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content de revoir ce que d'autres ont déjà observé, il entreprend alors de construire des télescopes d'une puissance jusque-là inconnue, passant jusqu'à seize heures sans désemparer à polir un miroir, tandis que sa sœur lui introduisait dans la bouche quelques morceaux de nourriture'. En 1781, le 13 mars, il découvre l'astre qui s'appela successivement Georgium Sidus (ainsi qu'il l'avait nommé), Herschel, Uranus, et reçoit la médaille d'or de la Société Royale; il ne s'en préparait pas moins, tout en achevant un nouveau télescope, à diriger au concert avec Rauzzini les oratorios 2, lorsque le roi le mit à la tête de l'observatoire de Datchet. Il n'y a guère dans l'histoire des sciences de spectacle plus admirable que celui de ce pauvre Hanovrien, sans instruction ni ressources, simple musicien de régiment à l'origine, qui, par son travail, son énergie, sa persévérance, vainc mille difficultés accumulées et d'apparence insurmontables, acquiert dans une branche ardue de la science toutes les connaissances de son temps, ajoute magnifiquement lui-même à ces connaissances et accroît d'un chapitre le livre toujours inachevé du savoir humain.

L'histoire de ce grand homme pendant son séjour à Bath est trop indépendante de son milieu pour qu'il soit à propos de la raconter par le menu. Mais il clôt glorieusement ce défilé d'esprits éminents et distingués que la ville d'eaux n'a cessé de voir passer d'un bout à l'autre du XVIIIe siècle. C'est, pourra-t-on penser, un lien assez frêle et assez fortuit qui unit à cette ville la plupart d'entre eux. Il est vrai, mais ils lui appartiennent toujours en ceci qu'elle les a attirés les uns et les autres, qu'ils y sont accourus en rangs pressés, certains par intérêt ou pour le bien de leur santé, le plus grand nombre par goût ou par curiosité; qu'ils se sont au moins laissés entraîner volontiers par le même courant qui emportait périodiquement de ce côté la société polie. Bath a été pour presque tous, comme pour le reste de

1. «<< I was constantly obliged to feed him by putting the victuals by bits into his mouth. This was once the case when, in order to finish a seven-foot mirror, he had not taken his hands from it for sixteen hours together » (Ibid., p. 36-37). 2. « Now a very busy winter was commencing; for my brother had engaged himself to conduct the oratorios conjointly with Rauzzini, and he had made himself answerable for the payment of the engaged performers, for his credit ever stood high in the opinion of everyone he had to deal with » (ibid., p. 42).

l'Angleterre, le lieu de divertissement et de récréation; quelquesuns, comme les Wood et Gainsborough, y ont trouvé un champ d'action, d'autres un sujet d'étude. A cause des derniers surtout, à cause des écrivains qui ont plus que tous droit à notre attention, la ville et la société de Bath ne peuvent laisser indifférent quiconque s'intéresse aux choses d'outre-Manche: ce n'est en effet rien exagérer que de dire que la littérature anglaise doit à cette ville et à cette société quelque chose de l'œuvre de Smollett, de Sheridan, de Mile Austen.

CHAPITRE XI

TRANSFORMATION DE BATH AU XIX SIÈCLE. CONCLUSION.

Les romans de Mlle Austen nous ont fait voir au seuil du XIXe siècle un Bath animé, bruyant, plus fréquenté probablement et plus encombré qu'à aucune époque, mais, par l'excès même de sa vogue et la trop longue durée de sa fortune, en voie de perdre certains de ses traits distinctifs '. La ville de plaisir a étendu trop loin son rayon d'attraction; les communications rapides et faciles, la diffusion de la richesse en ont ouvert l'accès à trop de gens. Dans cette affluence universelle le public élégant, depuis quelque temps déjà, se sent mal à l'aise. Tant qu'aux salles d'assemblée ou à la buvette il avait dominé par le nombre ou régné tout au moins par le prestige, il avait pu accepter d'assez bonne grâce des coudoiements inévitables, s'amuser de certaines instrusions, frayer au besoin avec qui tenait à si grand honneur de l'approcher respectueusement. A présent ce public se voit submergé par l'autre; moins tolérant que jadis de certaines promiscuités, jaloux aussi d'affirmer des distinctions qui s'obscurcissent 2, il tend à se séparer de la masse et à se recons

1. Voy. ci-dessus, ch. vII, p. 202-211.

2. En 1822 (et c'est peut-être depuis quelque temps), toutes distinctions officielles de rang ont disparu des lieux publics:

No seats for peeresses, are now appointed,

But rank and titles are all disjointed,

And ev'ry upstart whom great Nash had humbled

With dukes and princes, counts and lords is jumbled...

(A Summer in Bath, p. 21).

tituer à l'écart. Plus de groupement unique; dans une population si nombreuse, chaque fraction est assez importante pour se suffire à soi-même, et Bath se reconstruit en compartiments séparés. Des sociétés diverses séjournent en même temps dans une ville bien aménagée pour les plaisirs élégants et consacrée par la tradition aux villégiatures joyeuses. Mais il n'y a plus, ou, pour parler plus exactement, il n'y aura bientôt plus, de société de Bath.

L'indice manifeste de cette transformation, c'est le déclin graduel de ces divertissements publics dont Nash avait fait le lien même du peuple qu'il régentait, le foyer destiné à fondre ensemble cent éléments divers. Dans la faveur du beau monde, ils sont remplacés de plus en plus par des réunions particulières et fermées, réunions insolites jadis, proscrites même au temps du monarque'. Si la buvette ou bien les salles d'assem

L'auteur ajoute :

The consequence is plain- they will not come.

But are to all their private friends, at home.

Un défenseur de Bath dit vers le même temps: « A few years ago, Bath was divided into a great many sets, but now I think they may be all resolved into two; the good and the bad... [The good] is not open, as many imagine, to every aspirant after fashion... It does not hold out its arm to every person of large fortune and low family. It does not always court the honour and patronage of those who have some little rank and less reputation. It is not always deaf to the suggestions of morality and good feeling nor does it (as it has often been accused of doing) press into its service every man who wears pantaloons » (Album, 1825, p. 180).

1. Voir là-dessus J. Austen, citée plus haut, ch. và, p. 211, et cf. Wonders of a Week in Bath, Monday (1811), et A Summer in Bath, p. 10, 19, 22, 43. Un historien local, Warner, remarque bien ce changement et son importance; il montre aussi comment la rigide discipline établie par Nash ne put être maintenue par ses successeurs : « Acting upon the grand principle of congregating the devotees of fashionable amusement, regularly and frequently, into one brilliant focus, he had discountenanced all private parties and select coteries: and the daily and nightly attendance at the public Rooms formed as integral a part of the business and duty of Bath visitors, as their diurnal operations of eating and drinking... From the moment of Beau Nash's quitting the scene of his power and pride those corruptions and relaxations (which first sap, and then crumble, the mightiest states) crept, insensibly, into his formal and elaborate system of public punctilio and the fear of violating the law that prohibited the domestic rout, and enforced a regular attendance at the public assemblies in which he had presided, gradually evaporated... Late dinners began by little and little to interfere with the regular early attendance at the Upper and Lower Rooms: and fatal « at homes », on the ball nights, to prevent that attendance altogether... Taste and fashion, now [après la disparition des maîtres des cérémonies fidèles

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blée sont encore des plus fréquentées (on se souvient du tableau qu'en fait Dickens)2, ce n'est plus par la même assistance aristocratique, laquelle n'y paraît plus qu'à l'occasion et surtout par curiosité et les tient généralement en dédain 3.

Ce dédain, chose plus grave, de la part de plusieurs, puis d'un grand nombre, c'est Bath même, par une extension naturelle, qui commence à en être l'objet. Me Austen, Dickens, témoignent, chacun à sa façon, de l'affaiblissement de son vieux prestige; les voyageurs le constatent aussi avec surprise', mais le plus curieux document et le plus explicite que nous ayons rencontré à ce sujet, c'est peut-être un long article, ou plutôt une série de deux articles, qui parut en 1824-1825 dans l'Album, journal périodique de Londres, sous ce titre : L'habitant de Bath. L'auteur anonyme, qui se dit habitant de Bath, y dénonce sans réserve ni merci la fausse élégance, les manières affectées ou impertinentes qui passent, dit-il, auprès des habitants ou des habitués de cette ville pour le suprême bon ton et dont il prétend qu'on se raille à Londres; il y fait en outre le comique exposé des mortifications qui attendent dans la capitale l'homme qui y apporte l'éducation et les manières de Bath. Faisons la part de l'exagération qui est

à la tradition] no longer checked, chose for solace and display, the private rather than the public arena » (Literary Recollections, t. II, ch. xш, p. 3-8).

1. Du moins l'un des deux établissements, seul survivant, les Upper Rooms; encore, dès 1830, Warner nous dit-il que « frappées d'une phtisie inguérissable, elles traînent, à ce que l'on dit, une existence languissante et précaire (Literary Recollections, t. II, ch. xIII, p. 1-8). Les Lower Rooms avaient fermé dés

1807.

2. Cf. ci-dessus, ch. vII, p. 211-221.

3. If it be Thursday night, the Rooms are generally looked into, but it is hardly advisable to join oneself to the herd who are dancing there » (The Album, 1825, p. 182). Il est vrai que, dans une réplique faite à cet article, se trouvent ces lignes : « ...Among the herd, a few weeks since, ...no less than eighteen ladies... bore honourable designations as relatives of nobility; and amongst the gazers upon the herd were Lord Liverpool and several other Nobles and their Ladies, who did not think themselves contaminated by the air of the Upper Rooms, nor their daughters degraded by dancing with the herd' there assembled» (Remarks on the Bath Man, by a Man of the World, p. 20-21).

4. « Bath est abandonné de la mode après en avoir été le temple. Sa vieille élégance m'a rappelé les gràces de ces fats surannés qui trouvent au lieu d'envieux et d'émules des spectateurs bien froids, bien ennuyés, et même tant soit peu incrédules » (Custine, Mémoires et Voyages, p. 452 [1822]).

5. The Bath Man (nos VII et VIII, janvier 1824 et avril 1825, formant ensemble le volume IV du recueil).

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