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dès-lors le Peuple & le Sénat, ont droit d'appeller des défenfeurs. En effet dans cette Pièce, le petit nombre des Corinthiens qui traverfent l'élévation de Timophane, font venir des Spartiates. Timoléon, de fon propre mouvement, attaque, tue, taille en pièces ceux dont fa Patrie a réclamé le fecours: & Timoléon eft un Héros! Il prend la réfolution de faire affaffiner fon frère il veut avoir une dernière entrevûe avec. lui, s'il ne réuffit pas,

Attendez le fignal entre nous concerté ;
Soyez près de ces lieux..

Timophane vient feul & dans la nuit chercher Timoléon, qui lui débite des maximes communes, & finit en difantque fes avis font peut-être ceux des Dieux, & que, fi quelque citoyen lui: ôtoit la vie, tout ce peuple qui lui est fi dévoué, chériroit fon vengeur. Timophane eft vraiment intéreffant.

Sont-ce là tes projets ? Serois-tu ce vengeur? Ton cœur eft- il jaloux de cet excès d'hon

neur?

Enfin, t'es-tu promis de détefter ton frère;

De plonger dans mon fein une main meur

trière ?

Va, tu voudrois envain m'infpirer cet effroi ;
Je ne ferai jamais en garde contre toi.

Mon Palais eft le tien, & rien ne nous fépare.
Je croirai, malgré toi, que tu n'es point bar-
bare,

Et que Timoleon, file Ciel veut ma mort, Tout citoyen qu'il eft, pleurera fur mon fort. Mais quel abattement fe peint fur ton vifage! Quel chagrin fi preflant a vaincu ton courage. Sa douleur (à part) m'attendrit, il le faut évi

Adieu.

ter.

Le croiriez-vous, Monfieur? TimoLeon donne le fignal; les conjurés entrent & poignardent Timophane, qui tombe dans les bras de fa mère en s'écriant ma mère, ils m'ont percé de coups.. Le Parterre a ri probablement de cette exclamation; il me femble entendre un petit garçon dire, ma mère, ils m'ont battu. Mais laiffons cet enfantillage. Et Timoléon eft un Héros après un crime auffi horrible! Ce n'eft point l'affaffinat de Timophane fur le Théâtre que je condamne; c'eft la manière dont il eft ame né ce font les circonstances dans lef

quelles il eft commis. Qu'Atrée faffe boire à Thiefte le fang de fon fils, c'eft fans doute une action plus atroce que celle d'affaffiner fon frère; & cependant la dernière Scène de la Tragédie d'Atrée eft moins révoltante que la dernière Scène du Drame de Timoléon : four. quoi? Parce qu'Atrée eft cruel, barbare, ingénieux & profond dans l'art de la vengeance. Le Poëte le donne pour tel dans tout le cours de la Pièce; le dénoûment eft conféquent à fon caractère; ce dénoûment eft regardé comme un forfait abominable, & perfonne ne s'y trompe. Mais qu'un Républicain vertueux, une ame honnête & fenfible dans l'inftant même où fon frère fe jette dans fon fein & l'accable de fon amitié, appelle les poignards aux yeux du Spectateur, & les dirige vers le cœur que fon frère lui confie; que cette action ne foit point préfentée comme un trait féroce de perfidie, mais comme un acte généreux de patriotifme: voilà ce qui foulève, ce qui fait fremir toutes les ames qui ont quelque humanité.. Pour effacer un tableau auffi dégoûtant, relifez, Monfieur, le cinquième Acte du Brutus de M. de Voltaire. Avec

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quel art & quelles bienféances il a préparé la condamnation d'un fils par fon père! Comme Brutus eft grand & intéreifant dans le moinent de fa plus grande févérité! Comme on pleure avec lui! Comme on le refpecte & comme on le plaint! Timoléon, après fon attentat, n'éprouve pas même des remords, tandis que, felon l'Hiftoire, il en eut de très-cruels pendant toute fa vie. Il répond froidement à fa mère qui l'appelle barbare:

En perdant votre fils, n'accufez que les Dieux;
Et fi ma bouche encor leur adreffe des vœux,
Je leur demanderai de confoler ma mère.

Eft-ce là le langage de la nature? Eft-ce-là ce déchirement qui doit fe faire fentir au cœur d'un frère qui vient, en quelque forte, de tremper fes mains dans le fang de fon frère? Enfin, eftce un tel monftre qu'on veut me faire regarder comme un Héros?

Ifménie eft une bonne mère, trèscommune, très triviale. Il paroît qu'elle aime mieux Timophane que Timoléon, cet amour de préférence la rend plas bourgeoife encore.Nulle grandeur, nulle

dignité, nulle activité dans la Pièce elle n'y fait rien que gémir, foupirer, fe lamenter. On la voit courir fans ceffe de Timophane à Timoléon, de Timoléon à Eronime, fans que fes allées. & venues maternelles avancent ou retardent l'action. C'eft avilir le cœur d'une mère que de l'épuifer ainfi en fupplications qui ne produifent aucun effet.

Eronime n'eft pas moins inutile qu'If ménie. Elle n'eft point ambitieufe, comme elle auroit dû l'être pour forcer fon amant à fe faire Roi. Encore fi elle aimoit fon père, fi elle étoit plus fille qu'amante, elle auroit un caractère; fon ardeur pour le Trône feroit motivée. Si elle est amante, pourquoi n'époufe-t-elle pas fon amant fans couronne? Le Peuple, le Sénat, TimoLéon tout Corinthe verra cette union avec plaifir. Doit-elle immoler fon amour à un commandement auffi injufte que celui de fon père, qui veut que fon gendre foit un ufurpateur 2 Enfin, Monfieur, je ne crois pas qu'il y ait dans aucune Pièce de Théâtre des caractères plus équivoques & moins marqués, Timoléon, copie très-impar

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