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auroit pu faire; c'eft un trait neuf, frap pant, & prefque fublime.

Les Mémoires pour la Vie de Malherbe par le Marquis de Racan, précèdent les Poëfies. Ils contiennent beaucoup de particularités remarquables; c'eft proprement un Malherbiana. Je vous en rappellerai quelques traits, & j'omettrai ceux que je vous ai cités autrefois en différentes occafions.

François de Malherbe nâquit à Caen vers l'an 1555, c'eft-à-dire, il y a plus de 200 ans. Il étoit de l'illuftre Maifon de Malherbe Saint-Aignan ; il fuivit en Provence le Grand-Prieur, Henri d'Angoulême, fils naturel du Roi Henri II, Son nom & fon mérite furent connus de Henri IV, qui le retint à fon fervice. Il eut fur-tout pour protecteur & pour ami le Duc de Bellegarde, Grand-Ecuyer de France. Ses manières étoient impolies, fon humeur chagrine, fa converfation brufque, fes propos durs; mais il ne difoir prefque pas un mot qui ne portât. Un de fes neveux, en fortant du Collège, l'étant venu voir, il lui demanda s'il étoit bien fçavant, & fur le champ lui ouvrit un Ovide pour en juger par lui même. Le neveu ne fit que

balbutier; Malherbe lui dit : Croyez-moi, foyez vaillant, vous ne valez rien à autre chofe. Un Gentilhomme de fes parens faifoit tous les ans des enfans à fa femme; Malherbe se fâcha contre lui, dans l'idée que cette nombreuse famille dérangeoit fes affaires. Le parent répondit qu'il ne pouvoit avoir trop d'enfans, pourvu qu'ils fuffent gens de bien. Malherbe lui dit féchement, qu'il aimoit mieux manger un chapon avec un voleur qu'avec trente Capucins. La façon de corriger fon valet étoit affez plaifante. Il lui donnoit dix fols par jour, ce qui étoit honnête en ce temps-là, & vingt écus de gage par an. Quand il avoit manqué à fon devoir, Malherbe lui faifoit très férieufement cette remontrance: Mon ami, quand on offense son maitre, on offenfe Dieu; & quand on offenfe Dieu, il faut avoir abfolution de fon péché, jeûner, & donner l'aumône. C'est pourquoi je retiendrai cinq fols de votre dépense, que je donnerai aux pau

vres,

à votre intention, pour l'expiation de vos péchés. Etant allé vifiter la Ducheffe de de Bellegarde un matin, après la mort du Maréchal d'Ancre, comme on lui dit qu'elle étoit à la Meffe:

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A-t-elle quelque chofe, répliqua-t-il‚à demander à Dieu, après qu'il a délivré la France du Maréchal d'Ancre. Ses amis louant beaucoup un livre d'Arithmétique d'un auteur Grec nommé Diophante, & commenté par Méziriac, il demanda s'il feroit amander le pain. Il perdit fa mère étant âgé de plus de 60 ans, &, comme la Reine-Mère lui envoya un Gentilhomme pour le confoler, il dit : Qu'il ne pouvoit je revancher de l'honneur que lui faifoit la Reine qu'en priane Dieu que le Roi fon fils pleurát fa mort auffi vieux qu'il pleuroit celle de fa mère: réponse qui me paroît admirable par un certain naturel touchant qui la caractérife. Vous faites bien le galant & l'amoureux des belles Dames, difoit-il un jour au Duc de Bellegarde; lifez-vous encore à livre ouvert? M. de Bellegarde ayant Malfièrement foutenu l'affirmative, herbe ajoûta Parbleu, Monfieur, j'aimerois mieux vous reffembler en cela qu'en votre Duché. Pairie.

Notre Poëte n'aimoit pas les fictions poëtiques, quoiqu'il en ait mis dans quelques uns de fes ouvrages. Regnier, dans un Elégie à Henri IV, ayant feint que la France s'étoit enlevée

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dans les Cieux pour fe plaindre à Jupiter des maux de la Ligue, Malherbe lui demanda en quel temps cela étoit arrivé, difant qu'il ne s'étoit point apperçu, depuis cinquante ans qu'il vivoit, que la France fe fût enlevée hors de fa place : mauvaise & froide épigramme, quand il s'agit de poëfie! Lorfqu'on lui parloit d'affaires d'Etat, il avoit toujours ce mot à la bouche: Il ne faut point fe mêler de la conduite d'un vaiffeau où l'on n'eft que fimple pallager. Il ne vouloit pas qu'un François composât des vers dans une autre langue que la fienne, & difoit que, fi Virgile & Horace revenoient au monde, ils donneroient le fouet à Bourbon & à Sirmond, deux grands faifeurs de vers Latins.

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Une heure avant que de mourir après en avoir été deux à l'agonie, il fe réveilla comme en furfaut, pour reprendre fon hôteffe d'un mot qui n'étoit pas bien François à fon gré. Son Confeffeur lui en fit une réprimande; Malherbe lui dit : Qu'il ne pouvoit s'en empêcher, & qu'il vouloit défendre jufqu'à la mort la pureté de la langue Frangoife. Malgré cette incarta de poëtique, il mourut à Paris avec des fentimens très

Chrétiens en 1628, âgé de foixante & Freize ans. On l'accufe d'un peu trop de jactance poëtique; il imite fouvent Horace dans fon Exegi monumentum, &c. Cependant il difoit qu'un bon Poëte n'étoit qu'un bon joueur de quilles, & qu'il n'étoit pas plus utile à l'Etat. Il fe trompoit; un Etat peut fans doute être tranquille fans les arts d'agrément; mais il ne fera grand que par eux. Aufsi, quand l'enthoufiafme faifit Malherbe, & le met dans une efpèce d'exaltation. qui n'a plus rien de misantropique, il chante le triomphe & l'avantage des grands talens; c'eft alors qu'il dit à son Roi ce que je puis dire de lui, comme fon plus parfait éloge :

Les ouvrages communs vivent quelques an nées ;

Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

Je me flatte que ceux qui ne l'ont jamais ou qui l'ont mal lu, penferont comme moi, s'ils veulent fe donner la peine ou plutôt le plaifir de fuivre le détail curieux de fes Poëfies, où regnent par-tout une force de raifon, une chaleur vive & foutenue, des images grandes & nobles, une certaine plénitude

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