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Au défaut de l'ordinaire compagnie de Charles d'Orléans et des otages, le comte avait, du moins parfois, celle de son aumônier et de son précepteur'; celle surtout de deux domestiques d'une fidélité éprouvée Denis de Vaucourt2, dont il récompensa plus tard les services en lui donnant la sergenterie de toutes ses forêts 3; Colinet Goulon, dont les sentiments désintéressés le touchaient au cœur et qu'il prit hautement sous sa défense, après son élargissement, un jour qu'au château de Cognac un des premiers vassaux d'Angoumois s'oubliail à traiter Colinet en valet 5.

En plus de ceux de ses gens qui l'assistaient en Angleterre, le comte en avait qu'il employait comme messagers: il leur devait de rester en rapport avec les siens et avec le continent. L'un d'eux, Denisot Roger, traversait la mer sans relâche. Jean de Moncy avait plus d'activité encore. Toujours sur les chemins, arrêté à Londres, détroussé en Champagne, emprisonné un peu partout, en dépit de la guerre il n'interrompit jamais longtemps ses voyages, jusqu'au moment où, soupçonné de lèpre, le malheureux dut quitter sa femme, ses enfants, résigner ses offices et, « à grant douleur..., soy absenter du monde. » Enfin Angoulême recevait parfois « son très cher et grant amy3, » l'abbé de Saint-Jean d'Angély, Louis de Villars, frère d'Archambaud. Pendant quarante ans, ce religieux, sans oublier son couvent, où il édifiait les moines par sa piété, sut être pour la maison d'Orléans un infatigable négociateur 10. - Dans quelle mesure cependant laissait-on communiquer le comte avec ceux qui le visi

n° 20063, p. 7; 2334, n° 52557, p. 13, 14. 3478, 4311.

1. Brit. Mus., Addit. chart. 3493-3494.

Addit. chart. 66, 264, 3452,

2. J. Du Port, Vie de Jean d'A., citée, p. 41. Du Port écrit à tort Vaincourt. 3. Bibl. nat., fr. 26082, no 6618; 26083, no 6847 et signature; Pièces orig. 2160, 10, p. 675.

4. J. Du Port, op. cit., p. 41.

5. Ibid.

6. Brit. Mus., Addit. chart. 2452, 3628, 11523. Arch. nat., K. 64, 3718, fol. 1-5.- Hue de Saint-Mars faisait souvent aussi le voyage d'Angleterre. Pierre des Caves était également un des messagers de Jean depuis 1441. Addit. chart. 3936, 4432. Bibl. nat., Pièces orig. v. 659, n° 626, 629; v. 1022, n° 23381, p. 2; Ibid., Quitt. eccl. 4, fr. 25989, p. 628.

Bibl. nat.,

7. Brit. Mus., Historical and heraldic. tracts, etc., from the Joursanvault archives 11542. Plut. CLXXXVIII E. — Addit. chart. 265, 3493-3494. Pièces orig. 1993, no 45696, p. 6, 9.

8. Brit. Mus., Addit. chart. 337, 343, 3532. des chartes, 1855, t. XVI, p. 558.

9. Gall. christ., II, p. 1105.

Vallet de V., Bibl. de l'École

- Bibl. nat., Pièces orig. 3002, no 66639, p. 50. 10. Brit. Mus., Addit. chart. 337, 343. — Bibl. nat., Pièces orig. 3002, no 66639, p. 50; fr. 6212, no 530.

Rymer, V, part 1, p. 108.

taient? Quelle surveillance exerçait-on sur eux ? Nous voudrions le savoir et si on leur témoignait moins de défiance qu'aux envoyés reçus par Charles d'Orléans, lesquels étaient déshabillés et minutieusement fouillés. Dunois avait imaginé, et la ruse ne fut jamais éventée, de fixer sous la queue d'un chien barbet la correspondance destinée au prisonnier. L'animal, sur sa bonne mine, n'était pas fouillé1.

Le comte, dans cette demi-solitude, put-il toujours écarter l'ennui de sa prison? Il y a peu d'apparence qu'il ait réussi. Ses mouvements et ses pensées étaient épiés. Il se voyait entouré de solides gardiens quand on lui permettait de sortir pour la promenade. Chez lui, il s'interdisait de toucher aux dés et aux cartes. Et il distrayait, sans les remplir, les longs loisirs qu'on lui faisait par la musique, l'étude, les exercices de piété.

Il trouvait d'abord une douceur pénétrante aux sons de la harpe, qui le divertissaient de son souci 2. Puis les livres lui étaient un autre refuge contre la Fortune. Il acheva de 1412 à 1416 son éducation littéraire. Eudes de Fouilloy put, jusqu'à sa mort, lui continuer3 ses leçons, encore qu'il fit outre Manche de nombreux voyages. Jean eut aussi, sans doute, d'autres maîtres quand il mit son exil à profit pour apprendre l'anglais. Il étudia de fort près l'intéressante Poétique de Geoffroy de Vinesauf". Surtout, il goûta, dans la saveur originale du texte, les contes de Canterbury, du célèbre Chaucer. Il les fit copier par un scribe. Lui-même dressa une table, que nous avons conservée, pour retrouver plus vite, en leur lieu, les fins portraits du marchand, du marin, du cuisinier, du meunier; le visage souriant et la grâce aimable de la prieure, la bonhomie gaillarde et folâtre du frère quêteur. Malgré ce travail nouveau, l'influence de son premier précepteur semble avoir persisté longtemps sur Angoulême. Fouilloy exhortait son élève à prendre soin de son âme comme de son esprit. Il lui avait dédié un ouvrage de morale,

1. Cf. Maulde, op. cit., I, p. 44, n. 2.

2. J. Du Port, op. cit., p. 41.

3. E. Du Fouilloy était maître d'école de Jean le 20 juin 1408. Bibl. nat., fr. 6210. Joursanvault 334.

4. Brit. Mus., Addit. chart. 61, 62 (signature originale), 257, 274, 3497. Arch. nat., K. 64, 377b, 8, 9. — Laborde, Preuves des ducs de Bourgogne, citées, III, 6231. Rymer, t. IV, part 1, p. 46.

5. Bibl. nat., ms. angl. 39, fol. A (garde du plat supérieur).

6. Le comte copia in-extenso cette poétique et l'annota. Bibl. nat., ms. lat. 8174, fol. 1 r°-37 v (Geoffroy « Vino-Salvo » est un poète anglais du XIIIe siècle. Sa poétrie a 2,000 vers. Cf. Leyser, Hist. poetarum medii aevi. Halae-Magdeb, 1741, p. 855).

écrit pour lui, et sans doute un « Manuel de Salut'. » Et ce fut justement vers la philosophie pratique et vers Dieu que Jean se sentit irrésistiblement attiré. Il composa, lui aussi, une sorte de Recueil de maximes vertueuses et il fit le commentaire des Distiques de Caton3. Il copia, analysa, annota de sa main la Consolation de Boëce. Il était naturel qu'il cherchât à sa vie quelque soulagement dans le souvenir des tortures qu'endura ce sage. Comme le prisonnier de Théodoric, il faisait effort pour rendre son âme invulnérable; comme lui, il aspirait à devenir indépendant des choses du dehors, à assurer la victoire de sa volonté sur la destinée présente. Et il nous a laissé la preuve touchante qu'il attacha très fortement son attention à ce mot du philosophe latin : « Les vrais malheureux sont ceux qui font le mal, non ceux qui le subissent 5. » Faut-il douter qu'en essayant deux traductions de cette pensée, Angoulême fit un retour sur lui-même et songeât à sa propre condition? Enfin, c'est surtout dans les bras de Dieu qu'il aimait plus qu'ailleurs à chercher le repos. Il demandait à son aumônier de l'aider à élever son cœur par la prière, à se hausser jusqu'à la vraie patrie chrétienne, celle dont nulle force humaine ne saurait le bannir". Les Méditations de saint Anselme, qu'il transcrivait avec John Duxwurth, son copiste, le poussaient à humilier sa raison pour exalter sa foi et à s'abandonner sans réserve à la joie infinie de croire".

S'il eût craint de vivre longtemps dans les hauteurs sereines où le transportaient la musique, la philosophie, la religion, il lui aurait été facile de redescendre au milieu de ses contemporains, en ouvrant la Chronique de son temps que lui avait envoyée Cousinot.

Au reste, les misères pécuniaires, contre lesquelles il se débattait, auraient suffi à l'empêcher de sortir vraiment de son siècle et de

1. J. Du Port, cité, p. 63. Cf. n° 127, De l'inventaire manuscrit de la bibliothèque de Jean, que nous publierons prochainement.

2. J. Du Port, cité, p. 64.

3. Ibid.

4. Invent. ms., cité, no 86.

5. Ibid., Bibl. nat., lat. 6773, fol. 89. Le comte a cherché deux traductions de cette pensée.

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Jean avait, malgré sa pauvreté,

6. Brit. Mus., Addit. chart. 3493-3494. acheté à Londres le Rational des divins offices de Guillaume Durand, qui avait appartenu à Charles V. Bibl. nat., fr. 437. Cf. Paulin Paris, mss. fr..., II, 57 et suiv.; IV, 101 et suiv.; VII, 278. Hist. litter. de France, 1842, XX, 311-397 et 794-795. Invent. ms., cité, n° 2.

7. Invent. ms., cité, n° 43, 107-135.

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Bibl. nat., lat. 3436.

8. Invent. ms., cité, no 151. Bibl. nat., fr. 5699. C'est d'après ce ms., ayant appartenu au comte et qui fut annoté par lui, que Vallet de V. a publié la chronique de Cousinot.

s'oublier dans le domaine de l'Idée. Jamais Berry ni Bourbon ne contribuèrent aux frais de son entretien '. Ces dépenses demeurèrent à sa charge et à celle de son frère. Les Anglais avaient eu garde d'épargner aux deux prisonniers ce qui fut pour ceux-ci un souci constant et cruel. Avant la fin de 1412, Charles d'Orléans avait envoyé une somme insuffisante, 750 liv. t., pour l'hôtel de Jean. A la fin de 1443, il lui fit remettre 2,000 écus d'or 2. Il apprenait peu après que le comte avait éprouvé les premières atteintes de la gêne; il en fut attristé3. Il voulait que son frère fût en état de soutenir l'honneur de son nom, et il lui assigna 6,000 liv. t. de pension, sur lesquelles 1,000 pour les otages. Le chiffre était, assurait le duc, provisoire; il ne fut pas élevé néanmoins. Il y a mieux de janvier 1448 (n. st.) à janvier 1420 (n. st.), Jean ne toucha pas un denier. Il fut heureux de trouver, à l'issue de ces deux années de disette, un prêt modeste de 220 liv.5. Il n'aurait pas eu le courage de faire entendre ses protestations à Charles, qui, lui-même, restait quinze mois de plus sans argent. En 1427, le comte, dont les 6,000 liv. de rente étaient toujours fictives, reçut enfin la recette du grenier à sel d'Orléans 7. Hélas, il n'en fut pas plus riche c'était précisément l'époque où la courageuse cité avait à soutenir le siège héroïque qui l'a illustrée, et les succès de Jeanne d'Arc n'avaient pu faire que le pays ne fût ruiné. Il fallut, en conséquence, octroyer à Jean un supplément pécuniaire. Le taux en varia souvent jusqu'en 1437, où il fut arrêté à 600 écus. Pour faire tenir au prince ces maigres sommes, le trésorier ducal les enfermait dans des bouteilles de cuir accouplées deux à deux. L'on voit assez que ces bouteilles n'encombrèrent jamais le logis du comte...

1. Brit. Mus., Addit. chart. 70, 71.

:

2. Bibl. nat., nouv. acq. fr. 3641, 3642, 681.

(17 décembre 1412).

3. Brit. Mus., Addit. chart. 61.

Coll. Bastard 661 et 665

4. Brit. Mus., Addit. chart. 61, cit., 62, 59, 257, 3460, 3642. l'École des chartes, t. XVI, p. 556.

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5. Bibl. de l'École des chartes, t. XVI, cité, p. 556 et suiv. Cela ressort du tableau des sommes portées en Angleterre pour l'entretien du comte d'Angoulême. 6. Arch. nat., K. 64, 3718.

7. Bibl. de l'École des chartes, t. XVI, p. 555 et suiv., citées. En outre : Brit. Mus., Addit. chart. 313, 3496, 3532, 3560, 3610, 3612, 3822. Arch. nat., K. 59, 30, 30 bis, 32, 32 bis; K. 62, 5; K. 64, 3719; K. 64, 3718, fol. 7 r°. Bibl. nat., Pièces orig. 1260, n° 28223, p. 11; 2157, 7, 510, 525; 5128, 8, 523526; fr. 20379, fol. 3; nouv. acq. fr. 3642.

8. Taux variable j. en 1437, Brit. Mus., Addit. chart. 3626, 3660 (12 novembre 1431); Bibl. nat., nouv. acq. fr. 3645 (coll. Bastard), 23 mars 1429. Taux fixé : 22 mai 1437, Addit. chart. 428; 12 décembre 1443, Addit. chart. 3974, 5. 9. Brit. Mus., Addit. chart. 3481 et 3496: « Quatre bouteilles de cuir, accou

Pour trouver de quoi vivre, Angoulême était réduit, par suite, à emprunter, soit aux Anglais', soit à ses propres serviteurs 2. Il acceptait jusqu'à l'argent que gagnait Collinet de son métier de tailleur 3; et il avouait que, bien des fois, sans le secours de cet homme, « il n'eust pas mangé de rosti1. »

Les princes n'achetaient, cependant, en Angleterre que ce qu'il leur était impossible de faire venir de leurs domaines. Ils buvaient le produit de leurs terroirs de Blois et d'Orléans. On leur envoyait du vin rouge, du vin blanc, du vin clairet. Le chancelier Cousinot le faisait charger sur la Loire et conduire par bateaux jusqu'à la mer. Les seigneurs riverains, sur sa supplication, accordaient, par amitié et pitié pour les captifs, l'exemption des droits de péage. Les menus objets de toilette étaient aussi tirés de France: peignes d'ivoire, rasoirs émaillés, aux armes des deux frères, miroirs, ciseaux de Clermont, enfermés dans des bourses de chevrotin, doublées de soie, lancettes à saigner, dans leur étui. On faisait provision de sucre de Lombardie. Le comte avait emprunté aux châteaux patrimoniaux le linge et les draps qui lui étaient nécessaires, ses chaperons, sa garde-robe. Il avait fait transporter les tentures, les tapis, le lit et le ciel d'une chambre très simple, sans or, de laine blanche, ornée seulement d'un glaïeul brodé, auprès duquel était une femme debout 5.

IV.

Une existence aussi sédentaire et recluse, aussi monotone et besogneuse n'était guère tolérable que par le persévérant espoir, que nourrissait Jean d'Angoulême, de sortir enfin d'Angleterre.

plées deux et deux, garnies de courroies et de soubz-ventrières, pour mettre et porter finance par devers mondit seigneur le duc [d'Orléans] et Mgr d'Angoulesme, son frère, en Angleterre. »

1. Brit. Mus., Addit. chart. 11826. Emprunt à Gower.

2. Ibid. 11542. Plut. CLXXXVIII E.

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Bibl. nat., nouv. acq. fr. 3645 (Bastard 1282). Emprunts à Jehan de Saveuzes, Jehan de Moncy, Cognac.

3. J. Du Port, op. cit., éd. Castaigne, p. 41. — Arch. nat., KK. 239, fol. 11 vo ; P. 1403, 1, 33. Bibl. nat., Pièces orig. 2161, 11, n° 723; 15127, n° 11; fr. 26084, no 7095; 26089, n° 385; 26090, n° 410.

4. Du Port, op. cit. : « Sans luy, il eust souvent jeusné et n'eust mangé de rosti, sinon que Collinet gaignast de l'argent de son mestier de tailleur, » p. 41. Du Port tient sans doute ce renseignement d'un des témoins interrogés en 1518, lors de l'enquête faite pour canoniser Jean d'Angoulême. Sur les sources de J. Du Port, cf. notre article Bibl. de l'École des chartes, 1895, LVII, p. 320-322. 5. Brit. Mus., Addit. chart. 10962, 3481, 11523, 264, 267, 2807. — Bibl. nat., Pièces orig. 2157, 7, p. 509.

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