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avant qu'Elle eût manifesté son sentiment. Vous n'aurez sûrement pas de peine à convaincre M. le duc de Brunswick que nous avons besoin de son aveu formel avant de faire ou de provoquer aucune démarche à l'Assemblée; que lorsque nous aurons son consentement préalable, nous nous dirigerons avec la prudence que l'objet et les circonstances exigent, et que telle tournure que puissent prendre les choses, S. A. S. peut d'avance être certaine que non-seulement elle ne sera pas compromise, mais aussi que Sa Majesté ne perdra jamais le souvenir de la marque d'attachement que le Prince lui aura donnée en déférant à sa demande.

» Au reste, je ne veux pas vous laisser ignorer, Monsieur, que le Roi a montré une entière satisfaction de la conduite que vous avez tenue vous vous êtes exprimé vis-à-vis de M. le duc de Brunswick avec autant de mesure que de prudence; vous avez employé, avec beaucoup de dextérité, les moyens propres à échauffer et à déterminer ce prince; et si vous n'avez pas réussi, c'est uniquement par l'effet des circonstances compliquées où nous nous trouvons, et où le duc se trouve lui-même...

» L'intention du roi est que vous vous rendiez à Berlin aussitôt que vous aurez terminé d'une manière ou de l'autre votre mission auprès de M. le duc de Brunswick. Je vous recommande la plus grande célérité pour votre départ'. »

Cette dépêche met à néant la fable brodée par Lamartine et M. Louis Blanc d'après le récit de d'Allonville; elle ne laisse subsister aucun vestige de la calomnie rapportée par tant d'historiens, sur le prétendu projet qu'avaient Narbonne et Custine de détrôner Louis XVI; elle modifie enfin le renseignement plus authentique, fourni par une dépêche de Simolin, ministre de Russie, et adressée à l'impératrice Catherine le 11 février 17922. Contrairement à l'assertion de ce diplomate, Louis XVI et ses ministres étaient disposés à insister s'il y avait moyen de le faire avec quelque chance de succès et sans compromettre la dignité nationale. Ils laissaient à Custine les moyens suffisants pour reprendre la négociation.

Mais les derniers entretiens qu'il avait eus avec le duc n'avaient laissé à Custine aucune illusion, et, lors même qu'il aurait reçu une lettre de Louis XVI, il était résolu à n'en point faire usage. Il ne la regretta donc pas. Il ne crut pas opportun de recou

1. Archives des affaires étrangères.

2. Publiée par M. Feuillet de Conches, t. V, p. 172.

rir aux moyens que lui fournissaient la dépêche de Lessart et la seconde lettre de Narbonne. Elles avaient été écrites sous l'impression des rapports du 22 janvier; Custine pensait avec raison que son rapport du 12 février modifierait les sentiments des ministres, et il ne voulait rien faire avant d'avoir reçu d'eux les instructions que leur suggérerait la lecture de ce rapport. Il ne jugea même pas prudent de se rendre à Brunswick; observé comme il l'était à Berlin, en butte à la malveillance, il craignit qu'une visite au duc ne donnât lieu à de fâcheuses interprétations. Il se borna donc à lui écrire le 27 février une lettre trèsdiplomatique, où il introduisait finement une allusion aux conférences de Postdam1; cette lettre aurait permis au duc de renouer la négociation s'il en avait eu le désir, et à Custine de la reprendre si le ministère lui en avait donné l'ordre. Mais Brunswick ne répondit pas, à Paris le ministère changea. Narbonne fut renversé, de Lessart tomba en même temps que lui, et fut remplacé par Dumouriez. Le nouveau ministre des affaires étrangères partageait sur Brunswick les idées de ses prédécesseurs. Informé du bruit alors très-répandu en Allemagne, et d'après lequel la charge de feld-maréchal de l'Empire allait être rétablie au profit du duc, Dumouriez écrivait le 13 mars à Custine :

<< Nous ne pouvons que souhaiter que M. le duc de Brunswick soit feld-maréchal de l'Empire. Sa sagesse, sa prudence, son amour. connu pour l'ordre et la paix, nous garantissent qu'il ne sera point entraîné par l'amour d'une vaine gloire, et que tous ses conseils seront relatifs au bien être et à la tranquillité des cours et des peuples, qui prendront confiance en lui. Cette élection contrarie l'active ambition du roi de Suède, qui aurait pu agiter l'Europe par un faux esprit de chevalerie, s'il n'était pas occupé d'une manière trèssérieuse dans son royaume 2. »

Ce n'est point ici le lieu de raconter la courte et pénible mission que Custine remplit à Berlin jusqu'au mois de mai 1792. Il suffira de dire que dans cette partie de sa correspondance, il se montre observateur sagace et attentif. Il renseigna soigneusement le ministère sur les dispositions de plus en plus hostiles de la cour de Prusse, et sur l'importance croissante de ses préparatifs

1. Rapport à de Lessart, 28 février. affaires étrangères.

2. Archives des affaires étrangères.

Custine à Brunswick, Archives des

militaires. Quant à ses sentiments, ils demeurent les mêmes. << Mes principes, écrivait-il le 20 mars à de Lessart1, vous sont connus par ma correspondance, mieux que je ne pourrais les exposer dans l'étendue d'une lettre. Il est très-vrai que je ne prends ni ne prendrai jamais aucun parti pour règle de mes opinions; ma conscience, mon zèle pour la liberté et la prospérité de ma patrie, pour la gloire et le bonheur du roi, sont les seuls que je reconnaîtrai jamais; et je ne vois pour un bon Français d'autre parti que celui de la Constitution. » Il revint à Paris au mois de juin 1792, reprit son emploi dans l'armée; sa santé le força de quitter le service au mois de janvier 1793. Son dévouement filial le perdit: il se compromit par l'ardeur avec laquelle il défendit son père qui fut, comme on le sait, mis en accusation le 29 juillet et exécuté le 28 août 1793. Vincent, secrétaire général à la guerre, qui s'était acharné après le père, n'oublia pas le fils. Il le dénonça le 22 novembre à Fouquier-Tinville. François de Custine fut décrété d'accusation le 26 décembre sur un rapport de Robespierre; Fouquier-Tinville, dans son acte d'accusation, lui reproche d'avoir, sous l'inspiration de « l'infâme Delessart, » été à Berlin « l'agent des manoeuvres du comité autrichien des Tuileries avec Guillaume et Brunswick, » d'avoir << laissé ignorer les mesures hostiles » prises contre la France << par les tyrans coalisés, » d'avoir enfin conspiré avec son << père et le traître Dumouriez. » Si Custine avait eu des juges, il lui aurait suffi de leur faire lire sa correspondance pour se disculper. Il se défendit avec autant de sang-froid que d'habileté. On put croire un instant qu'il échapperait à la sophistique de ses accusateurs. Mais en voyant la manière dont le président Dumas tronquait, dénaturait et falsifiait ses dépêches, Custine ne put se contenir, et son indignation le perdit. Il avait affaire à la pire espèce d'hommes des fanatiques hypocrites. Interrogé le 2 janvier 1794, jugé et condamné le 3, il fut exécuté le 4. Il avait vingt-cinq ans et demi.

Albert SOREL.

1. Archives des affaires étrangères. 2. Pièces du procès de Custine fils.

· Archives nationales.

VARIÉTÉS.

LES ONZE RÉGIONS D'AUGUSTE.

QUELLES SONT LES DIVISIONS DE L'ITALIE INSCRITES SUR LA TABLE DE PEUTINGER?1

Nous nous proposons dans cette étude de rechercher quelles sont les divisions de l'Italie qui figurent sur la Table de Peutinger, quels ont été l'origine, la durée, le caractère et le but de ces divisions.

I

On considère communément la Table de Peutinger comme une carte routière de l'Orbis romanus, et l'on néglige trop souvent peutêtre les indications que renferme ce document touchant la géographie physique ou la géographie politique. En avançant dans la publication que nous avons entreprise de ce document, nous nous sommes de plus en plus convaincu qu'il est impossible de lui assigner une date unique comme l'a fait Mannert2; il est au contraire démontré pour nous qu'il n'a pu être exécuté de toutes pièces en une fois et dans le même temps, mais que les éléments dont il est composé révèlent des époques diverses, parmi lesquelles nous pouvons distinguer aujourd'hui le règne d'Auguste, celui de Trajan, le milieu du ive siècle, de 350 à 353, l'année 435 sous Théodose II, le règne de Justinien, enfin le XIIIe siècle, sous saint Louis, lors de la transcription définitive qui en a été faite par le moine de Colmar. Nous avons vu, en ce qui regarde la Gaule 3, que les noms des provinces et des peuples

1. Mémoire lu à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres à la séance ordinaire du vendredi 6 novembre 1874, - et à la séance du jeudi 5 août 1875 dans le groupe IV, ou groupe historique, du Congrès des Sciences géographiques, tenu à Paris.

2. Qui en place la composition en l'année 230, sous Sévère Alexandre, sans tenir compte des nombreuses impossibilités et des plus graves anachronismes qu'entraîne une pareille attribution chronologique.

3. Voy. notre édition in-f°, p. 66 et suiv.

inscrits sur les deux segments relatifs à ce pays nous reportent tous, sauf une seule exception', à l'époque d'Auguste et même à celle de la mort d'Agrippa (12 avant J.-C.). Nous avons expliqué comment cet ancien fond, c'est-à-dire la carte primitive, dont le dessin est démesurément allongé dans le sens horizontal, singulièrement resserré au contraire dans le sens vertical, devait rappeler l'Orbis romanus, tel qu'il avait pu être tracé sous le portique de Polla à Rome2, l'an 7 avant notre ère, carte célèbre qui dut être le prototype de toutes celles qui furent dressées pendant les premiers siècles de notre ère, c'est du moins la conjecture ingénieuse et probable de Mannert 3. Nous avons montré comment on avait dû ajouter, sur le même dessin, le réseau des routes tel qu'il existait dans l'Empire vers le milieu du IVe siècle. Aujourd'hui nous croyons pouvoir serrer de plus près l'époque où cette addition importante a dû être faite. M. d'Avezac, dans son savant mémoire sur Ethicus, l'avait fixée au temps des trois fils de Constantin; nous pensons que les trois vignettes qui représentent, avec un luxe d'iconographie tout exceptionnel, les trois capitales du monde, Rome, Constantinople et Antioche, nous permettent de reporter l'inscription des routes sur la Table entre les années 350 et 353, cette courte période étant la seule, pendant toute la durée de l'Empire, où ces trois villes aient été, à l'exclusion de toute autre, résidences de trois empereurs: Magnence en Occident et un instant même à Rome, Constance à Constantinople et Gallus à Antioche. C'est donc bien au milieu du Ive siècle que l'on dut ajouter à l'ancienne carte du temps d'Auguste, et les trois vignettes sus-nommées, et très-probablement le réseau général des routes.

Mais nous avons eu occasion de remarquer pour la Gaule que les noms des peuples les plus importants, comme les Arverni, les Carnutes, les Lingones, etc., étaient omis sur la Table, tandis que ceux de certaines peuplades obscures, telles que les Cambiovicenses, y avaient été conservés. Une autre observation nous a été suggérée par l'existence sur la carte peutingérienne de noms tronqués comme celui

1. Le mot Francia ajouté postérieurement.

2. Plin. H. N., III, ш (11), 13; Dio Cass. LV, 8. Polla était la sœur d'Agrippa: elle commença ce portique qui fut achevé par Auguste; Agrippa était mort l'an 12 avant J.-C.

3. Tabula itin. Peuting., 1824, p. 9.

4. Mémoire sur Ethicus et sur les ouvrages cosmograph. intitulés de ce nom (Mém. présentés par divers savants à l'Acad. des Inscr. et Belles-Lettres, 1 série, sujets div. d'érud., t. II, p. 418 et suiv.).

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