Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

nous ajoutions pour conclure que, sous le bénéfice des dernières découvertes épigraphiques, nous étions amenés à reconnaître dans tout le me siècle une époque de transition, d'anarchie si l'on veut, mais aussi de lente élaboration d'un système administratif nouveau, qui n'est pas sorti, comme on le croit, tout d'une pièce de la chancellerie impériale de Nicomédie, mais qui, d'abord confus et se dégageant difficilement du passé, ne parvint à son éclosion officielle et ne reçut sa consécration définitive que sous les longs règnes de Dioclétien et de Constantin.

Ernest DESJARDINS.

LA DESTRUCTION DE MAGDEBOURG

ET TILLY.

Le 20 mai 1631 les troupes de Pappenheim et Tilly, refoulant la garnison surprise, escaladaient les murs mal défendus de Magdebourg, et se ruaient au pillage. Au milieu des scènes sans nom qui marquaient alors la prise d'assaut des villes, un incendie terrible s'éleva, enveloppant vainqueurs et vaincus, et lorsque l'élément destructeur eut achevé sa tâche, il ne restait plus de l'opulente cité que la cathédrale, à grand' peine arrachée aux flammes, et quelques misérables masures de pêcheurs, disséminées sur les bords de l'Elbe. Rien n'a préparé le succès foudroyant de Gustave-Adolphe, comme l'indignation provoquée dans toute l'Allemagne protestante par le sac hideux et la destruction presque complète de Magdebourg. Rien n'a donné plus de relief à l'accusation de férocité portée contre les troupes de la Ligue Catholique et de l'Empire, que les excès, réels ou supposés, dont elles ont entouré les derniers moments de ce boulevard célèbre du lutheranisme allemand. Rien enfin n'accentue, de nos jours encore, davantage le contraste des partis politiques ou religieux, que la manière dont les historiens de la guerre de Trente-Ans, selon le drapeau qu'ils arborent, décrivent ou discutent cette terrible catastrophe, que les contemporains affolés comparaient à celle de Troie ou de Jérusalem.

Qui dans ce drame terrible, dont Magdebourg fut le théâtre ou la victime, est le vrai coupable? Quel homme ou quel parti doit porter

devant l'histoire la responsabilité de cet immense désastre? Est-ce Tilly, comme l'affirme la tradition vulgaire, popularisée surtout par le récit dramatique de Schiller, Tilly dont la physionomie triste et sévère nous apparaît, depuis deux siècles, entourée des reflets sinistres de cet horrible incendie? Est-ce aux habitants désespérés de Magdebourg, renouvelant les scènes de Numance et de Sagonte, qu'il faut imputer la destruction de leur cité? Est-ce au commandant suédois, au brave et malheureux Falckenberg, qu'en remonte la responsabilité, ou bien même à Gustave-Adolphe, qui n'aurait point reculé devant ce moyen machiavélique pour galvaniser l'Allemagne protestante, plongée dans une honteuse léthargie, et pour pousser les peuples et les princes, effarés ou furieux, dans ses bras vengeurs? Est-ce, par hasard, l'inspiration subite de quelque soudard aviné, la chute d'une mèche enflammée dans quelque amas de combustible? Ou bien enfin doit-on croire et doit-on proclamer que le problème est insoluble, et, las de chercher en vain, ne plus même tenter une solution définitive?

Chacune de ces manières de voir, si différentes et si contradictoires, a trouvé des défenseurs, et non pas d'hier seulement. Les contemporains déjà les ont soutenues avec un talent divers, mais avec une égale énergie. A côté de défenseurs conyaincus, chacune a trouvé des critiques acharnés; des monceaux de pamphlets, de mémoires et de volumes ont été publiés depuis deux siècles et demi pour arriver à une solution répondant aux exigences de la critique historique et de la justice; mais aucune de celles qu'on nous a proposées jusqu'ici n'avait réussi à écarter définitivement ses rivales par l'évidence absolue de sa propre justesse. Les historiens n'ont point perdu courage pour cela; la difficulté même du problème a sans cesse tenu en éveil leur curiosité, et malgré les périls de la tâche on en voit toujours surgir de nouveaux, qui reprennent encore une fois l'examen des pièces et modifient au gré de leurs convictions, souvent aussi de leurs passions, le verdict préalable de l'histoire. Parmi

1. Voici les principaux travaux que l'on peut encore aujourd'hui consulter sur le sac de Magdebourg, sans compter les nombreux ouvrages d'ensemble, qu'il serait trop long de citer ici :

Rese, J. K. A. Die Zerstoerung Magdeburg's durch Tilly, Magdeburg, 1809.
Heising, A. Magdeburg nicht durch Tilly zerstoert. Berlin, 1854.
Bensen, H. W. Das Verhaengniss Magdeburg's. Schaffhausen, 1858.
Guericke, O. von, Geschichte der Belagerung, Eroberung und Zerstoerung
Magdeburg's, herausg. v. F. W. Hoffmann, Magdeb., 1860.

Klopp, O. Tilly im dreissigjaehrigen Krieg. Stuttgard, 1861.

ceux qui, dans les derniers temps, ont recommencé, à nouveaux frais, l'étude du dossier de cette cause célèbre, il en est un qui nous semble avoir approché de la solution du problème, autant qu'il est possible d'en approcher sans doute, et dont les recherches laborieuses méritent en tout cas d'être portées à la connaissance du public français. M. K. Wittich, professeur d'histoire à l'Université d'Iéna, vient de publier un volume de huit cents pages sur Magdebourg, Gustave-Adolphe et Tilly', qui renferme une longue et minutieuse enquête sur le sac de Magdebourg; il y arrive à des conclusions qu'accepteront probablement, en l'état de la cause, et la découverte de nouveaux documents expressément réservée, tous ceux qui suivront de sang-froid sa déduction des faits, tous ceux que n'aveugle point l'esprit de parti religieux ou qui savent se soustraire à l'influence qu'exerce involontairement sur eux la tradition du passé. M. Wittich a réuni tous les documents contemporains qui, de près ou de loin, pouvaient jeter quelque lumière sur les événements accomplis à Magdebourg, il en a découvert de précieux dans les archives d'Allemagne et des Pays-Bas. Il les a interprétés à la lumière d'une saine critique, n'accordant que le moins possible à l'hypothèse, ne se laissant dominer par aucune préoccupation théologique ou politique, toujours sceptique à l'égard de la tradition, sans l'ignorer cependant et sachant l'utiliser au besoin, froid au milieu du conflit des haines religieuses, mais en tenant soigneusement compte dans ses explications sur l'origine des légendes protestante et catholique. Il a su résister aussi au penchant de tant d'autres historiens, qui cherchent surtout à donner du nouveau, à frapper l'imagination par quelque hypothèse hardie; il inspire confiance à ceux-là mêmes qui le peuvent contrôler de plus près, par une méthode à la fois prudente et assurée, et c'est ainsi qu'il a remporté le triomphe de forcer les convictions les plus rebelles au début. C'est son travail que je résumerai dans les pages suivantes, en le recommandant à l'attention sérieuse de ceux qui s'intéressent à l'histoire de la guerre de TrenteAns, comme de ceux qui voudraient étudier de plus près la méthode scientifique, la manière de procéder d'un historien, digne de ce nom, en face de quelque problème compliqué de l'histoire.

Droysen, G. Studien über die Belagerung und Zerstoerung Magdeburg's. (Forschungen zur deutschen Geschichte, III, p. 433-606.)

Usinger, R. Die Zerstoerung Magdeburg's. (Historische Zeitschrift de Sybel, 1865, I, page 378-405.)

1. K. Wittich, Magdeburg, Gustav-Adolf und Tilly. Berlin, Duncker, 1874, 2 vol., xxv, 778 pages, XXIV, 66 pages in-8°. Prix: 20 fr.

I

Après s'être livré au travail préalable de réunir et de trier les sources existantes, relatives à la destruction de Magdebourg, on peut les grouper en trois catégories. La première comprendra les pièces officielles, rapports militaires ou diplomatiques, les lettres écrites par des témoins oculaires, personnages éminents ou individualités obscures, ou par des personnes auxquelles des spectateurs ont narré la catastrophe, dans les temps qui ont immédiatement suivi la journée du 20 mai. La seconde renferme les pamphlets, brochures, feuilles volantes en prose et en vers, lancés dans le public, rédigés d'une façon plus détaillée, et souvent d'après les pièces originales, reflétant l'opinion, mais surtout les passions de l'un et de l'autre parti. Dans le troisième groupe enfin nous réunirons les mémoires des contemporains, rédigés généralement plus tard, et présentant par suite un cachet plus objectif, se rapprochant davantage d'un véritable récit historique, tout en nous conservant la trace des convictions ou des préjugés individuels de leurs auteurs. Ce sont ces trois catégories d'écrits, qui seuls peuvent nous servir comme sources, et dont nous écartons avec soin les spéculations plus ou moins heureuses des historiens postérieurs, que nous allons successivement passer en revue.

Quand nous examinons les lettres écrites le jour ou le lendemain même de l'incendie, nous voyons que dès le premier instant, catholiques et protestants, généraux de la Ligue et soldats suédois, se renvoyèrent réciproquement l'accusation d'être les auteurs de la catastrophe, chaque parti sentant fort bien quelle responsabilité terrible allait peser sur le coupable. Seulement les principaux chefs protestants ayant succombé, comme Falckenberg, ou ayant été grièvement blessés et fait prisonniers, comme l'administrateur protestant de l'archevêché, Chrétien-Guillaume de Brandebourg, ce ne sont que des personnages secondaires, capitaines fugitifs, fonctionnaires municipaux, ou simples bourgeois et soldats, qui, dans la première catégorie, représentent l'opinion protestante.

Dès la première heure les catholiques ont accusé les vaincus. Si dans son rapport à l'Empereur, écrit le 24 mai, Tilly n'indique point les causes de l'incendie, il le fait dans sa lettre du même jour à l'électeur Maximilien de Bavière, et dans celle qu'il adresse le lendemain à l'infante Isabelle, à Bruxelles, où il dit expressément : « le feu ayans esté mis en aucunes maisons par les bourgeois mesmes. »

[ocr errors]

On a voulu voir dans le silence observé par Tilly dans sa lettre à l'Empereur une preuve de la fausseté de cette assertion. On a prétendu qu'il n'avait pas eu le courage de mentir à Ferdinand II; mais d'abord ses lettres aux autres princes étaient toujours communiquées à la Cour de Vienne et puis surtout nous savons que la lettre du 24 mai n'était pas la seule communication faite au souverain, mais qu'il lui envoya quelques jours plus tard un rapport détaillé, malheureusement perdu. Il en est de même pour les lettres de Pappenheim et d'autres officiers supérieurs qui tous répètent la même accusation. Les lettres émanant de protestants magdebourgeois, écrites immédiatement après leur fuite, ou même en captivité, ne contiennent aucun détail sur les causes de l'incendie; on en rejette l'odieux sur les ennemis, en phrases générales, ou bien on passe complètement sous silence les motifs de cette conflagration.

:

Dans les brochures et les pamphlets que les mois suivants voient éclore en grand nombre, les accusations s'accentuent, les récits détaillés arrivent de tous les côtés. Ils sont tous écrits non pas tant pour raconter le sac de Magdebourg que pour exciter l'opinion publique, pour la travailler dans un sens ou dans l'autre. Du côté catholique ce sont trois pièces surtout qui, par leurs attaches officieuses, par les renseignements qu'elles renferment, doivent figurer ici l'Extrait sommaire, la Relation détaillée et approfondie et le Bustum Virginis Magdeburgicae1. Toutes trois elles ont pour but de détourner l'accusation lancée contre les chefs de l'armée catholique, mais on peut observer chez elles une différence de gradation dans l'expression de leur pensée. La première se contente de dire que les bourgeois ont, en grand nombre, mis, par désespoir, de la poudre dans leurs maisons; la seconde accuse directement Falckenberg d'avoir allumé Magdebourg pour que la conquête de la ville ne fût d'aucune utilité aux Impériaux; elle ajoute ce détail que des citoyens prisonniers eux-mêmes ont avoué le fait. Le Bustum enfin, le plus fanatique de ces pamphlets, fait remonter la responsabilité plus haut encore. Avertissant les protestants allemands de ne plus se fier désormais aux barbares incendiaires du Nord, l'auteur s'écrie: « Allez maintenant, villes, unies par une alliance nouvelle, entrez en relation avec le roi de Suède, ayez confiance en lui, recevez ses troupes dans vos murs, bientôt, vous aussi, vous brûlerez comme Magdebourg. C'est par les conseils et sur l'ordre du Suédois que Magde

1. Je fais remarquer ici en passant que M. Wittich a un peu négligé la bibliographie de son sujet. Il ne cite pas même en entier le titre des brochures qu'il discute dans son récit.

« VorigeDoorgaan »