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alors une expédition contre les Maures d'Afrique. Aidé de deux de mes compagnons, je fabriquai une échelle de corde, et nous descendîmes par une des fenêtres de la tour dans laquelle nous étions détenus. Arrivés sur les bords de la Guadiana, nous nous cachâmes dans les roseaux. Le lendemain matin, nous aperçûmes un pêcheur dans sa nacelle. Un de mes camarades se mit à imiter le cri du canard sauvage. Le pêcheur s'approcha, croyant qu'un de ces oiseaux, blessé par un chasseur, était tombé dans les roseaux.

En un instant il fut poignardé, et sa barque nous transporta à Tavira, dans le royaume des Algarves. Comme on nous traitait en prisonniers d'état, on ne nous avait pas enlevé l'or que nous possédions: ce fut chose facile de se procurer des chevaux et des armes. Nous nous mîmes en route pour Lisbonne. Tout le long de la route nous rencontrions des troupes de jeunes laboureurs qui allaient rejoindre l'armée du roi D. Sébastien, et de temps en temps un seigneur couvert d'armes brillantes et suivi de nombreux soldats. A mesure que l'on approchait de la capitale, cette foule devenait plus compacte et plus joyeuse: on eût dit qu'elle allait assister à une fête. Peu de jours se passèrent, et la plaine d'Alcazarquivir était cou

verte de leurs cadavres. Les plus heureux étaient esclaves chez les Maures. Mais j'ai tort de dire les plus heureux, car j'y ai souffert mille morts, tandis que mes compagnons d'armes recevaient dans le Ciel la couronne du martyre, due à tous les guerriers chrétiens qui succombent dans un combat contre les infidèles.

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TROISIÈME PARTIE.

CHAPITRE Ier.

L'auteur accompagne le roi D. Sébastien dans son expédition d'Afrique.

e roi D. Sébastien, alors âgé de vingt-deux ans, était également remarquable par sa force et par sa valeur. Il pouvait être considéré comme le plus parfait cavalier de son royaume. On ne pouvait lui reprocher d'autre défaut que le désir si naturel à son âge de courir les aventures; il y était secrètement encouragé par le roi D. Philippe, son oncle, qui, le voyant encore sans enfants, n'aurait pas été fâché de le voir périr pour profiter de sa succession, Mais ce sont là de ces matières d'état dont les hommes prudents font mieux de ne pas parler.

Muley-Mohamed, roi de Maroc, chassé de son royaume, était venu le trouver et lui avait pro

mis de se reconnaître pour son vassal s'il voulait d'aider à rentrer dans ses états. D. Sébastien avait réuni dans ce but une nombreuse armée, dans laquelle je parvins à obtenir une enseigne. C'était peu pour un ancien capitaine, mais beaucoup pour un fugitif.

Une flotte de plus de cent vaisseaux nous transporta en Afrique. Le jeune roi, sans vouloir écouter l'avis de ses officiers les plus expérimentés, s'avança rapidement dans l'intérieur, et bientôt nous nous trouvâmes en présence d'une armée de plus de cent mille Maures, qui, se déployant en croissant, nous enveloppèrent complétement. Le roi essaya vainement de percer l'armée ennemie, à la tête de ses plus braves chevaliers. Nous fumes mis dans une déroute complète. Le roi eut trois chevaux tués sous lui. Les Maures ne voulaient pas le 'tuer; ils ne le connaissaient cependant pas, mais le voyant couvert d'une brillante armure, ils le regardaient comme un prisonnier d'importance, et qui pouvait payer une riche rançon. Ils allaient même en venir aux mains entre eux, quand un chef lui fendit la tête en leur criant: «< Comment! chiens que vous êtes, quand Dieu vous accorde une si brillante victoire sur les ennemis de notre foi, vous allez vous égorger pour la rançon d'un prisonnier! >>

Tous les seigneurs portugais qui ne périrent pas dans la bataille tombèrent entre les mains des Maures, et ceux-ci exigèrent d'eux une rançon exorbitante. Un des plus heureux fut D. Antoine, prieur de Crato, qui, depuis, se fit proclamer roi de Portugal. Pris par un Maurisque renégat, il parvint à lui persuader que l'habit de chevalier de Saint-Jean était un habit monastique, et qu'il était très pauvre. Il s'entendit avec un juif, qui le racheta pour quelques ducats, et dont il fit ensuite la fortune. Les autres seigneurs furent obligés de payer cinq mille cruzades par tête. Quant à nous autres, nous fûmes rachetés en masse par le roi D. Henri, successeur de D. Sébastien, non sans avoir souffert toutes les misères imaginables, car on faisait si peu de cas de nous qu'on ne prenait pas la peine de nous nourrir. On nous jouait pour quelques maravedis, ou l'on nous échangeait contre les objets les plus vils. Qui m'eût dit que je vivrais assez pour voir échanger dix gentilshommes de nom et d'armes contre un porc ou un baudet?

Peu de temps après mon retour à Lisbonne, le roi cardinal Henri mourut, et, malgré les efforts de D. Antoine de Crato, le duc d'Albe, à la tête d'une armée de nos invincibles Castillans, prit possession du royaume au nom de

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