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ÉTUDES CRITIQUES

SUR LES HISTORIENS

DE LA PREMIÈRE CROISADE'

DE L'OUVRAGE ANONYME INTITULÉ Gesta Francorum et aliorum Hierosolomytanorum.

Ce récit de la première croisade, qui a été publié par Bongars en tête de sa collection, lui a paru être un ouvrage original d'un Italien qui était témoin de ce qu'il rapporte : « Italum » dit-il << stylus prodit et in Boamundum affectus. » Besly publia, en 1641, dans la collection de Duchesne, une autre rédaction de ce même récit, dont l'auteur, après avoir raconté une procession autour de Jérusalem, ajoute 3 : « credendus est qui primus scripsit, quia in processione fuit et oculis carnalibus vidit, scilicet Petrus sacerdos Tudeboius Sivracensis. » Ailleurs dans la même rédaction (p. 67), il est dit d'un certain Arvedus Tudebovis mort d'une blessure reçue sous les murs d'Antioche : « corpus cujus sepelivit Petrus quidam sacerdos frater ejus. » Enfin il est fait mention (p. 85) d'un autre personnage Arnaldus Tudebovis tué devant Marrah. Besly, qui était Poitevin et qui travaillait beaucoup sur l'histoire de son pays, crut voir dans ces différents passages la preuve que l'écrit anonyme publié par Bongars n'était qu'un plagiat éhonté de l'ouvrage original composé par Pierre Tudebode, prêtre de Sivray (diocèse de Poitiers, Civray, HauteVienne); que le plagiaire, pour déguiser son vol, avait supprimé tous les passages où Tudebode se nomme lui-même et fait mention

1. Ces études sont destinées à la préface du IV volume des Historiens occidentaux des croisades, publiés par l'Académie des Inscriptions.

2. Historiae Francorum scriptores, IV, 773 et suiv.

3. Historiens occidentaux des croisades, III, 106. Je citerai toujours Tudebode, l'anonyme, Raimond d'Agiles, Foucher de Chartres, d'après cette collection (III volume); quant à Baudri de Bourgueil et à Guibert de Nogent, je les cite d'après le IV volume des Historiens occidentaux en ajoutant le renvoi aux éditions de Migne (Patrologia latina, tomes CLXVI et CLVI).

nistration tracassière, et qui, dans le cours habituel des choses, géraient comme elles l'entendaient leurs affaires intérieures : les municipes et les colonies avec une liberté plus grande, les villes stipendiaires avec une liberté moindre, les cités libres et fédérées avec une véritable indépendance1. Sans doute, dans cette société où le droit public était fort mal défini, les Princes avaient conservé sur tout l'empire cette haute tutelle que le Sénat s'était autrefois réservée sur l'Italie et qui, à certains moments, pouvait singulièrement gêner la liberté des villes?. Sans doute aussi, deux choses se trouvaient parfois en contradiction comme elles le sont dans tous les temps, le droit et le fait. Un mauvais gouverneur pouvait empiéter sur les franchises des citoyens, et un bon prince paraître les oublier, en chargeant un commissaire extraordinaire de corriger les abus d'une province. On a surtout recueilli le souvenir de ces violations ou de cet oubli momentané du droit; c'est le droit lui-même que nous avons cherché à établir; et cette étude montre que le peuple romain avait su résoudre, dans la première organisation de son empire, le difficile problème de concilier un gouvernement monarchique et des franchises locales, un pouvoir central trèsfort et beaucoup de cités habituellement très-libres.

(Sera continué.)

1. Voy. ci-dessus, p. 52, no 2.

V. DURUY.

2. D'après Polybe, VI, 13, 4, la juridiction du Sénat sur l'Italie s'exerçait pour des cas parfaitement déterminés trahison, conjuration, meurtre, empoisonnement, et pour d'autres qui, au contraire, étaient fort vagues........... Ĕi tię ἰδιώτης ἢ πόλις τῶν κατὰ την Ιταλίαν, διαλύσεως, ἤ ἐπιτιμήσας, ἢ βοηθείας, ἤ φυλακῆς προσδεῖται, τούτων πάντων ἐπιμελές ἐστι τῇ συγκλήτῳ. L'administration impériale avait certainement conservé ces habitudes de l'administration républicaine. C'étaient les cas royaux de notre ancienne monarchie.

3. Comme Pline fut envoyé en Bithynie et Maxime en Achaïe, ad ordinandum statum liberarum civitatum Ep. VIII, 24; L. Renier, Insc. d'Alg., n° 1812, Wescher, Delphes, p. 22-23. Orelli-Henzen en citent d'autres exemples, 2273, 6450, 6483-4, 6506. Toutefois ces Missi dominici étaient envoyés pour corriger les abus, non pour supprimer les anciennes libertés. Trajan le dit expressément à Pline ...sciant hoc, quod inspecturus es, ex mea voluntate, salvis quae habent, privilegiis, esse facturum (Pl. Ep. X, 57), et Pline le répète à Maxime, VIII, 24.

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ÉTUDES CRITIQUES

SUR LES HISTORIENS

DE LA PREMIÈRE CROISADE'

DE L'OUVRAGE ANONYME INTITULÉ Gesta Francorum et aliorum Hierosolomytanorum.

Ce récit de la première croisade, qui a été publié par Bongars en tête de sa collection, lui a paru être un ouvrage original d'un Italien qui était témoin de ce qu'il rapporte : « Italum » dit-il << stylus prodit et in Boamundum affectus. » Besly publia, en 1641, dans la collection de Duchesne, une autre rédaction de ce même récit, dont l'auteur, après avoir raconté une procession autour de Jérusalem, ajoute3 : « credendus est qui primus scripsit, quia in processione fuit et oculis carnalibus vidit, scilicet Petrus sacerdos Tudeboius Sivracensis. » Ailleurs dans la même rédaction (p. 67), il est dit d'un certain Arvedus Tudebovis mort d'une blessure reçue sous les murs d'Antioche: « corpus cujus sepelivit Petrus quidam sacerdos frater ejus. » Enfin il est fait mention (p. 85) d'un autre personnage Arnaldus Tudebovis tué devant Marrah. Besly, qui était Poitevin et qui travaillait beaucoup sur l'histoire de son pays, crut voir dans ces différents passages la preuve que l'écrit anonyme publié par Bongars n'était qu'un plagiat éhonté de l'ouvrage original composé par Pierre Tudebode, prêtre de Sivray (diocèse de Poitiers, Civray, HauteVienne); que le plagiaire, pour déguiser son vol, avait supprimé tous les passages où Tudebode se nomme lui-même et fait mention

1. Ces études sont destinées à la préface du IV volume des Historiens occidentaux des croisades, publiés par l'Académie des Inscriptions.

2. Historiae Francorum scriptores, IV, 773 et suiv.

3. Historiens occidentaux des croisades, III, 106. Je citerai toujours Tudebode, l'anonyme, Raimond d'Agiles, Foucher de Chartres, d'après cette collection (III volume); quant à Baudri de Bourgueil et à Guibert de Nogent, je les cite d'après le IV• volume des Historiens occidentaux en ajoutant le renvoi aux éditions de Migne (Patrologia latina, tomes CLXVI et CLVI).

de ses deux frères (car Besly tient Arnaldus Tudebovis pour un autre frère du prêtre de Sivray). Besly remarqua qu'il y avait entre certaines parties de la rédaction de Tudebode et l'ouvrage de Raimond d'Agiles des rapports frappants, non-seulement pour le fond, mais aussi, en une ou deux pages, pour l'expression; il en conclut seulement que Tudebode et Raimond étaient probablement camarades et s'étaient communiqué leurs mémoires 2.

Les vues de Besly furent adoptées par les Bénédictins auteurs de l'histoire littéraire de France 3 et par Ceillier 4. Barth les rejeta, mais sans s'expliquer 5. M. de Sybel 6, reprenant la question en 1841, trouva que l'opinion de Besly n'était pas soutenable, et qu'au contraire c'était le récit anonyme qui était l'original, et la rédaction de Tudebode l'ouvrage dérivé. L'argument qui lui parut décisif 7, c'est le fait signalé par Besly lui-même plusieurs additions de Tudebode se retrouvent presque littéralement dans Raimond d'Agiles; il serait presque inconcevable, dit M. de Sybel, que si l'auteur anonyme eût copié Tudebode, il eût précisément laissé de côté tout ce qui est commun à Tudebode et à Raimond d'Agiles.

que

L'ouvrage de M. de Sybel resta complétement inconnu en France jusqu'à ces derniers temps, et la controverse qui s'éleva parmi nos confrères sur les rapports de Tudebode et de l'anonyme

...

1. Voir sa préface à Tudebode dans Duchesne loc. cit. et Hist. occ. III, 3. 2. (Duchesne, Hist. Fr. script. IV, Hist. occ. III, 6) : « Raimundus de Agiles et noster, militiae contubernales, fortasse commentarios suos inter se communicarunt. Sanè invicem collati mirè conveniunt, minimumque discrepant, atque etiamnum pagellam unam et alteram eodem tenore propemodum conceptam apud utrumque legere est. Utriusque quoque monumenta in praelio Ascalonico conquiescunt. Neque primum fragmentum, ut vocat et putat optimus Bongarsius, debuit dubitare esse alterius quam Raimundi, sed mancum est et imperfectum : aliud vero est pars recisa ex suo anonymo, fine Lib. ult. »

3. VIII, 629, 632.

4. Histoire génerale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, XXI, 165. 5. Reliquiae manuscr. III, 21, 235, 262.

6. Geschichte des ersten kreuzzugs von Heinrich von Sybel Doctor der Philosophie und Privatdocenten der Geschichte an der Universität zu Bonn. 1841, in-8°, p. 22-25.

...

7. P. 24 « Dies fürhrt mich auf den letzten, wesentlichsten Punkt, den sich Besly leicht zurechtlegt, der mir aber geradezu entscheidend scheint. Tudebod benutzt neben den Gesten das Raimundsche Buch er hat mehrere stellen daraus wortlich in seine compilation herübergenommen. Hætte ihn der verf. der Gesten abgeschrieben, so wære nicht denkbar wie auch nicht eine davon in dessen Text über gangen sein sollte. »

fut poursuivie indépendamment des recherches du savant Allemand. M. de Saulcy, en 1842, s'efforça d'établir que l'auteur du récit commun de l'anonyme et de Tudebode ne pouvait être qu'un soldat et un Italien, et par conséquent qu'un prêtre poitevin ne pouvait avoir composé l'ouvrage original; il ne pensa pas à tirer parti pour sa thèse des rapports signalés par Besly entre Tudebode et Raimond d'Agiles. En 1848, M. Paulin Paris 2, son contradicteur, n'examina pas non plus cette difficulté, qui n'avait pas été soulevée. Enfin, en 1866, les éditeurs de notre troisième volume 3, qui trouvèrent décisives les réponses de M. Paulin Paris à M. de Saulcy, ont oublié de mentionner, en traitant soit de Tudebode, soit de Raimond d'Agiles, les conformités de leurs récits.

La controverse s'est ranimée récemment en Allemagne. En 1872, M. Pollok a essayé de soutenir l'opinion que le récit de Tudebode était l'original et celui de l'anonyme le dérivé 1. Il a adopté les arguments que M. Paulin Paris avait opposés à M. de Saulcy, et essayé de réfuter ceux qui avaient été développés par M. de Sybel. En 1874, M. Gurewitsch a contredit M. Pollok sur tous les points5; il a adopté les arguments de M. de Saulcy et repris ceux de M. de Sybel.

En traitant de nouveau cette question, j'examinerai d'abord l'argumentation de M. de Sybel et je discuterai en particulier celui de ses arguments qui a été jugé le plus décisif par lui-même et par M. Gurewitsch, et qu'il tire des conformités entre Raimond d'Agiles et Tudebode. S'il y a dans Raimond d'Agiles plusieurs passages qui se retrouvent textuellement dans Tudebode, comment se fait-il que l'anonyme, s'il est l'abréviateur de Tudebode, ait omis précisément ceux-là? M. de Sybel a trouvé que c'était incompréhensible. J'avoue que la chose me paraît à peine singulière; il y a dans Tudebode un grand nombre de faits qui manquent dans l'anonyme : le hasard aurait pu très-bien faire que

1. Bibliothèque de l'École des chartes, 1e série, IV, 302, n. 3.

2. La Chanson d'Antioche, introduction, I, p. xxx-xxxij (1848). 3. Hist. occ. III, p. xj.

4. Carolus Pollok. Quaestionum de IV primi belli sacri historiis quae sub Tudebodi nomine comprehenduntur, Pars prima, Vratislaviae, 1872, in-8°. (C'est une thèse de doctorat.)

5. Forschungen zur Deutschen Geschichte herausgegeben von der historischen Commission bei der Königlich Bayerischen Akademie der Wissenschaften. XIV, 1 (1874). Zur kritik der Geschichte des ersten Kreuzzuges, 155-175.

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