Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

& fes exemples changèrent donc la langue & la Poëfie Françoife; on en recueille déja les fruits dans la Profe de Balfac, & dans les Poëfies de Mainard & de Racan, tous deux fes difciples, & même dans les ouvrages de ceux que fa critique offenfoit, & qui fe plaifoient à le cenfurer : tels étoient Berthelot & Regnier. L'Editeur parcourt enfuite les corrections de Malherbe, qu'il a trouvées écrites de fa main fur les marges d'un exemplaire des œuvres de Def portes, toutes judicieufes & conformes au bon goût. On voit par fon ftyle combien il étoit vivement affecté des défauts qui le choquoient. Ses expreffions font quelquefois un peu dures; mais on peut les pardonner à ce ton de maître qu'il étoit en droit de prendre pour inftruire fon fiècle; & d'autant mieux qu'il cenfure des fautes dont fes propres vers ne font pas exempts. Vous fentez bien, Monfieur, que l'Editeur rapporte des chofes qui nous font aujourd'hui très-familières; mais du temps de notre Poëte elles, étoient prefqu'entièrement ignorées. Les écrivains de fon fiècle poffédoient un grand fond de Littérature fans aucun goût; leur jugement n'étoit

pas dans l'habitude de réprimer la fougue de leur imagination; leurs productions n'étoient que des efforts de génie & de mémoire. Les remarques dont Malherbe avoit chargé les marges de fon exemplaire des vers de Defportes ont pour objet la verfification, la langue & les penfées. Tout eft curieux dans ce qu'il dit de ces trois points effentiels en Poëfie, pour un Littérateur qui veut approfondir le mérite de ce grand hom

me,

& comme Poëte & comme Maître. Il y a même à profiter pour nos écrivains d'aujourd'hui, qui tombent dans certains défauts relevés par cet ancien légiflateur. Dans la verfification Malherbe profcrit les enjambemens d'un vers à l'autre, les mauvaises céfures ou faux repos de l'hémiftiche, les rimes défectueufes, la rime ou confonance de l'hémiftiche avec la fin du vers, & de la fin d'un vers avec l'hémiftiche du précédent, les inverfions ou tranfpofitions dures & forcées, la cacophonie, c'eftà-dire, l'union de fons qui s'allient mal enfemble, les mêmes fons trop voifins les uns des autres, & furtout les fuites de fyllabes qui commencent par la même confonne, les chevilles, & diverfes négligences, &c, &c. Voilà, ce me fem

ble, une espèce de miroir où chacun de nos rimeurs peut fe regarder, & voir les taches de fes ouvrages. L'article du langage n'eft pas moins utile. Sans par

ler des folécifmes & des barbarifmes fort communs dans ce temps-là, Malherbe condamne les termes ou les tours impropres, les mauvaises conftructions, les expreffions baffes & triviales, celles qui font indécentes ou fauffes, les Tautologies ou répétitions inutiles, enfin l'obfcurité, le galimatias & l'équivoque: vices de ftyle que l'on trouve encore dans quelques écrits de notre fiècle, en dépit de la critique ancienne & moderne. Mais l'article le plus important pour nous eft celui des penfées. A ce fujet l'éditeur nous apprend que Malherbe étoit fi honteux d'avoir fait affaut de bel-efprit avec le Tanfillo, que tout ce qu'il rencontroit d'approchant du mauvais goût des Italiens le mettoit, pour ainfi dire, en colère. Il rejette donc fans pitié les Concetti, les puérilités ou niaiseries, les pédanteries on l'érudition hors de propos, & l'affectation d'efprit, ce qui peut comprendre auffi les fauffes applications de l'Hiftoire, de la Fable, &c, les métaphores, les comparaisons & les

allégories vicieuses, les épithètes mal choifies, les idées déplacées, les renverfemens d'idées, les idées difparates, les pensées apparentes, les penfées incomplettes, les penfées rédondantes, les penfées contradictoires, les penfées fauffes, les abfurdités, les traits mal imaginés, ou les mauvaises inventions, &c, &c.

Toutes ces critiques de Malherbe font éclaircies par des exemples de Defpor tes, qui fournit des fautes & des vices de ftyle dans tous les genres. Je ne craindrai point de dire qu'il feroit difficile d'imaginer une Grammaire Poëtique, fi je puis ainfi l'appeller, plus fçavante & plus inftructive. Vous conviendrez, Monfieur, que tout cela rapproché des écrits de Malherbe fait voir en lui un poëte attentif à la recherche de ce qui pouvoit rendre notre verfification plus parfaite qu'il ne l'avoit trouvée, un maître en l'art d'écrire, inftruit des règles de la langue, au fait de fon véritable génie, & capable d'apprendre aux autres l'heureux fecret de joindre à fa pureté des agrémens qu'elle ne connoiffoit point encore; enfin, un juge excellent qui, perfuadé, fans contredit, que

l'Eloquence & la Poëfie font du reffort de l'imagination, croyoit que celle-ci devoit être conduite par la raifon & le bon fens. Il falloit qu'il fût tout cela pour opérer parmi nous l'heureux changement dont nous lui fommes redevables. C'est ce que l'Editeur rend fenfifible par cette réimpreffion de fes œu vres. Son deffein n'a pas été de le faire connoître uniquement comme poëte ; il a voulu le peindre encore comme le reftaurateur de la langue & de la Poëfie Françoife. Pour y réuffir, il ne pouvoit mieux faire, fans doute, que de donner fes Poëfies dans l'ordre qu'il les a écrites. Différens Recueils de Poëfies imprimées depuis 1599 jufqu'en 1630, les Lettres de Malherbe, les Obfervations de Ménage, d'autres livres & des conjectures bien fondées ont fait entrevoir à l'Editeur laborieux & pénétrant le temps a peu près où pouvoit avoir été compofée la plus grande partie de ce qui n'a pas dans Malherbe des événemens publics pour objet ; il a daté 104 pièces de 119 que contient cette nou. velle édition. C'étoit le véritable & feul moyen de mettre le lecteur en état de comparer Malherbe avec lui

« VorigeDoorgaan »