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Et montre, par l'effet du deffein que tu prends Que tu nâquis pour vaincre & punir les Ty

fans.

O mon frère, ô mon frère, où vas-tu me réduire !

Je fis naître ta gloire, & je la veux détruire.
O mon frère, ô mon frère, à quoi me réfous

tu ?

Pourquoi n'as-tu fuivi ta première vertu ?

Dis-moi, que veux-tu faire? Eft-ce done tom envie

Que ta rigueur me force à te priver de vie? Pleurez, mes yeux, pleurez fon malheureux

trépas,

Et donnez-lui des pleurs qu'il ne mérite pas.

Voilà, Monfieur un de ces caractères tels que la Scène les demande ; j'y vois Timoléon partagé entre l'amour patriotique & l'amour fraternel. C'eft de ce choc de paffions que fortent les beautés vraiment tragiques. Quand on nous préfente fur le Théâtre une femme adultère comme Phèdre, un père faifant mourir fon fils comme Brutus, &c, on ne fçauroit ufer de trop d'adouciffe. mens; le perfonnage doit être, quelque forte, néceflité au crime qu'il.

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commet ou qu'il laiffe commettre. Saint-Germain a connu cet art. MonGeur de la Harpe ne s'en eft pas douté. L'affaffinat de Timophane dans l'ancienne Pièce eft juftifié par fon ufurpation, par , par fa tyrannie, par fes cruautés, par fa haine contre fon frère qu'il veut faire mourir ; & néanmoins ce frère vertueux balance encore, héfite, diffère; c'eft-là ce qui le rend intéreffant; on l'admire, on le plaint plus qu'on ne le condamne. Les remords que Saint Germain lui donne après le meurtre de Timophane, mettent le comble à l'héroïfme de fa vertu, à la beauté de fon caractère, à la fatisfaction du Lecteur. Que nos jeunes auteurs, célèbres aujourd'hui, font loin de ce vieux Poëte à préfent inconnu! Ils ne foupçonnent pas même la nature; ils n'ont aucune idée du cœur humain, ils ne le connoiffent pas comment pourroient-ils l'approfondir? Mais auffi pourquoi le Public, ridicule à force d'indulgence, eft-il affez bon pour que de petits Ecoliers rimailleurs, à peine échappés à la férule, s'ingèrent de lui donner des Tragédies, c'est-à-dire, de s'eflayer dans le genre de

Littérature qui demande le plus de tête, d'étude, de maturité, de combinaison de fcience des hommes & de leurs pas fions?

Je reviens à ce vieux Poëte de 1642. Sa Pièce eft pleine de défauts fans doute; je ne prétends pas les diffimuler. Quand il n'auroit que ceux de fon temps, ce feroit beaucoup. Mais fes caractères de Timophane & de Timoléon, les feuls qu'il falloit bien marquer dans un pareil fujet, font fupérieurement prononcés & foutenus. A propos de caractères, j'ai oublié de vous dire que M. de la Harpe ne fçachant trop que faire de Timoléon, en fait quelquefois un far un présomptueux, un fanfaron, lui qui étoit fi grand, fi fimple & fi modefte. M. de la Harpe lui fait dire :

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Pour cet illuftre effort les Dieux m'ont référvé ; Rien n'eft encor perdu, puifqu'ils m'ont confer

vé.

Et dans un autre endroit :

Quelle indigne frayeur dans des cours auffi bra

ves!

Quand je fuis avec vous, vous craignez d'être efclaves!

Quelle vanité choquante!

> Calprenède & Juba parlent du même ton.

J'abrège, Monfieur, ce qui me refte à dire fur la Tragédie de M. de la Har

pe.

L'action.

Dès que les caractères font indécis; l'action est néceffairement vague & incertaine. Je fçais bien que Timophane vent fe faire déclarer Roi, & que Timoléon s'y oppofe. Mais Timophane eftil un ufurpateur ou un Roi légitime? Timoléon eft-il un affaffin ou un minif

tre des vengeances publiques? C'est
fur quoi je ne devrois avoir aucun dou
te, puifque de-là dépend l'intérêt que
je prendrai à l'un ou à l'autre ; & c'est
précisément ce que je ne fçais pas. If
ménie, dans le premier Acte, dit en
parlant de fon fils:

Bientôt les partifans, déja trop écoutés,
Ont offert à ce peuple, épris des nouveautés,
Sous le pouvoir d'un Roi, l'espoir de ses larg
geffes, &c.

Et plus bas :

Timophane lui-même, affable & populaire, Prodiguant tous les foins de féduire & de plaire,

Aux citoyens trompés a fait aimer fes loix....: Il a même séduit nos jeunes Sénateurs.

S'il eft ainfi, de quoi se fâche Isménie? Mais elle nous détrompe un inftant après :

Par ceux des citoyens dont il féduit la foi,
Timophane demain fe fait proclamer Roi.

Cependant Timée, ami de Timopha. ne, lui dit:

Tout ce peuple à l'envi, de vos vertus frappé...........
Tout l'Etat affemblé devant son bienfaiteur....
Timoléon lui feul, ofant vous accufer,
A tous vos citoyens voudra-t-il s'oppofer?

On ne fçait absolument à quoi s'en tenir avec M. de la Harpe. Tantôt c'est tout le Peuple de Corinthe qui demande Timophane pour Roi; tantôt ce n'est qu'une partie des citoyens. Cette incertitude fur la légitimité ou l'illégitimité de l'action de Timophane ne dure que jufqu'à la fin de la Pièce.

Les

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