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drapent d'une dignité imaginaire des passe-temps frivoles. Le branle est du reste donné, et « l'on ne peut guère agir avec indépendance là où il faut d'abord faire comme tout le monde; c'est un cercle enchanté: qui n'y court point en rond ne peut plus bouger, ou bien il embarrasse tous les autres » '. Suivons par la pensée quelqu'un de ceux qui courent en rond dans le cercle enchanté.

Il faut d'abord qu'il y ait pénétré, et c'est le cas de rappeler que, pendant la première moitié ou les deux premiers tiers du XVIIIe siècle, un voyage à Bath était chose assez coûteuse et qui n'allait ni sans fatigue, ni sans tracas. Les routes étaient fort mauvaises, les communications entre les régions diverses de la Grande-Bretagne, difficiles autant que lentes 2. C'est à cheval 3 ou dans leurs voitures particulières que se rendaient aux eaux les personnes de qualité, accompagnées d'une suite destinée autant à prévenir ou à repousser les attaques des voleurs de grand chemin qu'à faire honneur au maître. Vers le milieu du

1. «< ...You cannot well be a free Agent, where the whole Turn is to do as other People do; It is a Sort of Fairy Circle, if you do not run round in it, you either cannot move at all, or are in every Body's way » (English Magazine, décembre 1737, p. 684).

2. Voir là-dessus Macaulay, History of England, ch. II (p. 290-300 de l'Edinburgh Edition), et Lecky, t. VII, ch. xxi. Sur les routes qui menaient à Bath, voici quelques autres témoignages contemporains, qu'il serait facile de multiplier: «<< Having Din'd we proceeded on our journey, but with a great deal of difficulty; for the Road was so rocky, unlevel and narrow in some places that I am perswaded the Alps are to be passed with less danger...; we were jolted so Cursedly that I thought it would have made a dislocation of my Bones », etc. (A Step to the Bath, p. 12, 1700). -«The news you tell me of the many difficulties you found in your return of the Bath gives me such a kind of pleasure as we usually take in accompanying our friends in their mixed adventures; for methinks I see you labouring through all your inconveniences of the rough roads, the hard saddle, the trotting horse, and what not » (Pope à H. Cromwell, 12 novembre 1711, Pope's Works, éd. Elwin et Courthope, t. VI, p. 126). « After four days' journey in very bad roads I arrived here a good deal tired » (Mrs. Montagu, Letters, t. I, p. 72, 27 décembre 1740).

3. Voir par exemple le journal de Celia Fiennes, récemment publié sous ce titre: Through England on a Side Saddle in the Time of William and Mary (Londres, 1888).

4. On sait le parti qu'ont tiré les romanciers de ces aventures, qui étaient dans la réalité extrêmement fréquentes. Il n'y a guère de roman du XVIIIe siècle qui n'en raconte quelqu'une; voy. par exemple: Tom Jones, livre XII, chap. xiv; Humphry Clinker, 23 et 26 juin; Roderick Random, chap. LIV. Dans ce dernier

siècle, il fallait encore trois grands jours aux diligences' (deux pendant le service spécial d'été) pour franchir les quarante ou quarante-cinq lieues qui séparent Londres et Bath, et ce ne fut qu'en 1784 que, sur l'initiative d'un citoyen de cette dernière ville, la première malle-poste3 qu'on ait vue en Angleterre réduisit la durée du voyage à quatorze heures. C'était en conséquence un dérangement sérieux, une dépense assez considérable que de venir à Bath, mais l'embarras même et les frais de déplacement invitaient à n'y venir que pour une installation de quelque durée. Il n'était pas d'ailleurs dans les Iles Britanniques d'autres séjours d'été; ni la mer, où l'on ne se baignait guère encore, ni les monts d'Écosse ou de Galles, ignorés, dédaignés, à peine accessibles, n'étaient propices à la villégiature; la difficulté et la cherté des voyages empêchaient d'autre part le grand nombre de gagner le continent. L'Anglais qui désirait un changement d'air et de milieu songeait donc d'abord et tout naturellement aux villes d'eaux, à Bath en première ligne, au lieu d'hésiter comme aujourd'hui entre les mille attractions de l'Europe et du monde.

ouvrage, c'est précisément en se rendant à Bath que le héros défend vaillamment la voiture attaquée à Houndslow Heath. Aux portes mêmes de Bath, Claverton Down était hanté de malandrins (cf. Goldsmith, Nash, p. 545).

1.

Stage-coaches, between Bath and London, in three days, set out mondays and thursdays from the following inns, etc... There are coaches that go in two days from April to Michaelmas, and set out both from Bath and London Wednesdays, Mondays, and Fridays » (Tradesmen's and Travellers' Companion, edition, publiée vers 1750). Le même indicateur nous apprend qu'il existait des services réguliers entre Bath et Bristol, Bath et Oxford (deux jours), Bath et Exeter (trois jours), Bath et Salisbury (un jour).

2. John Palmer, homme entreprenant, dont nous retrouverons le nom quand nous traiterons du théâtre de Bath, et qui fut député de Bath au Parlement de 1801 à 1808.

3. Mail-coach. La durée du trajet 'avait été d'ailleurs réduite auparavant puisqu'en 1776 nous voyons Johnson, parti de Bath le 3 mai à onze heures du soir, arriver à Londres le lendemain soir à sept heures (Mrs. Thrale, Letters to and from Johnson, t. I, p. 320).

4. Voir sur cette première tentative le Bath Chronicle du 24 février 1785. Le temps de voyage fut abrégé plus tard; dans les Pickwick Papers (1827), Dickens fait débarquer à Bath, à sept heures du soir, son héros parti de Londres le matin a sept heures et demie (ch. xxxv).

5. L'usage des bains de mer ne s'établit en Angleterre que vers le milieu du sele. Voir à ce sujet Lecky, History of England, t. II, ch. v, p. 199.

6. Les choses changèrent dans le dernier tiers du siècle. Voy. Lecky, t. VII, ch. xxI. p. 230.

Supposons donc notre voyageur arrivé sans encombre aux portes de Bath. Dès qu'il est signalé, les cloches de l'abbaye se mettent en branle et sonnent un carillon en son honneur'. Telle est la coutume, qui fait de Bath, du matin au soir, une sorte d'île sonnante; les malades toutefois ne s'en plaignent pas, car ils sont prévenus ainsi de toutes les arrivées et peuvent envoyer tout de suite savoir le nom des nouveaux venus 2. Les visiteurs payent cette bienvenue aux sonneurs, puis gagnent leur logis ou leur hôtellerie3, où ils sont régalés d'une aubade par des musiciens et des chanteurs qui viennent à leur porte'. Ainsi installés en musique, le maître des cérémonies ne tarde pas à leur faire visite; ils vont remettre leur souscription à la buvette, aux promenades, aux salles d'assemblée, aux cabinets de lecture", ils commencent dès lors à vivre de la vie de Bath, et nous allons suivre l'emploi d'une de leurs journées 8.

1. « The Etiquette is that whoever enters Bath with a Set of Horses, their Arrival must be announced by the Clappers of Four and-twenty Bells, while Two Hundred miserable Sick are to be tortured by them » (The New Prose Bath Guide, p. 91). Cf. Wood, Description of Bath, part. IV, x1, p. 417; Goldsmith, Life of Nash, p. 524; Anstey, New Bath Guide, V, 1-22; Smollett, Humphry Clinker, J. R., 24 avril.

2. «...The pleasure of knowing the name of every family that comes to town recompenses the inconvenience. Invalids are fond of news, and upon the first sound of the bells everybody sends out to inquire for whom they ring >> (Goldsmith, Life of Nash, p. 524).

3. Les hôtelleries de Bath étaient renommées pour leur confortable et leur luxe, surtout le Bear où Anstey fait descendre ses personnages, et le White Hart. Ce dernier établissement, fondé avant le XVIIIe siècle, existait encore au temps de Dickens, et son propriétaire portait le nom de Pickwick (Cf. Pickwick Papers, ch. xxxv).

XI,

4. Goldsmith, Life of Nash, p. 524; Wood, Description of Bath, part. IV, p. 417; Smollett, Humphry Clinker, 24 et 25 avril. L'usage est déjà mentionné en 1700: « In the Morning we were saluted by the whole Fraternity of Cat-Gut Scrapers », etc. (A Step to the Bath, p. 12).

5. Humphry Clinker, 26 avril.

6. Pump-Room. Cf. ci-dessous, p. 58.

7. Wood, part. IV, ch. x1, p. 417.

8. Cet emploi reste uniforme et constant jusqu'aux dernières années du XVIIIe siècle; aussi n'y a-t-il pas d'inconvénient à emprunter certains traits, comme nous allons le faire, à des auteurs d'époque différente. Dans les éditions successives du Tour thro' Great Britain, fort éloignées par le temps (de 1724 à 1778, voy. Bibliographie), la description de la vie à Bath demenre à peu près identique.

C'est par le bain qu'elle s'ouvre et d'assez bonne heure, entre six et neuf heures du matin. On le prend quelquefois par prescription médicale, plus souvent en manière de passe-temps. Il y a cinq piscines, mais deux seulement sont à la mode et fréquentées par le beau monde, celle du Roi et surtout celle de la Croix2. La ville ne s'est mise en frais ni pour les aménager ni pour les décorer; elles sont à ciel ouvert, mal entretenues et environnées de constructions; on y accède par des passages étroits, et l'on y est réduit à des niches creusées dans le mur pour s'abriter du vent et de la pluie 3. Pour ornements l'une offre au centre une sorte de tour octogonale où sont ménagés des sièges pour les baigneurs, une balustrade de pierre, et, dans un creux du mur, une statuette assise du roi Bladud; dans l'autre a été érigé un petit monument à dôme et à colonnes qui rappelle la visite de la reine Marie de Modène, et où des paralytiques guéris ont

1. Goldsmith, Life of Nash, p. 524.

2. King's Bath, Cross Bath. A la suite de la découverte des bains romains en 1755, le duc de Kingston fit construire sur leur emplacement un établissement particulier, mieux aménagé et couvert, où se transporta la faveur du public: they are now the only Place where Persons of Condition, or Delicacy can bathe decently », dit Thicknesse en 1778 (New Prose Guide, p. 25). Ils étaient fort petits: « To purify myself from all such contamination, I went to the duke of Kingston's private bath, and there I was almost suffocated for want of free air; the place was so small, and the steam so stifling » (Smollett, Humphry Clinker, avril). D'autres bains furent construits plus tard.

3. Voir la description détaillée des piscines dans Wood, part. III, chap. iv, p. 257-255. Cf. également A Description of Bath (1734), p. 11, et les plaintes du docteur Sutherland: «...The avenues which lead to the Slips are dark narrow passages, less conspicuous far than the entrances to the meanest inns. The slips resemble rather cells for the dead, than dressing-rooms for the living. Their walls and floors are composed of the same materials, cold stone, and eternally sweating with the steam of the baths, dark as dungeons, and, in their present condition, incapable of being warmed. From these dressing rooms we descend by narrow steps into open unseemly ponds. As Pliny the younger said of old of the bath at Claudiopolis, so may we truly say of ours, The ædifice seems rather sunk into the earth, than raised above the ground'. Irregular walls incrusted with white-washing of lime, freestone sand, and the heat of hot water, now bound our cisterns, exposed to wind and rain, as well as to the gaze of every footman... In as many words, our baths answver exactly that character which Baccius gives of the Italian baths of his days, Tum stupharum ipsarum edio quæ, angustæ ac tenebrosæ, carent omni commoditate, et omni delicia, de noric idcirco multis, inviso potius quam grato et utiles » (Attempts to Revive Antient Medical Doctrines, p. 10-11).

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suspendu leurs béquilles'. Les deux bains sont incommodes, fort petits 2, de propreté médiocre 3; tels qu'ils sont, les malades s'en contentent pour chercher la guérison', et les oisifs une distraction: aussi est-ce un tableau animé que celui de la foule qui se presse dans ces étroits espaces.

1.

Just in the midst a marble cross there stands,
Which popish minds with pious awe commands,
Devoid itself of power to cure our woes

Yet deck'd with monumental crutches, shows

What mighty cures that wondrous pool has done.

Ce monument n'existe plus.

(Description of Bath, p. 12).

2. Le Cross Bath avait seulement vingt pieds anglais de long (609) sur dixneuf de large (579); le King's Bath, le plus grand de tous, était long d'un peu plus de dix-sept mètres et large de douze; il communiquait en outre avec un autre bain plus petit, le Queen's Bath.

3. Voir la critique sévère que Smollett, dans un ouvrage médical, fait des bains de Bath au point de vue de la commodité, de la propreté et de l'hygiène (Essay on the External Use of Water, p. 34-36), et cf. Humphry Clinker, 28 avril, et passim. Dans une satire anonyme de 1737, intitulée The Diseases of Bath, se trouvent déjà beaucoup des traits de Smollett, présentés avec le même réalisme que dans Humphry Clinker. Peut-être, pour le rapprochement, la description vaut-elle d'être citée en partie :

Urg'd by Despair, I plunge into the Bath,

But here still heavier Plagues incense my Wrath,
Nameless Diseases join'd pollute the Stream,
And mix their foul Infections with its Steam.

Here long c'er Lucifer leads in the Dawn,
Each greasy Cook has seeth'd away his Brawn:
And Sweepers from their Chimnies smear'd with Soot,
Hither have brought, and left behind, their Smut.

Jilts, Porters, Grooms, and Guides, and Chairmen bring
Their sev'ral Ordures to corrupt the Spring (v. 365–374).

Here Lepra too and Scabies more unclean

Divest their Scurf t'invest a purer Skin.

Whose pealing Scales upon the Surface swim

Till what th'Unwholesome shed, the Wholesome skim, etc. (v. 378

[381).

La description de la buvette (v. 335-356) ressemble aussi à celle qu'en fait Matthew Bramble dans le roman de Smollett.

4. On traitait surtout à Bath comme aujourd'hui les maux d'estomac, les rhumatismes, la paralysie; les eaux étaient employées aussi contre les maladies des femmes et la stérilité; sur leur composition et leurs propriétés, voy. Freeman, Thermal Baths of Bath.

5. «...The Bathing is made more a Sport and Diversion than a Physical Prescription for Health » (Defoe, Tour thro' Great Britain, éd. de 1724, t. II, lettre ш, p. 51-52).

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