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Vous imaginez vous que l'ordre refpec table dont j'ai l'honneur d'être mem bre, foit le pis aller des mauvais Poë-' tes? Quoi, Monfieur, feindriez-vous d'ignorer combien il faut de talens naturels & de talens acquis pour réuffir dans la Tribune? Saifir avec jufteffe le point litigieux; inventer des moyens qui tirent la vérité du fein des nuages, & la faffent briller dans tout fon jour; peindre avec les couleurs de la nature les devoirs de l'homme, fes droits & fes malheurs; ouvrir l'oreille des Juges à la raifon, & leur cœur à l'équité: tel eft le talent de l'Avocat, & j'ofe dire que ce talent demande du génie. Rappellezvous, Monfieur, la Caufe célèbre que plaida M. Cochin dans l'affaire de Ma demoiselle de Kerbabu; jettez feulement les yeux fur l'Exorde & la Péroraifon; vous verrez dans l'un ces préparations adroites, ces infinuations délicates, ennn, toutes les fineffes d'un Art d'autant plus fûr qu'il eft plus caché; dans l'autre, toutes les reffources du pathétique; non pas, à la vérité, du pathétique de Melpomène; mais la Gouvernante & les belles Scènes de l'Enfant Prodigue, en font-elles moins

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touchantes, pour ne pas produire ce déchirement qu'on éprouve au cinquième Acte d'Inès? En lifant les ouvrages du Cicéron François que je viens de nommer, & ceux des Erards, des Gillets des de Gennes, peut on ne pas admirer la fagacité de leur efprit, la fécondité de leur imagination, & la fenfibilité de leur ame? Peut-être trouverez-vous de l'excès dans les éloges que je donne à ma profeffion; mais il elt dans la nature de s'élever lorfqu'on eft humilié & vous m'avez humilié, Monfieur, en invitant l'auteur de Timoléon à devenir mon confrère. Je m'en rapporte à vousmême, Monfieur; celui qui fait une Tragédie où rien n'eft amené, ni fuivi, où tous les Actes pourroient changer d'ordre, fans déranger le plan de la Pièce, mettra-t-il dans leur place les différentes parties qui conftituent un Plaidoyer? Celui dont tous les personnages, quoique différens d'âge, de fèxe, de fituation, de paffions, ont le même ton, le même langage, pourra t-il fe plier à tous les caractères & à tous les intérêts dont un Avocat eft l'organe? Celui qui dans Warwick a peint Mar

guerite orgueilleufe, Edouard orgueilleux, Warwick orgueilleux, Elifabeth orgueilleufe, fans me peindre ni l'amant, ni la mère, ni le Monarque, ni l'amante, fera-t-il parler au Barreau une mère opprimée, une époufe trahie, un amant perfécuté? En vérité, Monfieur, engager l'auteur de ces deux Drames à fe faire Avocat c'eft donner à une fille nubile & laffe de l'être, un époux dont on a caffé le premier mariage pour caufe d'impuiffance.

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Je ne fuis point enthousiaste, Monfieur; je pourrois vous citer un grand homme à qui vous avez rendu juftice, qui avoit une bien plus haute idée que moi du mérite de l'Avocat. C'est M. le Chancelier d'Agueffeau. Ses difcours & fon inftruction pour former un jeune Avocat du Roi au Châtelet prouvent à tous fes Lecteurs que Patru mérite dans le Temple de Mémoire une place à côté de Boileau, & Cochin à côté de Racine. Ce grand Magiftrat, ce grand homme de Lettres, ce Philofophe éloquent', n'auroit certainement pas engagé l'autcur de Timoléon à embraffer la profeffion d'Avocat ; il l'auroit bien plu

tôt relégué dans la claffe de ces Rhéteurs fi bien peints par Pétrône au commencement de fa fatyre.

J'ai l'honneur d'être, &c.

L... T.... N... D.... B...

Avocat au Parlement de Paris.

Cette Lettre eft très-judicieufe & trèsbien écrite, Monfieur; mais l'auteur n'a vû que les grandes qualités de l'efprit né ceffaires pour devenir un Avocat du pre mier ordre, tels que les Cochins, les le Normands, les Erards, les Gillets, les Aubrys, les de Gennes, &c. Affûrément je n'ai pas prétendu que M. de la Harpe pur fe Alatter d'égaler jamais ces grands Maîtres de l'Eloquence du Barreau. Je n'ai voulu dire autre chofe, finon que la médiocrité eft plus fupportable & moins infructueufe au Palais qu'au Théâtre. D'après cette idée, dont je ne pense pas que l'on me difpute la vérité, j'ai pu, je crois, confeiller à l'auteur de Timoléon de quitter MelpoThémis.

mène pour

Hiftoire Littéraire de la France, &c. Pat des Religieux Bénédictins de la Congrégation de Saint Maur, onze volumes in -4°. Le Tome I imprimé en 1733, Tomes II & III 1735, Tome IV 1738, Tome V 1740, Tome VI 1742, Tome VII 1746, Tome VIII 1747, Tome IX 1750, Tome X 1756, Tome XI 1759.

Tout le monde connoît cet ouvrage, où font renfermés les faltes de notre Littérature. Il fait honneur à ceux qui ont eu le courage d'entreprendre cet immenfe travail; on doit leur fçavoir gré d'avoir épargné aux gens de Lettres des recherches qui leur ont certaine ment coûté beaucoup de peine, de temps, de veilles & de dégoût. Ils ont remonté jusqu'à l'état des Sciences dans les Gaules avant Jefus-Chrift; ils ont faivi leurs progrès ou leur décadence depuis notre Ere; ils ont donné une noti ce affez détaillée des hommes célèbres en tout genre; on en écrit fommairement la vie; on indique leurs ouvrages; on les apprécie, & l'on en marque les différentes éditions.

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