les protestations des princes français3, portée à 210,000 écus. Maître des captifs, Thomas de Lancastre se jugeait maître de leur délivrance. C'était le droit du plus fort. 1. Brit. Mus., Addit. chart. 246 : « Sachent tuil que je, Bridart de Bruille, chevalier, confesse avoir... receu de Pierre Renier... la somme de 20 1. t. sur un voyage où mondit sgr [d'Orléans] m'envoye présentement, en la compaignie de Mgr le conte d'Angolesme, par devers le duc de Clarence et autres Anglois... xiiij jour de novembre 1412 » (Signature, orig. parchemin, sceau sur simple queue conservé). Le même jour mentionné comme jour du départ de Jean en compagnie de Macé le Borgne : Bibl. nat., nouv. acq. fr. 3641, coll. Bastard 661 et 663. Cf. Maulde la Clavière, Hist. de Louis XII, 1re partie, t. I. Paris, Leroux, 1889, in-8, p. 34 et n. 1. Sept jours auparavant on était déjà résolu à livrer Angoulême Brit. Mus., Addit. chart. 244, 245. Le marquis Delaborde, les Ducs de Bourgogne, t. III, 6222. 2. Arch. nat., J. 919, n° 25, fol. 25 vo : « Les Anglois... fistrent ung roolle avant partir où ilz demandoient LX mille escuz, oultre cent Là eulx promis, qui sont 210,000 escuz. » Cf. Ibid., J. 919, 25, fol. 4 v°; J. 919, 26, fol. 13 v°, 14 r°, 28 ro, 29 r°, 72 r°, 111 vo. Ibid., K. 59, 3. Nous possédons, au British Museum, Addit. chart. 1399, l'original de ce « rolle,» sur parchemin, revêtu de la signature autographe de Clarence et authentiqué par un sceau plaqué de cire rouge, entouré de pailles et protégé par une couverture de parchemin se levant ou s'abaissant à volonté. Cet acte est daté du 14 novembre 1412. La distinction formelle entre la somme de 150,000 écus consentie à Buzançais et le supplément de 60,000 écus arbitrairement exigé par Clarence est essentielle. Elle n'a pas été faite nettement jusqu'ici ni par les chroniqueurs ni par les historiens. 3. Arch. nat., J. 919, 25, fol. 5 v° : « Les seigneurs [français] ne le vouldrent accorder... > |