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& ignorans, Sages & Philofophes v. Je vois parfaitement, Monfieur, l'intervalle immenfe qui fépare les Grands du peuple, les connoiffeurs des ignorans. Mais je vous avoue que je ne conçois pas comment les Sages font en contrafte avec les Philofophes. J'avois pensé jufqu'ici que la Sageffe & la Philofophie étoient fynonimes. Ceux qui, dans la Grèce, s'occupèrent les premiers ou de la morale, ou de la contemplation de l'univerfalité des chofes, furent appellés Sages. Il eft vrai que ce nom parut trop faftueux à Pythagore. Il fçavoit que la Sagelle ne pouvoit appartenir qu'à l'Etre Suprême, & connoiffoit trop bien la foibleffe de l'humanité pour fe parer d'un titre abfurde & vain. Il fe conrenta donc de celui d'Amateur de la Sageffe; ce que veut dire le nom de Philofophe qu'il fe donna. C'est le feul en effet qui puiffe convenir à l'efprit même le plus profond & le plus éclairé. Mais, quoique l'homme ne puiffe avoir réellement que cette forte de Sageffe, Sage & Philofophe eurent toujours la même fignification. Depuis quand, Monfieur, ces deux noms font-ils tellement diftin

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gués que l'un foit devenu le contraire de l'autre ? Je ne connois pas dans la République des Lettres une époque plus intéreffante. Daignez, Monfieur, nous marquer cette époque. Si vous pouviez y joindre les raisens qui ont occafionné cette étrange révolution, vous oblige. riez quantité d'honnêtes gens qui, fans cet éclairciffement, cefferoient de cultiver la Philofophie, par la crainte de renoncer à la Sageffe.

Réponse.

Ce que l'auteur de cette lettre dit des mots Sageffe & Philofophie eft trèsjufte. Les Sages & les Philofophes des premiers temps ne s'occupoient en effet que du progrès des lumières humaines ou du bonheur de la fociété. Mais ces temps furent de courte durée. On vit bientôt à cette Philofophie de raifon & de vertu fuccèder une Philofophie d'orgueil & d'intérêt. Les Athéniens euxmêmes proftituèrent les Sciences & les Arts au point d'en faire un trafic honteux; & ce font ces Philofophes que Socrate pourfuivit avec tant de chaleur comme l'espèce la plus ridicule & la

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plus incommode. Ils devinrent l'objet du mépris, & même de l'indignation publique ; & lorfque dans une affemblée, il fe trouvoit un homme qui faifoit un grand étalage d'érudition, qui fe vantoit de pouvoir differter fur les fecrets de la nature, fur les principes de la Morale, fur l'origine & la chaîne de nos connoiffances, fur les procédés des Arts: c'est un Sophifte, s'écrioit-on, comme fi on eûr dir: C'eft un Charlatan. Je ne dois pas cependant diffimuler que vers le temps du Grand Théodofe le mot de Sophifte reprit faveur. Libanius, qui repréfenta avec tant de force à cet Empereur les exactions des Magiftrats & l'infortune des Citoyens, fe tint honoré de cette dénomination. Mais le peuple ne put jamais en prendre une idée avantageufe, & le ridicule qu'on y avoit attaché, & qui en faifoit craindre l'application, fubfifta toujours. L'auteur de la Lettre peut maintenant réfoudre lui même fa difficulté. Qu'il examine s'il y a autant de diftance entre les Sages & les Philofophes modernes, qu'il y en avoit entre les Philofophes & les Sophistes de l'Antiquité; ou, s'il ne veut pas s'en donner la peine, qu'il attende AN. 1757. Tome VII.

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l'irréfragable décifion des Encyclopédiftes aux mots Philofophie & Sageffe. Ces Meffieurs font très-propres à faire fentir la différence qu'il y a entre ces deux

mots.

Je fuis, &c.

A Paris, ce 10 Novembre 1757.

LETTRE IX.

Fables de Phèdre.

Es Libraires Lottin, Butard, Hẻ

Lriffant, rue Saint-Jacques, & De

faint, rue Saint-Jean de Beauvais, ont mis en vente un volume in-12 de plus de deux cens pages, fous le titre de Fables de Phèdre, avec des notes, des éclairciffemens & un petit Dictionnaire à la fin, à l'ufage des Commençans, par M, ***. Maître-ès-Arts dans l'Univerfité de Paris. Comme l'auteur de cet ouvrage fe propofe l'inftruction & le fou lagement de l'enfance dans l'étude de la langue Latine, il exagère les peines infinies qu'éprouve la jeuneffe pour par venir à la connoiffance de cette langue

difficile. Il prétend même que les élèves n'en acquièrent jamais une parfaite, connoiffance; il pouvoit auffi l'affûrer des Maîtres. Les langues mortes ne s'apprennent point parfaitement. C'est un dédale où l'on ne marche qu'à tasons, & fans autre fil que celui de la vraifemblance. Mais il s'agit d'épargner des défagrémens aux Difciples & aux Maîtres, & l'auteur fe flatte d'y être parvenu. Cependant il avoue modeftement que tous les avantages de fa Méthode ne font pas de fon invention; qu'il a feulement trouvé l'art de les réunir tous enfemble dans un même plan qui lui appar tient. A cet égard il rend juftice à la Méthode du Port-Royal, & autres ouvrages poftérieurs de cette efpèce. Il parcourt les difficultés de la Syntaxe. La première eft de connoître la fignification des termes. Il cite pour exemple le mot fecifti, qui lui feul doit donner bien de l'embarras. Il faut fçavoir d'cù ce terme dérive: car on ne trouve pas dans le Dictionnaire fecifti. Quand on tient fa dérivation de facio, il s'agit du véritable fens qu'il a dans la circonftance préfente de la phrafe: un même mot a prefque toujours des fignifica

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