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CHAPITRE X

ARTS ET SCIENCES. LES WOOD, GAINSBOROUGH, LAWRENCE,

HERSCHEL.

On a vu trois au moins des amis d'Allen représenter à Prior Park les beaux-arts. Ce sont deux architectes de mérite, les Wood, père et fils, et un peintre estimable, William Hoare; tous habitants de Bath, où, de diverses parties de l'Angleterre, ils étaient venus s'établir, et où ils résidèrent de façon permanente. Ces noms, d'autres aussi que nous allons rencontrer, prouvent que Bath attirait à soi parmi les artistes au moins quelques-uns de ceux à qui la présence d'une société élégante et riche faisait raisonnablement attendre une nombreuse et facile clientèle. Nul endroit, après la capitale, où le peintre de portraits par exemple, ou bien le musicien, eût plus de chance de trouver l'emploi de son talent'; nul endroit non plus où le talent ignoré pût plus aisément se produire, où un succès éveillât plus d'écho, où une renommée naissante se propageât plus vite et précisément dans les milieux qu'il importait de conquérir d'abord. A Bath se formèrent et se firent connaître un Gainsborough et un sir Thomas Lawrence, comme s'y étaient formés et s'y étaient fait connaître, dans une branche fort différente de l'art, un Henderson ou une Siddons. Et, si ces deux grands hommes se sont

1. Et de même quiconque enseigne un art de luxe; on a vu plus haut (ch. v, p. 120) le père de Sheridan choisir Bath pour y enseigner la diction et ce qu'il regardait comme l'éloquence.

d'assez bonne heure fixés à Londres, d'autres, de moindre éminence, se sont contentés toute leur vie de ce premier théâtre de leurs efforts et de leurs succès, entretenant par leur présence, dans une partie au moins de la société de Bath, quelque goût, quelque connaissance, parfois quelque pratique des arts, en particulier de la peinture et de la musique.

L'œuvre des architectes, de Wood le père surtout, a été au point de vue local bien autrement importante encore, importante au point que celui-ci a tout droit à être regardé avec Nash comme l'un des fondateurs du Bath moderne. Ce n'est pas par quelques monuments, par quelques bâtiments isolés qu'il a laissé ici sa trace. Au moment même où la société commençait d'affluer à Bath, Wood entreprit de construire pour elle, sur un plan d'ensemble, toute une ville nouvelle, places, rues, avenues, édifices publics et privés; et ses projets furent si vastes qu'avec une activité constante et bien servie par les circonstances, il ne put les exécuter qu'en partie. Repris et poursuivis par son fils, ils continuèrent, celui-ci mort, de régler le développement ultérieur de la ville, si bien que presque tout ce qu'il y a de remarquable à Bath' est l'œuvre du premier Wood, ou du second, ou de contemporains et de successeurs guidés par leur exemple et plus ou moins inspirés d'eux2. De là cette unité d'impression que ressent le voyageur en parcourant cette jolie cité, à la fois élégante et pompeuse, coquette et régulière 3; elle est vaste, elle est diverse, elle a été après tout assez longue à bâtir, mais on peut dire qu'elle est en somme l'ouvrage d'un seul homme, ou

1. Je laisse bien entendu de côté et les ruines romaines et l'abbaye qui, avec quelques églises, sont presque seules à rappeler les temps antérieurs au XVIII siècle.

2. Certains furent d'ailleurs gens de talent, surtout Baldwin (1750-1820) à qui est due la belle ordonnance de Pulteney Street, de Laura Place et de leurs abords, ainsi que la nouvelle buvette et l'hôtel de ville. Mais leur œuvre, si originale qu'elle puisse rester, s'harmonise avec celle de Wood et la continue. Parmi les architectes contemporains de Wood, le plus connu est peut-être Richard Boyle, comte de Burlington (voir dans Meehan, Famous Houses of Bath, en regard des p. 2 et 12, les gravures qui représentent deux maisons qu'il édifia à Bath).

3. Un voyageur français dit justement en 1811 « Toutes les rues sont belles et neuves. C'est une ville qui a l'air d'avoir été jetée au moule d'un seul coup et qui vient d'en sortir toute jeune et toute fraiche » (Voyage d'un Français en Angleterre, t. I, p. 22).

de deux fort pareils hommes, qui placés en face d'une tâche exceptionnelle et difficile, s'en sont acquittés avec un goût sûr et un génie fertile.

Les premières vues de Wood sur l'extension méthodique et sur l'embellissement de Bath remontent à 1724'. La vieille bourgade du moyen âge, enserrée encore dans les limites de son mur romain2, ne suffisait plus, malgré les rues dont elle s'était agrandie récemment 3, à l'afflux croissant des visiteurs; Wood proposa la construction de quartiers neufs où figuraient « une grande place d'assemblée, qu'on appellerait le forum royal de Bath, une autre non moins magnifique et destinée aux jeux en plein air, qui serait le grand cirque, une troisième, de même dignité que les premières, réservée aux exercices médicaux, et qu'on nommerait le gymnase impérial de la ville, en souvenir d'un édifice de ce nom inauguré à Bath au temps des empereurs romains». Qu'on ne s'étonne pas de ces souvenirs de l'antiquité : Wood est un des représentants, et l'un des plus honorables, de l'architecture classique; il appartient, comme la plupart de ses contemporains, à cette école, désignée en Angleterre du nom de palladienne, qui prend pour maître Vitruve, interprété par les Italiens de la Renaissance. Qu'il fût d'ailleurs fort épris, et non point seulement en ce qui touche l'art, de la Grèce et de Rome, c'est

1. Wood, Description of Bath, t. I, ch. xà, p. 232.

2. Entre le plan joint aux Bathes of Bathes Ayde, de Jones (1572), et celui de Joseph Gilmore (1694), on constate fort peu de différence; un érudit local ne compte sur le second que dix-sept maisons nouvelles (Warner, History of Bath, ch. v, p. 219; cf. Wood, op. cit., 2o partie, ch. x, x1, xí). Le mur, composé en partie de matériaux romains, fut abattu au XVIIIe siècle.

3. Pour le détail de ces agrandissements, voir Wood, ibid., ch. xí, p. 225-228. 4. « After my Return to London, I imparted my first Design to Mr. Gay, an eminent Surgeon, in Hatton Garden, and Proprietor of the Land; and our first Conference was upon the last Day of December 1725: The 31st of March following, I communicated my second Design to the Earl of Essex, to whom the Land on which it was proposed to be executed, then belonged: And in each Design, I proposed to make a grand Place of Assembly, to be called the Royal Forum of Bath; another Place, no less magnificent, for the Exhibition of Sports, to be called the Grand Circus; and a third Place, of equal State with either of the former, for the Practice of medicinal Exercises, to be called the Imperial Gymnasium of the City, from a Work of that Kind, taking its Rise at first in Bath, during the Time of the Roman Emperors » (Ibid., p. 232). Il est inutile de dire que les derniers mots expriment une conjecture purement gratuite de l'auteur.

ce dont témoigne l'érudition indigeste, confuse et absurdement crédule, qu'il a fâcheusement étalée dans les deux volumes de sa Description de Bath. C'est du reste après tout une cité romaine qu'il avait à restaurer et à ressusciter, la plus romaine peut-être de l'ancienne Bretagne ; c'est la vieille Aquæ Solis, tirée de son long sommeil et qui va se parer de nouveau sans surprise des frontons et des colonnades, des pilastres et des chapiteaux qui ont déjà décoré une fois, il y a bien des siècles, ses temples et sa basilique, ses villas et ses thermes. Cette fois pourtant, elle veut être plus fastueuse, plus magnifique; elle cherche davantage à éveiller une admiration qu'elle obtient par sa dignité calme, sa symétrie qui n'exclut ni la variété ni l'élégance, son air grandiose encore qu'un peu théâtral.

En quoi consistaient au juste ces premiers plans de Wood, comment ils furent modifiés, amendés ou complétés, quelles parties en furent exécutées et de quelle façon ', quels nouveaux projets s'y ajoutèrent tour à tour, et le sort de ceux-ci, ce sont là questions un peu techniques et locales qui ne rentrent pas dans le cadre de ce travail. Nous n'avons pas à suivre Wood dans l'exercice de son infatigable activité et dans le détail de son œuvre aussi bien la compétence nous ferait-elle par trop défaut pour apprécier celle-ci par le menu. Il faut rappeler cependant qu'entre bien d'autres ouvrages c'est à lui que revient l'honneur d'avoir édifié la Place de la Reine 3, avec toute la dignité de ses façades monumentales, son jardin et son obélisque ; dessiné le Cirque ', vaste rond-point dont les maisons uniformes marient dans un dessin sévère les trois ordres grecs; dressé enfin sur la colline de Widcombe le noble portique hexastyle de Prior Park, ses pavillons et ses arcades. Le Cirque, en parti

1. Ces grands travaux furent pour la plupart des spéculations, mais Wood, dans le soin de ses intérêts, n'oublia nulle part le souci de son art.

2. On trouvera tous ces points exposés en grand détail dans l'ouvrage de Wood (voir surtout le chapitre XII de la deuxième partie, les chapitres II, IV-VII et IxXII de la troisième, le chapitre XI de la quatrième).

3. Queen Square (1728-1735). La partie la plus remarquable en est le côté nord, le seul où Wood fut libre de réaliser entièrement son plan.

4. Circus ou Royal Circus, terminé en 1765, onze ans après la mort de Wood. 5. C'est aussi lui qui édifia les fameuses parades de Bath, les Lower Rooms, l'hôpital, etc. Hors de Bath, on cite surtout parmi ses œuvres les bourses de Bristol et de Liverpool.

culier, excitait à tel point l'enthousiasme de Landor qu'il ne voyait rien, même à Rome, même par tout le monde, qu'on y pût comparer 1. L'éloge est assurément excessif, mais cette place, comme Queen Square, comme les rues voisines, ne serait nullement indigne de plus d'une grande capitale.

L'auteur n'en avait pas vu l'achèvement; c'est son fils qui, après sa mort, l'exécuta sur ses plans. Mais ce fils était son digne successeur, son égal par le talent comme par l'activité et l'esprit d'entreprise. Peut-être même le Royal Crescent, œuvre de celui-ci, forme-t-il l'ensemble architectural le plus grandiose, le plus saisissant du Bath moderne. Cette longue rangée ionique de bâtiments uniformes, assis en ellipse au faite d'une colline, étonne par sa simplicité grave, sa majesté, la beauté de ses approches, la façon harmonieuse dont elle s'encadre dans tout le site qui l'entoure; souvent imitée, et à Bath même, elle n'a été ni surpassée ni égalée. Un édifice élégant et commode, les nouvelles salles d'assemblée ', théâtre des fêtes et des réunions mondaines depuis 1771, est, après le Crescent, l'œuvre la plus renommée de Wood le jeune; mais, comme son père, c'est surtout dans le dessin et la construction de rues entières, de places, d'avenues, qu'il employa son talent. Celles-ci sont nombreuses entre l'entrée en scène et la mort du premier Wood (1726-1754), Bath, renversant ses murailles, couvrant toute la

1. «< In London, with St. Paul's and St. Stephen's before us, in Bath with Queen's Square, the Crescent and the Circus (which last nothing in Rome or in the world is equal to), we build cottages like castles and palaces like cottages... >> (Imaginary Conversations, Pericles and Sophocles, note; cette note n'est pas reproduite dans l'édition complète de Landor donnée récemment par M. Crump; cf. p. xxvII de l'introd.). Smollett au contraire ne voyait dans le Cirque qu'une babiole prétenticuse, un Colisée retourné: « The Circus is a pretty bauble, contrived for show, and looks like Vespasian's amphitheatre turned outside in »> (Humphry Clinker, lettre du 23 avril). Il est vrai que c'est le quinteux Matthew Bramble qui parle; il est moins mécontent de Queen Square (ibid.).

2. Il mourut en 1754.

3. Elle a inspiré au moins un poème, une Ode on an Evening View of the Crescent at Bath (Londres, 1773).

4. New Assembly Rooms, ou Upper Assembly Rooms.

5. Il y eut quelque temps rivalité entre elles et les Lower Rooms (voy. New Prose Guide to Bath, dédicace, p. 1-v), mais elles triomphèrent bientôt sans conteste; elles existent encore aujourd'hui; les Lower Rooms, bâties par Wood le père en 1729, furent détruites par un incendie en 1820.

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