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devait prévenir toute profanation, et elle s'accorde avec la découverte des objets précieux renfermés dans la chambre sépulcrale. Paul Dubrux faillit être victime de cette disposition, car, à peine eut-il pénétré dans le vestibule, que le plafond s'effondra; l'exploration de la chambre ne fut pas d'ailleurs plus rassurante. C'est au péril de sa vie que l'émigré français continua ses investigations pen-* dant trois jours. Mais, pendant la nuit, le poste laissé à la garde du monument fut levé sans autorisation, et des chercheurs avides pénétrèrent dans la chambre et la dépouillèrent de tout ce qui avait échappé à l'exploration méthodique de Dubrux. On ne peut réparer le dommage causé par cette spoliation, et au monument, et à l'ensemble des objets qu'il renfermait, et à la disposition si importante de ces objets dans la chambre sépulcrale.

Mais d'après les informations de Dubrux, on savait la position du cadavre principal sous un large cercueil de bois à deux compartiments dont l'un renfermait les armes du personnage. Derrière sa tête était un autre cadavre, sans doute celui de l'écuyer. A l'angle, dans un enfoncement, on trouva les cnémides et les ossements d'un cheval. Dans tout le reste de l'espace se trouvaient des vases de bronze et d'argent de différentes dimensions et de diverses formes. Le long de la muraille occidentale, quatre amphores avec la marque de Thasos.

Les ornements dont le corps du principal personnage était accompagné le distinguaient comme prince. Il avait sur la tête deux cercles reliés sans doute par une tiare droite, ou cidaris, probablement en feutre. Un torques entourait le cou du cadavre. Des cercles et des bracelets d'or, pur ou mélangé d'argent, ornaient ses bras. Les armes déposées dans le compartiment intérieur étaient : un glaive de fer avec une poignée à revêtement d'or, un fouet, un petit bouclier, l'étui d'un arc. Puis, près du prince étaient les cnémides, et autour de sa tête, cinq petites statuettes en or pâle. Les cnémides étaient en bronze ou en argent doré.

Perpendiculairement au corps de l'écuyer était, en avant du cercueil royal, le cadavre d'une femme avec un diadème et un sceptre surmonté d'un oiseau, signes caractéristiques de l'épouse du souverain. Elle avait aussi un torques, un collier d'or d'un goût tout à fait

grec; à sa ceinture, trois agrafes ornées de médaillons et de pendeloques. On a trouvé entre les jambes du cadavre un vase d'or, puis, en criblant les terres, les fragments d'une lyre.

Les spoliateurs nocturnes avaient découvert une autre tombe à droite de l'entrée, avec un torques, un étui d'arc, un sceptre et une pièce d'or pâle représentant un sujet oriental. D'autres objets que M. de Gilles n'a pas connus sont au cabinet de la Bibliothèque impériale. Il serait curieux d'examiner si la magnifique collection de cyzicènes que nous possédons n'est pas originaire du Koul-Oba. On peut s'étonner, en effet, de n'avoir pas trouvé de monnaies auprès du personnage principal. M. LENORMANT a la certitude que les cyzicènes du cabinet proviennent de fouilles faites à Kertch; il lui a été assuré par M. Rollin père, qui les lui a vendues, qu'elles étaient le résultat d'une très-importante découverte, et il ne peut guère douter, quant à lui, qu'il ne s'agisse du Koul-Oba.

Le savant conservateur du cabinet examine s'il est possible de retrouver l'époque à laquelle vécut le prince inhumé dans le KoulOba. On n'a rencontré dans cette sépulture que la marque de Thasos sur une amphore, l'inscription IIOPNAXO tracée sur l'étui de l'arc du roi et les trois lettres IAI sur l'objet mystérieux en or que l'on découvrit sous le pavé de la salle.

Or, en supposant que поРNAXO soit la transcription archaïque de Pharnace, l'objet en question est d'un style beaucoup trop ancien pour pouvoir être rapporté au Pharnace, fils de Mithridate-Eupator, lequel est le premier roi de ce nom qui apparaisse au Bosphore. On a conjecturé d'autre part que ПAI désignait l'un des Périsades qui 'ont régné sur ces contrées. Des trois Périsades connus comme souverains de Panticapée, le choix ne saurait être douteux. Il ne peut s'agir ni de Périsade II, intercalé après Lysimaque, ni de Périsade III qui abdiqua en faveur de Mithridate, car le style des objets trouvés dans le Koul-Oba nous reporte au siècle du développement le plus complet et le plus délicat de l'art chez les Grecs. Il ne pourrait donc être question que de Périsade Ier, de 348 à 310 avant notre ère. Mais comment les restes d'un tel souverain auraient-ils été relégués sous le pavé de la salle? L'histoire conservée du fils de Périsade Ier répond à cette question. Suivant Diodore, Périsade

laissa trois fils: Satyrus, Prytanis et Eumèle, qui se disputèrent l'héritage royal. Eumèle, avec le secours d'Ariopharnès roi des Thates (et non des Thraces), se révolta contre son frère Satyrus qui fut tué et ramené à Panticapée par son autre frère Prytanis, qui le fit déposer dans les tombes royales en lui faisant une sépulture magnifique : ὃς ταφήν συντελέσας μεγαλοπρεπῆ καὶ καταθέμενος εἰς τὰς Basıdınds Onnas tò capa. (Diod. Sicul., 1. xx, 24, 1). Le règne de Prytanis dura cinq mois et, en 309, Eumèle était établi solidement sur le trône du Bosphore. C'est dans le Koul-Oba que Prytanis dut introduire le corps de Satyrus. Il aurait exilé son père de la grande salle et aurait donné la place d'honneur à son frère.

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Si maintenant on pouvait prouver que les cyzicènes en or du cabinet ont été trouvées dans le Koul-Oba, on tirerait de la présence de cette sorte de monnaie dans le tombeau un éclaircissement chronologique.

Le savant conservateur a déjà montré que les cyzicènes avaient été très-communes depuis la guerre du Péloponèse jusqu'à la fin de l'hégémonie thébaine, et qu'elles avaient été remplacées par les belles espèces d'or de Philippe et d'Alexandre; mais cette exclusion fut progressive. La date où M. LENORMANT a été conduit à placer la sépulture du Koul-Oba est postérieure de treize à quatorze ans, à la mort d'Alexandre. Déjà, en 309, on commençait à retirer les cyzjcènes de la circulation et il est naturel qu'on ait fait choix de cette sorte de monnaie pour la consacrer dans un tombeau. Ainsi l'opinion qui donne à Périsade Ier et à Satyrus II son fils la sépulture du Koul-Oba prend le caractère d'une extrême vraisemblance. III. Le Koul-Oba n'est pas une sépulture grecque. Il est hors de doute que la femme du personnage principal, son écuyer et le cheval ont été immolés sur son tombeau pour faire cortège à son ombre. Ne sont-ce pas là les usages évidents de la Scythie? Hérodote nous a donné les détails les plus caractéristiques sur les Scythes royaux dont l'empire remonte à 605 ans avant J.-C., après que ce peuple eut été chassé de la Médie. Après avoir décrit la marche funèbre du cortége à travers les diverses tribus, l'historien nous montre les tombes royales sur les bords du Borysthène, à l'endroit où ce fleuve devient navigable. Là était disposée une chambre sépulcrale; on

plaçait le mort sur un lit de feuillage, on formait un grand cercueil autour du roi, au moyen de lances enfoncées dans le sol de chaque côté; on les reliait ensemble par des planches au-dessus desquelles étaient étendues des nattes. Le reste de l'espace servait de sépulture à l'une des concubines du prince, à son échanson, à son cuisinier, à son écuyer, à son valet, à son courrier et à ses chevaux. Des offrandes de toute espèce y étaient déposées dans des vases d'or; cela fait, on élevait au-dessus un tumulus gigantesque. Cette description s'applique merveilleusement au Koul-Oba, sauf en ce qui concerne le nombre de domestiques; c'est donc une sépulture essentiellement scythique.

Mais l'art grec est venu lui prêter ses productions et ses ornements les plus délicats. Le nom du souverain est grec, Satyros. Il est vrai que le nom de son père, Paerisades est barbare, et qu'après l'extinction des Archéanactides, le prince qui leur succéda porta le nom de Spartocus, également barbare. On croit communément que les princes de cette famille étaient grecs. Ces deux noms dont la physionomie est évidemment étrangère à la Grèce n'ont jusqu'à présent attiré l'attention de personne. Il est vrai que ces souverains ne portaient pas le même titre quand il s'agissait de désigner leur autorité dans la colonie grecque ou bien dans les tribus scythiques qui leur étaient soumises, telles que les Maïtes, les Dandariens, les Thates, les Dosques, etc. Dans le premier cas, c'étaient des archontes; dans le second, des rois. Cette distinction donnerait, au premier abord, l'idée d'une supériorité éclatante de la domination grecque sur les barbares, mais on ne comprendrait guère alors comment les princes grecs auraient adopté les mœurs et les usages de la Scythie.

On conçoit bien mieux des chefs barbares, adoucis peu à peu par le commerce des colonies grecques, rois quand il s'agissait de leur autorité sur les peuples placés en dehors de leur civilisation hellénique, et consentant à prendre, dans la colonie, un titre équivoque exprimant leur autorité, sans offenser les oreilles républicaines des Grecs que leur commerce attirait sur ces rives jadis inhospitalières. Il ne faut donc pas s'attacher à la physionomie grecque des noms de la plupart de ces rois, et l'on doit se rappeler que les Grecs, par

ce procédé qui leur était habituel, avaient dû les transformer en noms de leur idiome.

Il est facile de faire ressortir le caractère scythique du personnage enfoui au Koul-Oba. Son frère Eumèle s'était aidé pour le combattre des tribus barbares du voisinage; le prince qui le soutenait était roi des Thates et ces peuples avaient été soumis à Périsade; c'était sans doute pour s'affranchir qu'Ariopharnès soutenait les prétentions d'Eumèle. Satyrus, de son côté, avait dans son armée 2,000 Grecs mercenaires, 2,000 Thraces, 20,000 fantassins et 10,000 cavaliers scythes : Οἱ δε λοιποὶ πάντες, ὑπῆρχον σύμμαχοι Σκύθαι πλείους τῶν δισμυρίων, ἱππεῖς δ ̓ οὐκ ἐλάττους μυρίων. Si ces Scythes semblent être ses alliés, payo, ils n'en composaient pas moins le gros de son armée, le vrai corps national. (Diod. Sicul., 1l. xx, 22, 4).

Les particularités scythiques qu'offre le Koul-Oba sont d'abord la disposition sur laquelle il est inutile de revenir; puis certains caractères spéciaux d'ornementation, tels que ceux qu'offre le torques du roi. Il est en effet terminé par deux figures à cheval, qui sont barbares, avec les cheveux longs, des bottes, de larges anaxyrides et une pelisse fourrée croisée sur la poitrine. Le même costume se retrouve dans les quatre figurines d'or massif autour de la tête royale, et dans les deux autres personnages également d'or massif, l'un assis, l'autre à genoux, et rapprochant leurs têtes, comme pour boire ensemble dans un céras qu'ils soutiennent de concert chacun d'une main. On reconnaît dans ces figures des personnages scythes. L'exécution de ces petits monuments est différente, mais il ne faut pas croire, comme l'a fait l'auteur des Antiquités du Bosphore cimmérien, que ceux dont l'art est plus négligé soient des caricatures.

Le vase à boire a une signification belliqueuse: Hérodote nous en instruit. Les Scythes se servaient du crâne de leurs ennemis, ils le recouvraient d'un cuir de bœuf et les plus riches le faisaient dorer. Cette coupe attachée à la ceinture était un certificat de noblesse militaire; car on n'était admis à puiser le vin dans le large cratère confié à la garde du chef de chaque district que quand on avait donné la preuve d'avoir tué un ennemi en rapportant son crâne. L'historien nous fournit lui-même l'explication des deux figurines

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