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Mais on peut aller plus loin, croyons-nous, et marquer entre les deux œuvres une ressemblance de plus. « Je me moque de l'archéologie! écrivait Flaubert à Sainte-Beuve. Si la couleur n'est pas une, si les détails détonnent..., s'il n'y a pas, en un mot, harmonie, je suis dans le faux. »> Cette unité, cette harmonie, Mme de la Fayette les a recherchées avant toute chose. Non plus que Flaubert de l'archéologie, elle n'a jamais usé de l'histoire pour ellemême; elle n'y a vu qu'un moyen, dont on a droit de disposer suivant la fin qu'on se propose. Comme l'auteur de Salammbô, elle l'a pliée à son idéal d'art, — et il n'est pas sans intérêt de constater qu'elle ne l'a pratiquée avec tant de conscience que pour la manier ensuite librement.

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BÉROALDE DE VERVILLE

ET LA QUERELLE DE « L'ABSTINENTE »

Bien que le dernier éditeur du Moyen de parvenir, M. Charles Royer (Paris, 1896), ait établi, avec des présomptions qui approchent de la certitude, que Béroalde de Verville est bien l'auteur de ce singulier ouvrage, et qu'aucune édition n'en peut être antérieure à 1612, il y a encore beaucoup à glaner sur un terrain aussi peu exploré. Ce Béroalde à la plume infatigable, si moderne par son inlassable curiosité, qui le fait toucher aux sujets les plus divers mathématiques, mécanique, médecine, alchimie, théologie, histoire, poésie (on pourrait dire aussi par son aimable scepticisme qui le fait passer du calvinisme au catholicisme pour revenir au calvinisme avec une égale facilité), a laissé dans son œuvre des points de repère auxquels il est difficile de ne pas s'arrêter. M. Charles Royer en a relevé d'essentiels; mais on en peut trouver d'autres, telle par exemple son allusion à l'abstinente de Confolens'.

M. Royer l'a fait figurer dans sa notice, mais sans en tirer parti, par suite d'une confusion difficile à expliquer de la part de cet excellent érudit, qui lui a fait reporter l'anecdote à l'année 1582, tandis que cette date, dans le Palais des Curieux où il l'a relevée, s'applique à une tout autre abstinente. Or, le singulier cas observé à Con

1. Dans le chapitre intitulé Remonstrance, un interlocuteur s'écrie: «Mais cependant que je prendray un peu de refection, dites à nostre ami Erasme qu'il vous conte l'histoire de Rodigue. Ce que je desire me refectionner d'un peu de viande et de liqueur, est que je crains de perdre le devant et le derriere, comme ceste abstinente de Confolant: Je m'en rapporte aux médecins » (t. I, p. 145).

folens se passa de 1599 à 1602 et ne vint à la connaissance du public savant qu'à cette dernière date. Voici le fait tel que le rapporte un médecin fameux de Poitiers, François Citois, dans sa brochure Abstinens Confolentanea (Poitiers, 1602) ou plutôt dans la traduction parue à Paris, la même année, sous le titre de Histoire merveilleuse de l'abstinence triennale d'une fille de Confolens en Poictou..., traduit en françois du latin de monsieur Citois':

Cette fille est âgée d'environ quatorze ans, et s'appelle Jehanne Balan, son père Jehan Balan, serrurier, et sa mère Laurence Chambelle. Elle est pour son âge de stature convenable, de meurs un peu rustiques, natifve de la ville de Confolens, sur la rivière de Vienne, ès confins du Limosin et du Poictou, laquelle en l'onziesme an de son age, estant saisie d'une fievre continue le 16 de febvrier 1599, elle fut encore depuis assaillie de beaucoup d'autres accès de maladie, et surtout d'un vomissement continuel, par l'espace de vingt jours. La fievre l'ayant aucunement laissée, elle devint muette, et demeura vingt-quatre jours sans rendre une seule voix; au bout desquels revenue à elle et parlant comme devant (quoy que ce fussent des paroles pleines de reverie et hors de bon sens) luy arrive une torpeur et engourdissement de tous les sens et mouvements corporels, au dessouz de la teste, de sorte que mesme l'œsophage (partie de l'estomach qui conduit au boire et au manger pour passer au petit ventre) estant resoult, il perdit sa force attractive, et n'a-on peu depuis ce temps là persuader en aucune façon à cette fille de manger, quoy qu'on l'ait allechée par des viandes delicates, fruicts, et douceurs propres à cet age. Toutefois le mouvement de ses membres luy revint environ six mois après, hors-mis à une hanche, du costé de laquelle elle marche encore avec difficulté. Une seule impuissance luy est restée, de ne pouvoir avaller aucune chose,... encores qu'elle travaille au ménage, qu'elle aille querir la viande au marché, qu'elle balaye la maison, qu'elle file

1. Histoire merveilleuse de l'abstinence triennale d'une fille de Confolens en Poictou..., à quoy est adjoutée une Apologie sommaire pour feu monsieur Joubert, medecin. Le tout traduit en françois du latin de monsieur Citois, docteur medecin de Poictiers. A Paris, chez Jean de Heuqueville, 1602, in-8°, 71 p.

à la quenouille, tourne le fuseau et s'adonne, comme une autre, à tout ce qui est du service d'une famille'...

Il y avait là, on en conviendra, de quoi soulever quelque peu d'incrédulité, et de nos jours on admettrait guère sans contrôle une observation si peu ordinaire. Les contradicteurs ne manquèrent pas, et l'un d'eux, Israël Harvet, publia une réfutation des théories de Citois. Sa Confutatio parut à Orléans la même année 1602.

Ce médecin orléanais avait déjà pris position dans la controverse à propos des Décades de Laurent Joubert, et avait fait imprimer à Niort, en 1597, un Discours par lequel est monstré contre le second paradoxe de la première decade de M. Laur. Joubert, qu'il n'y a aucune raison que quelques-uns puissent vivre sans manger durant plusieurs jours et années. Il avait dédié son opuscule à Marie du Fou, veuve d'Eschalart de la Boulaye, gouverneur de Fontenayle-Comte, qui aimait, à l'instar des plus hautes dames de la Renaissance, à réunir autour d'elle une petite cour de savants et de lettrés. François Mizière n'avait pas dû rester étranger à cette publication. Comme Citois s'était posé, dans son Asbstinens Confolentanea, en défenseur de Laurent Joubert, encouragé par les éloges en vers des beaux esprits et des docteurs poitevins, Nicolas Rapin, Vidard, J. Moreau, Pascal Le Coq, l'ennemi de Joubert, Harvet ne pouvait manquer de lui répondre. Nous pensons qu'à son tour il fit appel au talent poétique de ses amis, et que Béroalde fut de ce nombre.

« A ce propos, lit-on dans le Palais des Curieux, je me represente les discours de ces doctes medecins qui ont escrit en la consideration de l'abstinente de Confolans, sur quoy je ne sçay que resouldre apres la resolution que j'en pris ès stances que je posé en l'un de leurs livres. Toutes fois je ne lairray de me donner carrière en faveur de l'un et de l'autre. »>

1. Voyez de Thou, Histoire, 123• livre, à l'année 1599.

On comprend qu'ayant pris parti dans la querelle de << l'abstinente », Béroalde en ait rappelé le souvenir dans son Palais des Curieux, et même qu'il soit revenu à la charge dans le Moyen de parvenir. Nous avons ainsi une date extrême, 1603, au delà de laquelle la composition de ce dernier livre ne peut être reculée, et, s'il en était besoin, une forte présomption pour une publication postérieure au Palais des Curieux, où l'auteur entre dans des détails plus précis.

Quant à la date de 1582 donnée par M. Roybet, elle se rattache à un autre cas d'abstinence non moins extraordinaire, bien que sa durée ne dépasse pas un an et demi, mais il se passe en Anjou, près de Morannes'. Le récit vaut la peine d'être lu, et il n'est pas inutile de le rapporter à l'usage de ceux qui refusent à Béroalde le don du style:

Je me souviens qu'environ l'an mil cinq cens quatre-vingtdeux, je n'ay pas bien mis en ma mémoire l'année, mais ce datte fera ressouvenir ceux qui sçavent l'histoire mieux que moy, pour avoir esté plusieurs fois sur le lieu; en ces temps estant en Anjou, je fréquentois un gentilhomme de Morane, auquel lieu par bonne rencontre je voyois Paschal Robin, sieur du Faix, une des lumières entre les doctes d'Anjou. Devisant familierement avec eux, ils me firent récit d'une fille de là auprès qui ne mangeoit ny beuvoit... Ces gens de bien m'ayant imbu de cette nouvelle firent partir (pour me gratifier) de passer jusques au lieu où la fille demeuroit, qui est nommé Sainct Barthélemy, où l'aer est beau et de bonne grace, les maisons assez ornées et au haut de la croupe. Ce ne sont pas des palais, mais il y a quelques mestairies apparentes, en l'une desquelles demeuroit cette fille...

La compagnie étant entrée, la conversation s'engage et l'on se prépare à faire honneur à une rustique collation:

La belle abstinante ayant rincé les verres, vint à nous et nous pria d'approcher vers la colation qui estoit de fruicts et

1. Cant. de Durtal, arr. de Baugé (Maine-et-Loire).

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