Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

effectifs, qui auraient été les organes manifestes de cette opinion? La mutilation, la suppression du Tribunat eussent été, dans ce cas, des mesures d'une violence faite pour être vivement sentie, et il peut être douteux qu'il s'y fût déterminé.

On s'est accordé assez généralement, et surtout depuis 1814, à présenter comme absurde, comme ridicule au plus haut point, un Corps-Législatif muet', statuant sur l'adoption ou sur le rejet des lois, sans une discussion préalable dans son sein, à laquelle tous ses membres aient été appelés à prendre part. Sans doute une telle méthode est peu en harmonie avec les idées que nous nous formons aujourd'hui d'un Gouvernement représentatif dans sa réalité; mais, pour juger sainement une institution, il faut d'abord la rapporter aux circonstances pour lesquelles elle a été faite; ensuite, cette considération même d'époque mise à part, on pourrait demander si, pour qu'il

y

ait discussion dans une assemblée, il est indispensable que cinquante, que cent personnes parlent effectivement sur le même sujet. Lorsque pour nous les habitudes du Gouvernement représentatif auront été formées et régularisées par le temps, on verra probablement, comme nous le voyons en Angleterre, dix ou quinze orateurs au

1 Curiam elinguem. PLINE.

plus traiter la même question. Les débats se concentreront entre les hommes spéciaux ou d'une supériorité reconnue. D'après la constitution de l'an VIII, c'était dans le Tribunat qu'était établi le siége de la discussion: le résumé seulement en était porté au Corps-Législatif. Juge impartial, tribunal sans passion, ou du moins présumé tel, le Corps-Législatif prononçait après avoir entendu les propositions, concordantes ou opposées, qui lui étaient soumises.

Lorsque plus tard le Tribunat cessera d'exister, il sera, en échange, formé dans le sein du Corps-Législatif des commissions pour examiner les projets de loi. Après cet examen, les projets seront, en séance générale du Corps-Législatif, discutés contradictoirement par les membres de ces commissions et par les conseillersd'État chargés d'appuyer les propositions du gouvernement. Le tort principal de ce dernier mode est de réduire en usage forcé, en obligation absolue, un ordre de discussion qui paraît trop restreint, surtout parce qu'il est imposé, mais qui, à peu de chose près, eût pu s'établir par une suite naturelle du cours des choses. Lorsqu'on venait de voir, durant dix années, les lois votées au milieu des orages et sous l'influence des passions de la multitude, il avait été excusable peutêtre de chercher des garanties dans des formali

tés plus ou moins sévères. En 1791, l'Assemblée constituante avait épuisé tous ses efforts pour fonder un gouvernement presque démocratique sous le nom de monarchie. En 1799, les hommes les plus sages, les plus sincères amis de la liberté, aspiraient à retrouver la stabilité de la monarchie sous les formes d'un gouvernement républicain. Que le général Bonaparte ait voulu de la force dans l'autorité, rien de plus naturel, rien même de plus raisonnable; que dès-lors il ait entrevu la possibilité de rétablir un jour la royauté à son profit et au profit de sa famille, rien de très-extraordinaire encore; et cependant il est permis d'en douter, quoi qu'il en ait pu penser lui-même, lorsqu'il a écrit ses Mémoires avec les impressions et les idées d'un autre temps. Ce qui est le plus vraisemblable, on pourrait dire, le plus certain, c'est que, confiant dans sa force, avide de puissance et de gloire, mais en même temps jaloux de fonder sa grandeur sur la grandeur de la France, bien assuré qu'il allait régner en effet, il laissait au temps à régler sous quel titre.

Ce fut sur la forme à donner au gouvernement, sur le nombre des membres qui devaient le composer et sur la nature de leurs attributions, que, prenant tout-à-coup une vive part aux débats, le général Bonaparte combattit et fit rejeter les idées en effet inadmissibles de Sieyes.

Celui-ci proposait, pour la sommité de l'État, un Grand électeur à vie, qui aurait nommé deux consuls, l'un pour la paix, l'autre pour la guerre. Dans le Grand électeur eût résidé la représentation de la puissance; dans les consuls, l'action du gouvernement. Était-ce là tout ce qu'avait pu enfanter l'imagination du publiciste métaphysicien? ou bien n'était-ce qu'un arrangement de circonstance, dans lequel chacun des consuls provisoires devait trouver sa place, Sieyes luimême comme Grand électeur, Bonaparte comme consul de la guerre, Roger-Ducos comme consul de la paix? Quoi qu'il en soit, nulle de ces fonctions, pas même la première, ne convenait au général Bonaparte, qui ne pouvait pas vouloir d'une autorité révocable. Il repoussa la création de deux consuls se partageant le gouvernement et l'administration, comme une monstruosité qui, si l'un des deux ne consentait pas à se soumettre à l'autre, placerait ces fonctionnaires dans un conflit perpétuel; et il rejeta de même la création d'un Grand électeur, comme offrant « l'om« bre décharnée d'un roi fainéant ». La volonté de Sieyes, dans cette invention, semble être en effet d'établir un fantôme de monarchie; mais sa position personnelle, ses discours et ses actes antérieurs ne lui permettaient pas d'admettre l'existence d'un premier magistrat entièrement

irresponsable. Pour détruire la chance d'une peine plus terrible, il avait, comme préservatif contre les écarts de ce premier magistrat, imaginé l'absorption, c'est-à-dire, la disparition éventuelle du Grand électeur, forcé de se perdre dans les rangs du sénat. Indépendamment des autres dangers qu'une telle organisation pouvait entraîner, elle avait l'inconvénient de mettre sans cesse le sort du gouvernement et de la France à la merci d'une faction. Il fallut chercher un autre mode. Telle était encore la force des préjugés de la révolution, qu'on craignait d'effaroucher un grand nombre d'esprits, en dé signant un chef unique, même pour un temps déterminé. On écarta jusqu'au titre de Président, dont cependant ne s'effraie pas la liberté américaine. On jugea donc devoir s'en tenir à la dénomination de consuls, déja consacrée par deux mois d'une action tutélaire, mais en plaçant dans la main de l'un d'eux toute la réalité du pouvoir'.

1 A son retour en France, le général La Fayette, dans une conversation avec le premier consul, l'absolvant de la constitution de l'an VIII, ne lui reprochait que d'avoir fait un peu forte la part du pouvoir exécutif. « Que voulez-vous? répondit <«< le premier consul. Sieyes avait mis des ombres partout; ombre <«< de pouvoir législatif, ombre de pouvoir judiciaire, ombre de « gouvernement. Il fallait bien de la substance quelque part. «Ma foi, je l'ai mise là. »

« VorigeDoorgaan »