vèrent et consolèrent de ces jours à jamais exécrables qu'on voudrait effacer des annales de la *France. Combien de traits de courage, de fermeté, de constance et de dévouement sur lesquels peuvent se reposer encore et le cœur et l'esprit, trop flétris par l'aspect hideux de nos dissentions civiles! Un jour la postérité aimera du moins à reconnaître que si ces tems malheureux ont été marqués par des actes de barbarie, ils ont aussi été honorés par des vertus dont l'antiquité ne fournit point d'exemples. Le chancelier de l'Hôpital s'écriait en parlant de la Saint-Barthélemy: excidat illa dies, et ce grand homme avait raison de vouloir effacer le souvenir d'une époque aussi humiliante aussi désastreuse pour la patrie. Mais il serait injuste d'étendre la loi du silence et de l'oubli jusqu'à ces traits héroïques et sublimes, qui eussent été inconnus dans des tems plus tranquilles; tel fut le dévouement à jamais mémorable d'un père généreux et sensible, qui ne voulut pas détromper ses bourreaux sur l'âge de leur victime, et qui mourut pour lui sauver la vie. Éh! qui pourrait refuser quelque intérêt au récit solennel de cette action touchante dont mon père fut le héros, et dont je deviens aujourd'hui l'historien et le poète, inspirés tous les deux par les plus douces affections de la nature! Ainsi, le nom de Loizerolles rappelle à cette époque l'héroïsme de l'amour paternel, dont on ne peut lire ou entendre le récit sans être · pénétré du plus profond attendrissement. Les événemens se pressent, la liste des victimes s'épuise chaque jour; le nom de Loizerolles paraît enfin. Le père de famille, que les bourreaux appellent, ne doute pas un moment que l'arrêt de proscription ne le frappe lui-même comme chef de sa maison. Il s'arrache aux larmes de la piété filiale et à celles d'une tendre épouse, et suit ses compagnons d'infortune pour paraître au tribunal révolutionnaire. Mais le moment fatal arrive : ce vertueux vieillard, plongé dans l'antre infernal, reconnaît dans l'acte d'accusation qui lui est signifié, que ce n'est pas lui, mais son fils qui est appelé à grossir le nombre des victimes. Il conçoit alors le noble dessein de faire substituer son nom à celui qu'il a reconnu. En vain Boucher, secrétaire de Bailly, l'ancien maire de Paris, désigné comme lui sur la liste fatale, lui dit en admirant son héroïsme, ces mots bien faits pour l'arrêter : « Vous allez vous perdre, et » vous ne le sauverez point. » Rien ne peut détourner M. de Loizerolles du dessein qu'il avait formé. Un doux pressenti ment l'entretient dans l'idée que le ciel accordera cette récompense à son dévouement. « Je veux me sacrifier, dit-il; peut-être sau>> verai-je mon fils : si, au milieu de ces jours » d'orages, il arrive un jour serein, mon fils » est jeune, il en profitera : je persiste dans ma >> résolution. >> La soirée du 8 thermidor (27 juillet 1794), vit périr M. de Loizerolles père, et vingt-neuf autres victimes extraites de la maison d'arrêt de Saint-Lazare, toutes accusées et convaincues (c'était le protocole ordinaire) de s'être rendues les ennemis du peuple en participant à tous les crimes commis par Capet et sa femme, depuis 1789; en approuvant le massacre des citoyens au Champ-de-Mars; en écrivant contre la liberté et en faveur de la tyrannie; en entretenant des intelligences avec les ennemis extérieurs et intérieurs de la république; en leur fournissant des secours en numéraire; en conspirant contre la sûreté et l'indivisibilité, de la république : comme aussi en conspirant dans la maison d'arrêt de Saint-Lazare, à l'effet de s'évader et de dissoudre, par le meurtre et l'assassinat des représentans du peuple, notamment des membres du comité de salut public et de sûreté générale, le gouvernement républicain, afin de rétablir la royauté. Ainsi une mort sublime a terminé l'admirable existence de mon père. Il semble qu'un historien ait retracé fidèlement son portrait dans ce passage. Vir vitá innocentissimus, proposito sanctissimus, tantisque adornatus virtutibus quantas, perfecta et naturá et industriá, mortalis conditio recipit. Distingué par l'innocence et l'intégrité de sa vie, par l'éclat de ses talens, par sa pureté, disons mieux, par les plus excellentes qualités, il fut doué de toutes les vertus qui peuvent orner le naturel le plus heureux, perfectionné par la plus belle éducation. Cependant la mémorable journée du 9 thermidor fait rentrer l'espérance dans tous les cœurs. La hache des bourreaux se repose, la justice reprend ses balances et son glaive, les verroux et les barreaux des prisons tombent, la liberté est rendue aux victimes du fanatisme révolutionnaire, et la terreur laisse échapper son sceptre ensanglanté. Lorsqu'il fut permis de payer hautement un tribut de larmes et d'admiration aux malheureux tombés sous la hache révolutionnaire, plusieurs auteurs s'empressèrent de célébrer le glorieux dévouement de M. de Loizerolles. Comme il avait exercé avec distinction les honorables fonctions de jurisconsulte, un de ces hommes qu'on peut citer comme un reste des vertus patriciennes, et qui fait aujourd'hui un des plus beaux ornemens du barreau, M. de Lacroix-Frainville, bâtonnier de l'ordre des avocats, s'empressa d'en faire une mention particulière lors de la rentrée de la cour d'appel en novembre 1812. Peut-être mes lecteurs parcourront-ils avec intérêt ce fragment de l'éloquent discours, où en présentant le nécrologe des jurisconsultes les plus célèbres, décédés depuis la dernière assemblée de 1787, il nomme M. de Loizerolles. « A côté des canonistes, je vois une autre classe de jurisconsultes dont la science, plus vaste encore, est utile à tous les ordres de citoyens embrassant toute l'étendue de la législation civile, contemporains des plus célèbres noms, des Mallart, des Loyseau de Mauléon, des d'Aguesseau, des Reverseaux, des Cochin. Quelques-uns ayant été leurs émules dans la plaidoirie. Là, je distingue M. d'Outremont... M. Collet..... M. Clément de Malleran... M. Le Roy.... M. Aved de Loizerolles : ce tendre et généreux père, qui, pour sauver la vie de son fils, trompant l'œil incertain des bourreaux de l'anarchie, marcha pour lui à l'échafaud, dévouement héroïque qui mérite de consacrer son nom à la postérité. Que l'histoire cesse de nous vanter la farouche vertu de ce Brutus, |