qu'ils cultivent, et qu'il n'y eût de conservés que ceux qui portent leurs noms, ou qu'ils ont adoptés. Le public a beau venger les noms illustres qu'ils affectent de mépriser; d'autres demi-savants ont beau renverser leur domination usurpée, pour se voir bientôt humiliés à leur tour après quelques années de règne, le coup qu'ils ont porté aux bons livres est mortel; et le public, tout en estimant les auteurs, s'accoutume à dédaigner leurs ouvrages. Si ce que nous venons de dire n'indique pas la vraie cause du discrédit de certains ouvrages et de la baisse que leur valeur a éprouvée, pourquoi les Éléments de botanique de Tournefort, de l'édition de 1694, qui se vendaient, il y a vingt ans, 80 à 96 livres, et qui valaient encore, il y a trois ans, 50 à 60 livres, ne passent-ils pas aujourd'hui la moitié de cette dernière somme? Pourquoi chaque volume des ouvrages de Linné, dont le prix était naguère de 5 à 6 livres, ne se vend-il plus que 2 livres à peine? Pourquoi, la Physique de Nollet, qui se soutenait, il y a vingt ans, au prix de 20 à 24 livres, malgré les nouvelles découvertes, ne vautelle plus, quoique bien reliée, que 20 à 24 sous le volume au plus ? Pourquoi l'Histoire naturelle de Buffon, séparée de tout ce que nos modernes naturalistes y ont ajouté, éprouve-t-elle chaque jour l'humiliation du rabais, malgré le style enchanteur et inimitable de son auteur ? Que les amateurs et les libraires se consolent de cette révolution dans la fortune de certains bons ouvrages. Il en sera comme des mots dont Horace a dit: Multa renascentur quæ jam cecidere; cadentque L'immensité des articles contenus dans cette seconde édition aurait pu sans doute nous autoriser à la publier en plusieurs volumes; mais mettant de côté tout motif d'intérêt, nous n'avons consulté que l'avantage et la commodité des amateurs, et nous avons cru en conséquence devoir rendre notre ouvrage portatif, en le renfermant dans un seul volume. . A l'égard de la partie typographique, nous n'avons rien négligé pour la rendre aussi parfaite que possible: on n'en doutera point quand on jetera les yeux sur la qualité du papier que nous avons employé, et sur les caractères dont nous nous sommes servis; caractères neufs et du plus bel œil que l'on puisse trouver. Nous n'oublierons point d'annoncer ici que ces mêmes caractères serviront à l'impression de la Bibliographie orientale, composée par le savant M. Langlès, laquelle doit faire suite à celle-ci et à toutes les autres. t D'après tout ce que nous avons dit sur cette seconde édition, nous avons lieu d'espérer qu'elle n'aura pas un moindre succès que la première; mais si nous réussissons, il est juste que nous en témoignions notre reconnaissance aux personnes qui nous ont aidés de leurs lumières, et qui nous ont fait part d'un très-grand nombre d'articles intéressants que nous avions omis, et qui avaient été négligés dans les Bibliographies qui ont précédé la nôtre : nous voulons parler de MM. Clavier, Bosquillon, Hubert de Marseille, Boulard', Quatremère de Roissy, et sur-tout de M. Jardé, qui nous a été très-utile par ses conseils. PRÉCIS SUR LES BIBLIOTHÈQUES que Si Fart d'écrire est, comme on n'en saurait douter, presque aussi ancien la parole, il est permis de croire que les hommes ont fait des livres dès le temps même qu'ils ont pu s'exprimer à l'aide des signes de la pensée. Ce qu'on appelle les Traditions patriarchales, n'était donc que des Mémoires transmis par les premiers pères de famille à leurs enfants, qui ajoutaient à ces mémoires les événements de leur temps. On a lieu de penser que Noé porta dans son arche tous les ouvrages dont il était proprié taire ou auteur, ainsi que plusieurs autres sur les arts et sur les procédés qu'on y employait avant lui, et pendant la longue carrière qu'il avait parcourue, lorsque le déluge vint anéantir tous les monuments. Sans doute ses enfants, à l'époque de leur dispersion, ne négligèrent point d'emporter avec eux des exemplaires de ces utiles et respectables écrits: l'Egypte, qui en fut la première enrichie, fut aussi le berceau de toutes les sciences, et put, sept cents ans après, fournir à Moïse les matériaux nécessaires pour composer l'histoire de la Genèse, ainsi que la législation des Hébreux. Aucun monument n'est plus célèbre dans l'antiquité, que la Bibliothèque que le roi Osymandias avait formée dans son palais, moins de quatre siècles après le déluge. Quel qu'ait été le nombre des livres qui composaient cette collection, il est indubitable qu'il existait des livres à une époque antérieure de plusieurs siècles. Un long espace de temps sépare Osymandias de Pisistrate, qui le premier ouyrit une bibliothèque dans la ville d'Athènes, et y plaça les Euvres d'Homère qu'il avait fait rassembler avec beaucoup de peine et de dépenses. On sait que Xercès la fit transporter en Perse, et que Seleucus, roi de Syrie, la rendit aux Athéniens. Jusques à Ptolémée Philadelphe, second roi d'Egypte, de la race des Lagides, aucun prince, sans en excepter Alexandre-le-Grand, u'avait montré plus de zèle, et n'eut plus de moyens que ce monarque pour former une grande bibliothèque. Ami de la paix et des sciences, protecteur des philosophes, des orateurs, et possesseur de grandes richesses il rassembla dans le temple de Sérapis d'Alexandrie, une telle quantité de livres, que cette bibliothèque devint, sous son règne et sous celui de ses successeurs, le monument le plus riche, le plus important et le plus beau de l'univers. Pour satisfaire ce goût si digne d'un grand prince qui fait consister le bonheur et la gloire dans les lumières, Ptolémée avait des émissaires dans toute l'Asie et dans toute la Grèce, chargés d'y faire la recherche des livres les plus rares et les plus précieux. Personne n'ignore que c'est à son zèle plein de magnificence, que l'Eglise est redevable de la célèbre version des Livres de Moïse, dite des Septante. La bibliothèque d'Alexandrie, composée de sept cent mille volumes, eut un bibliothécaire bien digne d'elle, l'illustre orateur et magistrat athé J nien, Démétrius de Phalère. Un tel choix fait également honneur à Ptolémée et à Démétrius: celui-ci eut pour successeurs dans cette place importante des hommes du plus rare mérite. La Bibliothèque d'Àlexandrie se conserva dans toute sa splendeur pendant plusieurs siècles, jusqu'à la prise de cette ville par César époque funeste pour les sciences, la moitié des livres qui la composaient ayant été la proie des flammes. L'autre moitié subit le même sort dans le septième siècle de l'ère chrétienne, et le premier de celle des Mahométans, par les ordres du calife Omar, l'un des successeurs de Mahomet. Il fallait que le nombre des livres fût bien considérable, puisqu'ils servirent à chauffer les bains d'Alexandrie pendant six mois. Tous les savants ont vivement déploré la perte d'un si riche dépôt des productions de l'esprit humain, et voué à l'exécration la superstitieuse ignorance du calife qui le fit livrer aux flammes, pour ne conserver dans le monde que le volume du Koran. En effet, il est à présumer que cette Bibliothèque, telle qu'elle existait encore à cette fatale époque, renfermait un très-grand nombre d'ouvrages de la plus haute antiquité, que nous n'avons plus, ou dont il ne nous reste que les noms ou des fragments. Que de lumières nous avons perdues sur la connaissance de l'histoire des premiers empires et des peuples de l'Asie! Que de systêmes de moins on aurait eu à faire, au sujet des antiquités égyptiennes et grecques! Que de poëmes, peut-être aussi beaux que l'Iliade; que de discours, peutêtre aussi éloquents que ceux de Démosthènes, nous avons à regretter ! Aujourd'hui, quand les érudits compulsent les ouvrages des anciens pour comparer ce qu'ils ont écrit sur les peuples et les événements qui ont nombre de il me semble les fouiller les cendres de la Bibliothèque d'Alexandrie. Après la Bibliothèque d'Alexandrie, celle de Pergame, qui, selon Plutarque, dans la Vie de M. Antoine, renfermait deux cent mille volumes était devenue la plus célèbre. Elle avait été fondée et successivement enrichie par les Eumènes, rois de ce pays, tous zélés pour les progrès des arts, et à l'un desquels nous devons l'invention du parchemin, Pergamena charta; mais aucun d'eux ne montra plus de magnificence que le célèbre Attale, dont les richesses étaient passées en proverbe chez les Romains, qu'il institua ses héritiers. Ce prince, attentif à marcher sur les traces de ses prédécesseurs, croyait ne pouvoir faire un meilleur usage de ses trésors, que d'en employer une partie à l'acquisition des chefsd'œuvre de son siècle. Aussi, quand, après la prise de Corinthe, le consul Mummius fit exposer en vente une partie des tableaux trouvés dans cette ville infortunée, ne laissa-t-il pas échapper une si belle occasion, et en acheta-t-il plusieurs qui avaient une grande réputation, pour un prix qui effrayerait aujourd'hui des têtes couronnées. Après la conquête de la Grèce, le goût des livres ne tarda pas à faire des progrès chez les Romains. Ce peuple qui, sans cesse occupé d'expéditions guerrières, avait montré jusqu'à cette époque peu d'empres– sement pour la culture des lettres, commença d'y prendre goût, par tin commerce plus fréquent avec les Grecs, dont la littérature et les arts étaient bien capables d'adoucir ce qui restait de rudesse dans le caractère de ces vainqueurs du monde. Paul-Emile, après avoir vaincu Persée, roi de Macédoine, fut le premier qui enrichit la ville de Rome d'une bibliothèque qui, depuis, fut augmentée par Sylla. A son retour de l'Asie, où il avait heureusement terminé la première guerre contre Mithridate, ce général, devenu depuis si fameux par ses proscriptions, se rendit à Athènes avec l'intention d'en emporter les livres les plus estimés. Ce fut là qu'il eut le bonheur de découvrir les Œuvres d'Aristote, qui, pendant près de trois cents ans, étaient restées enfouies dans un souterrain, et n'étaient passées dans la Bibliothèque d'un riche Athénien, nommé Apellicon, que par la pauvreté des descendants de Nélée, qui les avait reçues de Théophraste, disciple d'Aristote. Si quelque chose peut rendre intéressante la mémoire de l'impitoyable Sylla, c'est l'usage qu'il fit de sa Bibliothèque; car il la rendit, pour ainsi dire, publique; et c'est à la complaisance de son bibliothécaire Tyrannion, pour Andronicus le Rhodien, que nous sommes redevables des (Euvres d'Aristote et des sommaires que nous avons maintenant. Ce fut aussi ce même Andronicus qui restitua les endroits des écrits de ce grand philosophe, que le temps avait dévorés. Un autre vainqueur de Mithridate, Lucullus, si renommé par ses richesses et par le luxe de sa table, ne se distingua pas moins par son goût, pour les livres. Ainsi que ses jardins, sa Bibliothèque, était ouverte à tous les savants: les Grecs qui séjournaient à Rome, y avaient un accès facile, et y trouvaient, pendant plusieurs heures de la journée, la jouissance qu'ils préféraient à toute autre. Jules-César, aussi bon littérateur que grand capitaine, succéda à Sylla et à Lucullus dans leurs richesses littéraires, dont il confia le précieux dépôt à M. Varron. Auguste, dout le règne est une époque si célèbre dans les Annales de l'esprit humain, fut redevable à ses favoris, Agrippa et Mécène, de son goût pour la belle littérature, et de la Bibliotheque qui ornait son palais et faisait les délices des Romains. L'illustre Asinius Pollion était son bibliothécaire pour celle du Mont Aventin qui était la plus nombreuse; et Mécène, pour celle qu'il avait nommée Octavienne, du nom de sa sœur Octavie. Après la mort d'Auguste, ses successeurs songèrent peu à de grands établissements en ce genre: nous savons pourtant, d'après le témoignage d'Aulu-Gelle et de Suétone, que Tibère, Vespasien, Domitien, avaient formé chacun une Bibliothèque particulière, et que celle de ce dernier ainsi que le rapporte Eusèbe de Césarée, fut détruite par l'incendie qui consuma le Capitole sous l'empire de Commode. Outre les Bibliothèques des empereurs, il y en avait dans les principales villes de l'Empire; et les volumes calcinés que l'on a découverts et l'on trouve encore de temps en temps dans les ruines d'Herculanum et de Pompeia, prouvent que les livres étaient communs dans ces villes, et entraient dans la dépense des simples particuliers. que Les irruptions des Barbares, plus terribles et plus destructives que les inondations, les volcans et les tremblements de terre, eurent bientôt fait disparaître de l'Italie les Bibliothèques qui s'y étaient multipliées depuis quatre ou cinq siècles. Celles de l'Orient échappèrent à ce torrent dévastateur; et Constantinople ainsi qu'Alexandrie conservèrent, jusqu'au temps de la domination d'une autre espèce de Barbares, leurs collections. littéraires Si, malgré ce désastre universel, nous lisons encore un grand nombre d'ouvrages des auteurs de l'antiquité, dans les langues grecque et latine c'est à ces moines, aujourd'hui si méprisés, ou du moins si oubliés dans le monde, même catholique, que nous en avons l'obligation. Eux seuls nous ont conservé par des copies, les livres échappés aux ravages qui en avaient détruit tant d'autres; mais ces copies, faites la plupart par des hommes peu capables de bien lire les originaux, dûrent présenter aux lecteurs, ou beaucoup de fautes ou beaucoup de lacunes. C'est la raison pour laquelle plusieurs écrits des anciens sont en quelques endroits, ou difficiles à comprendre, ou imparfaits. A cette cause de la conservation des livres, il faut ajouter celle qui résulte du schisme élevé entre l'Eglise grecque et l'Eglise latine. Quoique très-funeste à la religion et à l'unité chrétiennes, ce schisme a puis |