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grand homme; fes fuccès furent chantés par tous les Poëtes. On les célébra dans dix Poënies, vingt Odes & foixante Sonnets. Il s'oublia un jour & fe laiffa furprendre par l'ennemi; mais fa préfence d'efprit répara tout; de nouvelles victoires ajoûtèrent à fa réputation. Ce qu'il y eut de malheureux, c'eft que dans cette occafion, obligé de combattre en chemife, il ne retrouva plus fes habits, & perdit fur-tout la partie de fes vêtemens qui étoit le plus néceffaire. » Eumène fit peu d'attention à cet

accident, & revint dans la Capitale » pour y jouir de fa gloire. Il fut furpris d'entendre une infinité de bou»ches répéter des couplets relatifs à cette burlefque aventure. Il efpéroir » du moins entendre répéter une partie » des Pocmes, des Odes & des Son» nets compofés à fa louange. Il fe trom»poit; perfonne ne les avoit lus

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toute la Nation chantoit le Vaude» ville. » Il fut fi fenfible à ce trait qu'il oublia fa gloire paffée, & voulut ceffer de commiander.

Il fouhaita fucceffivement d'être. Grand Prêtre, Magiftrat, Traitant Poëte, Peintre, Médecin, & fe dé

goura bien vite de tout. Il ne lui reftoit plus qu'un fouhait à former. Il crut devoir confulter tous les hommes qui étoient les plus heureux avant de fe décider. Il rencontre un homme à morgue fière qui lui parut très content de fon fort, parce qu'il s'eftimoit beaucoup, & méprifoit tous les autres. C'étoit un Philofophe, un Stoicien. Tous les événemens de la vie font des jeux du hazard, difoit il; ils peuvent troubler une ame foible; mais le véritable Sage n'en eft pas même ému. If raconta fon hiftoire à Eumène. Exilé de la Cour où il avoit occupé un pofte lucratif, il avoit laiffé le foin de fes affaires à un ami qui les arrangea fi bien que dans une partie de jeu il perdit fon bien & celui du Philofophe; il lui écrivit que, s'il ne lui envoyoit de quoi ac quitter un refte de dettes, il étoit perda d'honneur. C'étoit une bagatelle; le difciple de Zénon le fatisfit. Son fils beau comme l'Amour avoit à dix-huit ans tourné la tête à toutes les femmes. Une flèche lancée par un étourdi lui creva un œil; il perdit fes graces & fes conquêtes. Bagatelle encore, ajoûtoit le Philofophe, fon fils en étant devenu

plus fage. Autre bagatelle. Le Sage avoit épousé une femme jeune & belle à qui tout le monde le difoit, qui fe plaifoit à l'entendre, & qui l'entendit avec trop de reconnoiffance de la part d'un ruftre indigne même d'être le va let d'un Philofophe. Un Epicurien vient arrêter la longue fuite de bagatelles qu'alloit enfiler cet homme inébran lable. Il s'apprête à le faire rire. Il fort de chez lui, où, étant entré fans être apperçu, il avoit pénétré jufqu'au jardin. » Et là, lui dit-il, j'apperçois la jeune efclave qui a foin de ton lit » qui fuyoit tout doucement celui qui »a foin de ta mule. Elle est jolie, ta jeune efclave; tu devines bien qu'elle. s'eft laiffé attraper. En fe défendant, » elle est tombée avec toute la grace poffible fur une planche de tulipes. »De tulipes, s'écria le difciple de » Zénon! De slipes, répondit celui d'Epicure. Ils étoient trop fenfés pour ne pas tomber à leur aife. Ah, mal» heureux que je fuis! Ah, fcélérats que vous êtes, ne deviez-vous pas i ref. »pecter mes tulipes? Voilà le pre» mier chagrin que j'éprouve; mais il me défefpère. Ami, je te quitte, je

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qu'il devoit former. Il étoit affez riche pour être révéré du peuple, & » affez fage pour fuir l'amitié des » Grands; il aimoit fa patrie, l'avoit fçu défendre, refpectoit fon Prince, » ne lui demandoit rien, vivoit en Philofophe, & n'avoit pas trente » ans. Un jour il apperçut un vieillard fe debattant dans un lac profond, dont il tentoit en vain de fortir. L'humanité y fit précipiter Leuxis, qui le mit bien vite fur le rivage. Ce vieillard lui dit qu'il étoit jufte de le récompenfer, & lui donna un anneau. Cet anneau, lui dit-il, a le pouvoir de rendre invifible en le tournant; je fuis Gygès, ancien Roi de Lydie. Une injuftice que je tolérai & que je ne réparai point, m'empêcha d'être reçu parmi les Rois juftes; je fut condamné à nager dans ce lac jufqu'à ce que quelqu'un, guidé par la feule générofité, vînt m'en retirer. Il fit au jeune Leuxis, qui étoit Lydien comme lui, l'énumération de ceux qu'il avoit vu paffer, & difparut après cela. Pendant que celui-ci rêvoit à l'ufage qu'il feroit de fon anneau, il entendit des cris, & vit bientôt un fcélérat qui entraînoit une jeune fille dans

un bois voifin, & une vieille tremblan te, éplorée, qui les fuivoit, en appellant du fecours. Leuxis ne balança pas, tua le brigand fans avoir recours à l'anneau, reconduifit les Dames chez elles, fort touché des graces de celle qu'il avoit délivrée, obtint la permiffion de revenir, en profita, & bientôt parvint à fe croire auffi aimé qu'il l'aimoit. Il crut devoir faire ufage de fon anneau. Un jour, après avoir dit adieu à fa maîtref fe, il fe rend invifible, retourne auprès d'elle, jouit de la trifteffe dans laquelle elle eft plongée, & fe flatte d'en être l'objet. Pendant ce temps, un vieil Hermite fe préfente à la porte du Château; on lui ouvre fecrettement, on l'introduit de même; Palmis, c'eft le nom de cette fille qu'il adore, se jette dans les bras de l'Hermite, le conduit dans une chambre où elle s'en. ferme avec lui. Leuxis n'eft pas un corps aërien; il paffe une grande partie de la nuit à cette porte, en revoit fortir l'Hermite que Palmis accompagne en pleurant, affligée de fon départ; celuici n'eft pas plutôt parti qu'un foldat fe préfente; on veut l'entraîner dans la même chambre, mais fon devoir le

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