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son, et les gardes du corps étoient habillés de neuf. M. le maréchal de Noailles, qui étoit à cheval, commandoit la maison. Ce que l'on appelle le guet des gardes du corps, qui est un détachement de chaque compagnie pour servir à la garde du Roi pendant trois mois, étoit en bataille à la droite des grenadiers. Il est à remarquer qu'il y a à ce détachement un timbalier et quatre trompettes, lesquels sont tous cinq montés sur des chevaux à longues queues. Tous les gardes du détachement (1) sont montés sur des coureurs. Voici donc l'ordre de la ligne : d'abord, le guet des gardes du corps à la droite des grenadiers à cheval; les grenadiers à cheval à la droite de la ligne ; les quatre compagnies des gardes du corps, les deux des mousquetaires, celle des chevau-légers, et ensuite celle des gendarmes qui formoient la gauche.

Il y a un nombre prodigieux de surnuméraires dans les deux compagnies des mousquetaires. Ces surnuméraires étoient à pied sous les armes en uniforme, mais sans soubrevestes; il y en avoit 143 dans les Noirs. La Reine, Mme la Dauphine, M. le duc de Bourgogne, Madame et Mesdames allèrent à la revue; Mesdames étoient avec la Reine. Outre les trois carrosses de la Reine, il y en avoit un du Roi que l'on avoit donné pour supplément. Du dimanche 8. Il y a eu aujourd'hui deux présentations, celle de Mme de la Ferté (Rabodanges) et celle de Mme de Mérinville (l'Hôpital). On trouvera ci-après un détail sur Mme la marquise de la Ferté.

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Mme la marquise de la Ferté, fille du duc de la Ferté, avoit épousé M. de la Carte, maître de la garde-robe de feu Monsieur; elle en avoit eu un fils, qui est le marquis de la Ferté. Mme la marquise de la Ferté a

(1) C'est improprement que je me sers du mot de détachement. Dans la maison du Roi-Cavalerie, ce qui reste auprès de sa personne est toujours censé la troupe et a toujours timbales et trompettes, et ce qui va en campagne sans le Roi n'est regardé que comme un détachement. (Note du duc de Luynes.)

épousé en secondes noces M. de Bouteville, page du feu Roi, qu'on appeloit le beau page. M. le marquis de la Ferté fut colonel du régiment de la Marche; Mme de la Ferté, sa mère, le fit enfermer comme fou, ce qui lui fut accordé assez injustement. Il fut mis dans un couvent d'où il ne pouvoit sortir; enfin les moines eurent pitié de lui; ils lui donnèrent le détail de la sacristie pour l'amuser; il alloit porter des lettres à la poste pour gagner quelque argent. Mme de Bouteville sa mère étant morte, M. de Rabodanges devint son tuteur. Il étoit son grand-oncle et son héritier; M. de Rabodanges, voyant que M. le marquis de la Ferté n'étoit pas fou, craignit que le crédit de quelque ami ne lui fit faire un mariage avantageux ; il lui fit épouser sa fille qui avoit douze ou treize ans, après avoir fait lever la lettre de cachet. Le mariage conclu, il le fit interdire et l'envoya à sa terre de la Loupe. M. de Rabodanges emmena sa fille avec lui à Rabodanges, voulant les tenir séparés, afin qu'ils n'eussent point d'enfants. Au bout de dix ans, cette fille s'ennuya de la vie qu'elle menoit; elle alla trouver son mari, devint grosse et accoucha d'un garçon. Elle a fait lever l'interdiction de son mari, et elle gouverne fort bien ses affaires. M. le marquis de la Ferté est très-riche et a de fort belles terres.

Du mardi 10. — J'ai marqué dans mon journal, à l'occasion de la revue du Roi, que le guet des gardes du corps avoit un timbalier et quatre trompettes. Ce timbalier et ces quatre trompettes sont ce que l'on appelle des plaisirs; ce sont des charges; ils sont attachés au guet des gardes du corps; ils ne quittent jamais la personne du Roi, et ne vont en campagne qu'avec S. M. Il y a outre cela, à chaque compagnie des gardes du corps, un timbalier et un trompette à chaque brigade, et il y a six brigades par compagnie. La compagnie écossoise, qui est Noailles, est toujours la première et ne roule point avec les trois autres. Les trois autres prennent leur rang de leurs capitaines; ainsi celle qui est aujourd'hui Luxem

bourg est la dernière; elle étoit la première ou la seconde des trois lorsqu'elle étoit Harcourt; et c'est actuellement celle que l'on appelle Béthune (Charost) qui est la première des trois. A la revue, ce fut M. de Balincourt, prėmier lieutenant de la compagnie de Noailles, qui marcha et salua le Roi à la tête du guet, mais ce fut par un malentendu, parce que ce devoit être le premier exempt de la compagnie de Noailles.

Dans toute la maison du Roi, le poste d'honneur est toujours de rester auprès de S. M. Dans les gendarmes et chevau-légers, le capitaine-lieutenant ne commande jamais la cornette en campagne, mais est employé dans l'armée; c'est le premier sous-lieutenant qui reste auprès du Roi. Lorsque le Roi va à l'armée, il étoit d'usage que le guet des gardes du corps rentrât dans les compagnies; les exempts y rentroient aussi; il n'y avoit que les chefs de brigade de quartier qui restoient auprès du Roi avec le capitaine de quartier. Cet usage a été changé dans les dernières compagnies. La différence d'équipages qu'il convient d'avoir pour suivre le Roi ou pour servir dans la troupe a décidé cet arrangement, parce que les exempts de quartier, quoique rentrés dans la troupe, n'en servoient pas moins le Roi, et de là ce nouveau règlement s'est étendu jusqu'aux gardes du corps, de sorte que le Roi étant en campagne, le guet des gardes du corps ne rentre plus dans la troupe et demeure ensemble comme ici.

Il y avoit aujourd'hui, au dîner de la Reine, un homme dont l'histoire est assez singulière; c'est un gentilhomme de Berry protégé par M. le cardinal de la Rochefoucauld; il a très-bien servi et est connu pour un très-brave officier; il a fait un fort bon mariage et est allé s'établir avec sa femme à Saint-Domingue, où il jouit d'environ 60,000 livres de rente. Son nom est Viet. Il ne faut pas compter les revenus de Saint-Domingue comme ceux d'ici. Ce gentilhomme dit qu'il faut 133,000 livres de rente de ce pays-là pour en faire 100,000 ici. Il étoit employé à

Saint-Domingue et il y avoit un petit commandement. Il fut fort étonné de recevoir une lettre par laquelle on lui marquoit que le Roi lui avoit accordé la permission de se retirer et une pension comme il le désiroit. Il se trouvoit fort content et fort heureux, il n'avoit jamais demandé sa retraite ; il tomba malade à l'extrémité, de douleur, sur cette nouvelle ; dès qu'il a été guéri, il est venu ici avec sa fille, qui est grande et bien faite. Il représente l'injustice qu'on lui a faite sur un très-faux exposé et n'a d'autre désir que de retourner à Saint-Domingue.

J'ai marqué dans l'article du Clergé qu'il va travailler, suivant l'ordre du Roi, à renouveler les contrats de rente sur l'hôtel de ville dont il est garant; que le principal de ces rentes montoit à 10 millions, et que l'origine étoit un emprunt que le feu Roi avoit fait sur la ville de Paris; le principal est de 16 millions au lieu de 10, et l'emprunt est bien plus ancien, puisqu'il a été fait pour payer la rançon de François Ier.

A l'égard des 16 millions que le Clergé donne au Roi, il n'est pas douteux qu'il faut qu'il les emprunte. Ces emprunts se font ordinairement avec assez de facilité, parce que rien n'est mieux payé que ce qui est assis sur le Clergé ; mais jusqu'à présent ces emprunts se faisoient au denier vingt (1), qui est le denier courant depuis bien des années; M. de Séchelles veut réduire ce denier (2) à 4 pour 100, c'est-à-dire au denier vingt-cinq. Il a déclaré aux agents du Clergé qu'il aimoit beaucoup mieux que le Roi ne touchât point les 16 millions que de consentir à des emprunts à un autre denier qu'au denier vingt-cinq. En conséquence de cette détermination, un gros commerçant génois vint il y a quelques jours chez M. de Séchelles, et lui demanda s'il étoit bien décidé à ne point souffrir d'autre denier que le denier vingt-cinq.

(1) A 5 pour 100; c'est-à-dire que l'intérêt est égal au vingtième du capital. (2) C'est-à-dire l'intérêt.

T. XIV.

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M. de Séchelles l'en assura très-positivement. Le commerçant ne se contenta pas de cette première réponse, il lui demanda une parole positive; M. de Séchelles la lui donna telle qu'il pouvoit la désirer. Le commerçant lui dit que puisque cela étoit, il porteroit dès le lendemain une somme très-considérable. On croit qu'il est en état d'y porter 3 ou 4 millions. Cette réduction au denier ving-cinq est d'autant plus raisonnable, qu'elle devroit avoir été ordonnée il y a longtemps; en effet, elle doit suivre la proportion de l'argent qui se trouve dans le royaume. En 1606, Henri IV se fit rendre compte de l'argent qu'il y avoit dans le royaume, et on trouva qu'il y avoit 150 millions; on régla l'intérêt de l'argent au denier seize (1). La même opération fut faite sous le cardinal de Richelieu, environ trente-cinq ans après; il se trouva 300 millions en argent monnoyé; on remit l'intérêt de l'argent au denier dix-huit (2). M. Colbert, étant devenu surintendant des finances, voulut savoir la quantité d'argent monnoyé qu'il y avoit dans le royaume ; il s'y trouva 500 millions, l'intérêt fut mis au denier vingt. Depuis ce temps, c'est-à-dire depuis environ quatre-vingts ans, ce même denier a subsisté, et on convient qu'il y a 1,600 millions actuellement dans le royaume ; il s'en faut beaucoup comme l'on voit que la proportion soit gardée. Ce pourroit être cependant un avantage réel de baisser le denier, si l'on n'en trouvoit un plus considérable dans les pays étrangers; mais à 4 pour 100 il sera encore le plus favorable de tous, puisque partout ailleurs il est à 3 1/2, à 3 et jusqu'à 2 1/2. Il y a d'ailleurs un avantage réel pour le Roi. Les sommes que les fermiers généraux payent d'avance à S. M. leur produisent un bénéfice considérable, parce qu'on leur paye l'intérêt sur le pied du double du denier courant. Ainsi le denier courant étant

(1) C'est-à-dire à 6 fr. 5 sols pour 100. (2) C'est-à-dire à 5 1/2 pour 100.

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