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France, étant remonté sur le trône en 1814, avec l'appui de la force étrangère, ses ministres auroient dû inventer l'idée du contrat avec la nation, du consentement de ses députés, enfin de tout ce qui pouvoit garantir et prouver le vœu des François, quand même ces principes n'auroient pas été généralement reconnus en France. Il étoit fort à craindre que l'armée qui avoit prêté serment à Bonaparte, et qui avoit combattu près de vingt ans sous lui, ne regardât comme nuls les sermens demandés par les puissances européennes. Il importoit donc de lier et de confondre les troupes françoises avec le peuple françois, par toutes les formes possibles d'acquiescement volontaire.

Quoi! dira-t-on, vouliez-vous nous replonger dans l'anarchie des assemblées primaires? Nullement ; ce que l'opinion souhaitoit, c'étoit l'abjuration du système sur lequel se fonde le pouvoir absolu, mais l'on n'auroit point chicané le ministère de Louis XVIII sur le mode d'acceptation de la charte constitutionnelle; il suffisoit seulement alors qu'elle fût considérée comme un contrat et non comme un édit du roi; car l'édit de Nantes de Henri IV a été aboli par Louis XIV; et tout acte qui ne repose pas

sur des engagemens réciproques, peut être révoqué par l'autorité dont il émane.

Au lieu d'inviter au moins les deux chambres à choisir elles-mêmes les commissaires qui devoient examiner l'acte constitutionnel, les ministres les firent nommer par le roi. Très-probablement les chambres auroient élu les mêmes hommes; mais c'est une des erreurs des ministres de l'ancien régime, d'avoir envie de mettre l'autorité royale partout, tandis qu'il faut être sobre de ce moyen, dès qu'on n'en a pas un besoin indispensable. Tout ce qu'on peut laisser faire à la nation, sans qu'il en résulte aucun désordre, accroît les lumières, fortifie l'esprit public, et met plus d'accord entre le gouvernement et le peuple.

Le 4 juin 1814, le roi vint déclarer aux deux chambres la charte constitutionnelle. Son discours étoit plein de dignité, d'esprit et de convenance; mais son chancelier commença par appeler la charte constitutionnelle une ordonnance de réformation. Quelle faute! N'étoitce pas faire sentir que ce qui étoit donné par le roi pouvoit être retiré par ses successeurs? Ce n'est pas tout encore : dans le préambule de la charte il étoit dit que l'autorité toute entière résidoit dans la personne du roi, mais que sou

vent l'exercice en avoit été modifié par les monarques prédécesseurs de Louis XVIII, tels que Louis-le-Gros, Philippe-le-Bel, Louis XI, Henri II, Charles IX et Louis XIV. Certes les exemples étoient mal choisis; car, sans parler de Louis XI et de Charles IX, l'ordonnance de Louis-le-Gros, en 1127, relevoit le tiers état des villes de la servitude, et il y a un peu long-temps que la nation françoise a oublié ce bienfait; et, quant à Louis XIV, ce n'est pas de son nom que l'on peut se servir lorsqu'il est question de liberté.

A peine entendis-je ces paroles, que les plus grands maux me parurent à craindre pour l'avenir, car de si indiscrètes prétentions exposoient le trône encore plus qu'elles ne menaçoient les droits de la nation. Elle étoit alors si forte dans l'intérieur, qu'il n'y avoit rien à redouter pour elle; mais c'est précisément parce que l'opinion étoit toute-puissante, qu'on ne pouvoit s'empêcher de s'irriter contre des ministres qui compromettoient ainsi l'autorité tutélaire du roi, sans avoir aucun appui réel pour la soutenir. La charte étoit précédée de l'ancienne formule, usitée dans les ordonnances, nous accordons, nous faisons concession et octroi, etc. Mais le nom même de charte, consacré par

en fa

l'histoire d'Angleterre, rappelle les engagemens que les barons firent signer au roi Jean, veur de la nation et d'eux-mêmes. Or, comment les concessions de la couronne pourroient-elles devenir la loi fondamentale de l'état, si elles n'étoient que le bienfait d'un monarque? A peine la charte constitutionnelle fut-elle lue, que le chancelier se hâta de demander aux membres des deux chambres de jurer d'y être fidèles. Qu'auroit-on dit alors de la réclamation d'un sourd qui se seroit levé pour s'excuser de prêter serment à une constitution dont il n'auroit pas entendu un seul article? Hé bien! ce sourd, c'étoit le peuple françois ; et c'est parce que ses représentans avoient pris l'habitude d'être muets sous Bonaparte, qu'ils ne se permirent aucune objection alors. Aussi beaucoup de ceux qui, le 4 juin, jurèrent d'obéir à tout un code de lois qu'ils n'avoient pas seulement eu le temps de comprendre, ne se dégagèrent-ils que trop facilement, dix mois après, d'une promesse aussi légèrement donnée.

C'étoit un spectacle bien singulier que la réunion en présence du roi des deux assemblées, le sénat et le corps législatif, qui avoient servi si long-temps Bonaparte. Les sénateurs et les députés portoient encore le même uniforme que

l'empereur Napoléon leur avoit donné; ils faisoient les mêmes révérences, en se tournant vers l'orient, au lieu de l'occident; mais ils saluoient tout aussi bas que de coutume. La cour de la maison de Bourbon étoit dans les galeries, arborant des mouchoirs blancs, et criant : Vive le roi! de toutes ses forces. Les hommes du régime impérial, sénateurs, maréchaux et députés, se trouvoient cernés par ces transports, et ils avoient tellement l'habitude de la soumission, que tous les sourires habituels de leurs physionomies servoient comme d'ordinaire à l'admiration du pouvoir. Mais qui connoissoit le cœur humain, devoit-il se fier à de telles démonstrations? Et ne valoit-il pas mieux réunir des représentans librement élus par la France, que des hommes qui ne pouvoient alors avoir d'autre mobile que des intérêts et non des opi

nions?

Quoiqu'à plusieurs égards la charte dût contenter le vœu public, elle laissoit cependant beaucoup de choses à désirer. C'étoit une expérience nouvelle, tandis que la constitution angloise a subi l'épreuve du temps; et, quand on compare la charte d'un pays avec la constitution de l'autre, tout est à l'avantage de l'Angleterre, soit pour le peuple, soit pour

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