L'ART DE FAIRE VIVRE LES ARMÉES

Étude historique

DES MOYENS EMPLOYÉS CHEZ LES ANCIENS ET CHEZ LES MODERNES.

PAR

M. S. B. M. LE BRETON,

Ancien capitaine d'état-major, ex-sous-intendant militaire du Grand-Quartier général de l'armée d'Italie, membre de la Société d'Agriculture, belleslettres, sciences et arts de Poitiers, membre de la Société des Antiquaires de l'Ouest.

<< Vos maîtres, disait Cambyse à Cyrus, vous ont-ils » donné quelques leçons d'économie ? C'est-à-dire de ⚫ la manière dont il faut pourvoir aux besoins d'une armée, préparer des vivres, prévenir les maladies, » songer à la santé des soldats, fortifier leurs corps ⚫ par de fréquents exercices, exciter parmi eux l'ému»lation, savoir se faire obéir, se faire estimer, se

faire aimer des troupes ? Sur chacun de ces points Cyrus répondait qu'on ne lui en avait jamais dit » un mot, et que tout cela était nouveau pour lui. » Eh! que vous a-t-on donc montré? A faire des » armes, reprit le prince, à tirer de l'arc, à lancer un javelct, dessiner un camp, tracer un plan de for»tification, ranger des troupes en bataille, en faire » la revue, défiler et camper. Cambyse se mit à rire et fit entendre à Cyrus qu'on ne lui avait rien appris de ce qu'il y a de plus essentiel pour un bon ⚫ officier et pour un habile général.

A

(XENOPHON, CYROPÉDIE, liv. Jer, ch vi.)

« L'art de la guerre est l'art de diviser son armée - pour la faire vivre, et de la concentrer pour com

Dans une société qui s'occupe plus spécialement des progrès de l'agriculture, cette mère nourricière des peuples, on ne peut que s'intéresser à la relation des moyens mis en œuvre, aux différentes époques, pour assurer la subsistance des armées, cette partie importante des nations. Nous allons donc rechercher et coordonner les faits qui se rapportent à l'art si difficile de faire vivre les armées en campagne.

Nous consulterons, à cet effet, l'histoire grecque, l'histoire romaine, et notre propre histoire, et nous suivrons de préférence les grands capitaines, certains que nous sommes de

trouver dans le récit de leurs opérations de précieuses indications; car l'homme de guerre complet, comme le disait Cambyse à Cyrus, apporte un soin tout particulier à l'accomplissement d'une partie si essentielle de sa mission.

Xénophon, le plus ancien des écrivains militaires, appellera tout d'abord notre attention et ce ne sera pas sans étonnement que nous relèverons dans ses ouvrages, si dignes d'admiration, des détails, habituellement négligés par les historiens, et qui nous prouveront le vif intérêt qu'il prenait au bien-être de ses soldats.

Alexandre, Annibal, César, les principaux généraux français, et Napoléon enfin, qui les surpasse tous, seront successivement l'objet de notre étude, dont le but sera atteint si nous parvenons à justifier l'honorable bienveillance que nous ont toujours témoignée les membres de cette savante société.

PREMIÈRE PARTIE.

LES GRECS ET LES ROMAINS.

LIVRE PREMIER.

LES GRECS.

CHAPITRE PREMIER.-XENOPHON.

Siége de Troie.-Institutions militaires des Grecs à l'époque de la guerre médique. — Cyropédie. — Cyrus se prépare à la guerre contre les Assyriens. -Défaite des Assyriens.— Approvisionnements. — Vivandières et marchands. Marche rapide au secours de Gadatas. Paix pour les cultivateurs, guerre entre les gens armés.-Quartiers d'hiver.-Marche des Perses contre Crésus. -Dispositions prises par Cyrus.-Défaite de Crésus.—Prise de Babylone. Conquête de l'Egypte.-Résumé.-Cambyse.-Darius.-Xerxès.-Anabase - Expédition du jeune Cyrus. Sa mort.- Retraite des Dix-Mille.-Route des Grecs. Xénophon est un de leurs chefs.- Mode employé pour la subsistance de l'armée. Elle souffre du froid et de la faim. - Arrivée sur le bord de la mer.-On recherche des navires.-Commissaires des vivres.

Les opérations militaires sont forcément subordonnées aux moyens de subsistance dont on peut disposer: toute négligence à l'égard de l'alimentation du soldat peut avoir les conséquences les plus graves sur l'issue d'une campagne.

Ainsi, Thucydide nous apprend que lors de la guerre de Troie, ce fut la difficulté de l'entretien des troupes qui obligea les Grecs à ne lever qu'une armée peu nombreuse, et fit durer dix ans ce