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vrage, a décrit l'effet de la morsure de ces animaux. L'ordre de marche que nous venons de décrire, n'avait lieu que dans les pays où l'on n'avait rien à redouter des Indiens sauvages. Dans ceux où on craignait leur rencontre, M. d'Azara prenait d'autres précautions: il ne marchait que de nuit; il envoyait de toutes parts des éclaireurs pour reconnaître la route qu'il fallait suivre: deux patrouilles allaient en avant de chaque côté de la troupe; chacun gardait son rang et avait ses armes prêtes. Malgré ces précautions, M. d'Azara a plusieurs fois été attaqué, et a eu la douleur de perdre quelquesuns des siens. Tels sont les détails que j'ai pu me procurer sur sa manière de voyager.

Lorsqu'on se fixait pendant quelque temps dans les déserts, ce qui arrivait souvent, M. d'Azara se faisait construire une petite hutte de paille pour se garantir de la pluie, et sa troupe en construisait de semblables à celles qu'il a détaillées dans ses voyages, à l'article des Indiens Charruas.

Les sentimens d'amitié que M. d'Azara avait conçus pour quelques-uns des compagnons de ses travaux, étaient d'autant plus forts, que son genre de vie, ses continuelles occupations, et les femmes qu'il avait devant les yeux, contribuaient à écarter de lui cet autre sentiment qui naît et s'accroît par l'oisiveté et la mollesse, auquel l'illusion et les prestiges sont des alimens nécessaires : cependant né sous un climat brûlant, plein de force, de vigueur et de santé, dans cet âge où le sang circule en bouillonnant dans les veines, élevé dans les camps, pouvait-il avoir la puissance et même la volonté de vaincre cette impulsion qui entraîne un sexe vers l'autre? Non sans doute; mais parfaitement instruit du caractère et de

la manière de vivre des femmes de ces contrées, il esquivait, autant qu'il le pouvait, les indiennes chrétiennes, et préférait à toute autre les mulâtresses un peu claires.

S'il est vrai que l'homme dépend en partie des circonstances où il se trouve placé, il n'est pas moins certain qu'il exerce sur elles un empire qui diffère selon la nature de son caractère. Un esprit actif, qui sent le besoin de nourrir le feu dont il est animé, se saisit en quelque sorte de tout ce qui l'environne: transportez-le en Grèce, en Egypte, parmi les ruines majestueuses de Thèbes antique, ou des monstrueuses pyramides; ou mieux encore, offrez à ses regards cette Rome qui voit s'élever à sa surface, et recèle dans son sol classique les monumens de tant de peuples et de tant de siècles, il deviendra un homme érudit, un antiquaire profond, ou un artiste célèbre. Placez-le au pied du Vésuve vomissant des flammes, près des flancs noircis et déchirés de l'Etna, au milieu du majestueux cahos des Alpes et des Pyré-. nées, il sera indubitablement minéralogiste ou géologue. Mais qu'il se trouve forcé d'errer dans les vastes plaines et dans les épaisses forêts de l'Amérique, où des végétaux, qu'il n'a jamais vus, couvrent la terre et la chamarrent de mille couleurs différentes; où l'homme sauvage et les animaux, seuls habitans de ces déserts, offrent partout des formes insolites et des habitudes singulières, il deviendra botaniste ou zoologue. Les deux frères Azara nous offrent un exemple frappant de la justesse de ces réflexions: Don Nicolas, malgré ses occupations et les devoirs assujétissans de sa place, devint à Rome un philologue distingué, un protecteur éclairé des arts et des lettres; Don Félix, sans livres, sans secours, sans instruction préalable, mais avec des matériaux d'obser

vations qui s'offraient à lui de toutes parts, s'est, par ses seuls efforts, placé au premier rang parmi les zoologistes.

la

La peine et la perte de temps qu'entraînaient le mode de voyager que nous avons décrit, les observations astronomiques et les calculs qui en étaient la suite, les opérations géodésiques, la description du pays et des peuples sauvages qui l'habitent, la correspondance avec ses chefs, et l'accomplissement des devoirs qui lui étaient prescrits, ne suffisaient pas à M. d'Azara pour remplir le vide que lui faisait éprouver l'éloignement de sa patrie et des siens. Il voulut connaître les quadrupèdes et les oiseaux des contrées dont il avait étudié le climat et les habitans, et dont il avait tracé le plan. D'abord il ne fit guerre à ces animaux que pour les dépouiller, en conserver les peaux, et les transporter en Europe, mais elles s'altéraient et se corrompaient. Il prit ensuite le parti de décrire minutieusement chaque individu lorsqu'il se présenterait à lui. Bientôt ses descriptions s'accumulèrent à un tel point, qu'il lui fut quelquefois impossible de reconnaître s'il avait ou non décrit certaines espèces, et que dans le doute il les décrivait plusieurs fois. Enfin, pour s'épargner cet inutile travail, il eut l'idée de distribuer en grouppes les nombreux individus qu'il était parvenu à connaître. Il donna à ces grouppes les caractères généraux qu'il avait observés dans toutes les espèces qui les composaient : la description de ces espèces fut par là considérablement simplifiée : sa mémoire se trouva soulagée, et il acquit plus d'habileté dans l'observation, plus de clarté dans la manière de les rédiger. Il se doutait peu, qu'inspiré par la nécessité et par un sens droit, il était le créateur d'une

par deux

méthode successivement inventée et combattue hommes célèbres, qui tous les deux ont illustré leur

siècle et leur pays.

Bientôt après, une circonstance heureuse rendit M. d'Azara possesseur de la traduction espagnole des œuvres de Buffon. On doit juger avec quelle avidité il dut les parcourir. Mais trouvant que dans les contrées qu'il avait décrites, il y avait un grand nombre d'espèces inconnues à cet habile naturaliste, il rédigea de nouveau son travail, il fit les observations critiques que lui suggéra l'examen de Buffon, et il envoya ces notes au traducteur espagnol de cet homme illustre, don Joseph Clavijo y Faxardo. Soit ignorance, soit indolence, ce dernier n'en fit aucun usage, et négligea même de répondre. Don Félix, à portée de vérifier souvent les mêmes faits, bien certain qu'il ne se trompait pas, continua toujours à décrire les formes et les mœurs des quadrupèdes et des oiseaux. Il rapprochait ses descriptions de celle de l'histoire naturelle de Buffon, seul livre qu'il possédât, et notait soigneusement toutes les erreurs qu'il croyait y découvrir.

D'après les circonstances seules qui présidèrent à la composition des ouvrages de M. d'Azara, sur l'histoire naturelle, il est facile d'apprécier les qualités et les défauts qu'y s'y trouvent.

On ne peut désirer rien de plus exact pour les descriptions de forme, de plus curieux et de plus certain sur les mœurs, et il est impossible de montrer à la fois plus de sagacité et de patience, ces deux qualités essentielles d'un grand observateur; mais dépourvu d'instruction générale sur l'histoire naturelle, n'ayant jamais eu de communication avec aucun naturaliste, ni visité aucune grande collection, ne connaissant pas même les

I. a.

B

et

animaux de son pays natal, puisqu'il ne s'était livré à cette étude que depuis qu'il était en Amérique, il lui arrive quelquefois de faire des rapprochemens qui ne sont pas dans la nature, et de séparer, dans des genres différens, des espèces qui devraient être réunies dans le même genre. L'embarras d'expliquer certains faits, dont ses propres observations ne lui donnaient pas la solution, le conduit quelquefois à des systèmes pareils à ceux que l'on imagina dans l'enfance de la science, et que de nouvelles lumières ont depuis long-temps fait disparaître. Il ne faut pas oublier que sa modestie l'empêchait de vouloir entreprendre un ouvrage original; il ne composait le sien que pour augmenter et corriger l'ouvrage du célèbre, Buffon, auquel il se proposait de faire parvenir ses notes et ses descriptions. Voilà pourquoi il croit ne jamais trop multiplier les remarques critiques sur cet auteur, qu'il est long et minutieux. Comme il ne juge souvent des animaux dont Buffon a parlé, que d'après les descriptions et les planches que ce dernier a publiées, et qui sont quelquefois insuffisantes pour les reconnaître, il confond souvent en une seule, des espèces distinctes et trèsdifférentes entre elles; puis réalisant ses propres erreurs, et les regardant comme des faits réels, il se livre à des discussions qui embrouillent le sujet qu'il s'était proposé d'éclaircir. Il résulte aussi de ces faux rapprochemens, qu'il fait connaître un bien plus grand nombre d'espèces nouvelles et non décrites, qu'il ne l'avait cru lui-même. L'éloignement, et sa propre obscurité, lui exageraient encore ce que l'autorité de Buffon avait d'imposant; de sorte que, lorsqu'il le combat, la crainte qu'on ne fasse pas à ses remarques toute l'attention dont en effet elles étaient dignes, lui fait affirmer avec force tout ce dont

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