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tout à l'heure de la Galerie du Palais. Une jeune fille aimable et coquette, sorte de Célimène inexpérimentée, se met en tête de tourmenter l'homme qui lui a consacré ses pensées. Or voici comme Lysandre exprime en un vieux style encor plein de grâces nouvelles une douleur qui est de tous les temps:

Ah! redouble plutôt ce dédain qui me tue (1),
Et laisse-moi le bien d'expirer à ta vue...
Invente à me gèner quelque rigueur nouvelle,
Traite, si tu le veux, mon âme en criminelle,
Dis que je suis ingrat, appelle-moi léger,
Impute à mes amours la honte de changer,
Dedans mon désespoir fais éclater ta joie,
Et tout me sera doux pourvu que je te voie!
Tu verras tes mépris n'ébranler point ma foi,
Et mes derniers soupirs ne voler qu'après toi.

Ne crains point de ma part de reproche ou d'injure,

Je ne t'appellerai ni lâche ni parjure,

Mon feu supprimera ces titres odieux,

Mes douleurs cèderont au pouvoir de tes yeux,
Et mon fidèle amour, malgré leur vive atteinte,
Pour t'adorer encore étouffera ma plainte.

L'accent est sincère: même cette métaphysique amoureuse, ces mots répétés « mon feu, mes douleurs, ma foi, mon cœur », cette analyse délicate et subtile du sentiment, sont la marque de l'époque. Le marivaudage est fréquent dans les vers de Corneille, comme il est commun dans toute société raffinée; il est aussi vieux que le monde; partout où se réunissent la jeunesse, la grâce et l'esprit avivés par un tendre sentiment, soyez sûrs de rencontrer quelque marivaudage. Il régnait tout particulièrement dans ce monde élégant, inoccupé, dont les loisirs se partageaient entre la passion, l'intrigue et la guerre. Monde assurément peu nombreux, fermé aux (1) La Galerie du Palais, act. II, sc. VIII.

profanes, heureux de se sentir pour la première fois vivre de la vie de l'esprit, et de se faire des plaisirs délicats qui fussent pour lui seul! Attendez, Messieurs, et cette société un peu frivole, qui commence par Voiture et Benserade, se laissera former par Descartes, par PortRoyal, par Corneille : elle s'intéressera bientôt aux plus graves questions de la philosophie ou de la religion; elle applaudira aux merveilles de la poésie et s'appellera la cour de Louis XIV. Elle lira Montesquieu, écoutera Voltaire, se passionnera pour Rousseau, accueillera avec enthousiasme les idées de réforme et d'humanité, préparera la Révolution, fera la nuit du 4 août. Il ne lui aura manqué qu'un peu de sens pratique pour devenir une des forces vives de la nation, et donner à la France moderne un contrepoids dont le défaut lui a été singulièrement funeste.

Mais revenons à Corneille. Il se renfermait encore dans la comédie d'intrigue. Ses analyses ont peu de profondeur. Chez lui l'amoureux tient toujours la première place, et la doit à sa passion, non à son caractère. Il est le jeune premier de tant d'œuvres modernes, il n'est pas le personnage dont le travers ou le vice est la raison même de la pièce et en assure la durée. Même le Menteur n'atteint pas à cette élévation. Mais quelle pièce charmante et de fine observation! Les aimables personnes que ces promeneuses de la Place-Royale, toutes prêtes à accepter des compliments assaisonnés d'esprit, à croire à des contes par un penchant à demi avoué pour le conteur, à l'encourager dans ses inventions, quittes à le laisser s'y embarrasser pour en rire davantage! Et Dorante,

... Vaillant par nature et menteur par coutume,

ou se donnant un air martial parce:

Qu'une plume au chapeau lui sied mieux qu'à la main!

Quelle verve, et que d'imagination pour se faire applaudir ou pardonner! Mentir de si bonne grâce n'est plus mentir, et nous serions vraiment fâchés qu'il fût trop sévèrement châtié. Une semonce paternelle, quelques innocentes railleries effacées par un bon mariage, un vrai mariage celui-là, sont une peine bien suffisante pour le revenant des guerres d'Allemagne, pour le héros des fêtes sur l'eau, pour le faux mari de Poitiers qui nous a tout en se jouant et d'un air de si vaillante jeunesse décrit tout un coin, non le moins gracieux de la société du temps de Louis XIII. Cette légère esquisse complète heureusement toute cette première période des pièces de Corneille. Il est bien vraiment alors le maître de Molière, le premier modèle de l'Etourdi et du Dépit amoureux.

Mais cette âme grave et forte, toujours prête à prendre la vie par ce qu'elle a de sérieux, se sentait à l'étroit dans cette trame sans consistance. Déjà dans le caractère de Géronte apparaît cette noblesse de sentiments qui relie la comédie à la tragédie. Jamais plus fiers accents ne furent prêtés à un homme de cœur trompé dans son affection paternelle.

Etes-vous gentilhomme?

Tu ne meurs pas de honte (1) Qu'il faille que de lui (de son valet) je fasse plus de compte, Et que ton père même, en doute de ta foi,

Donne plus de créance à ton valet qu'à toi!

Je ne cite pas cette admirable scène, vous la connaissez tous. Géronte est le digne ancêtre, le frère aîné plu

(1) Le Menteur, act. V, sc. IV.

tôt de ce don Louis à qui Molière prêtera une si magnifique imprécation contre son fils rebelle, parjure et impie. C'est que Molière et Corneille, frères jumeaux par le génie dramatique, n'avaient qu'à regarder autour d'eux. Cette dignité héroïque et qui n'exclut pas la tendresse, mais une tendresse contenue et d'autant plus puissante, c'était bien l'un des aspects de la société d'alors. Les exemples en sont nombreux dans la noblesse ou dans la haute bourgeoisie, les Montausier, les Arnaud, dans une certaine mesure les La Rochefoucauld, toutes ces familles jalouses de leur honneur, indulgentes pour des fredaines que l'âge excuse, mais impitoyables pour toute action basse ou flétrissante.

Don Diègue, le vieil Horace sont du même sang que Géronte et ne diffèrent de lui que par la gravité de leur rôle. Comme Géronte, ils comptent parmi les plus originales créations du théâtre, parce qu'ils en sont les créations les plus vraies. Mais l'imitation cornélienne ne s'est pas arrêtée à des personnages que toute leur beauté n'élève pas au-dessus du second rang. Certes, le Cid, par exemple, est le plus vivant, le plus pénétrant des chefsd'œuvre de Corneille. Croyez-vous pourtant qu'il doive uniquement à sa propre beauté toute la popularité et la vogue dont il jouit tout d'abord? Croyez-vous qu'il y suffit, pour faire couler tant de larmes, de

Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur
Jeunesse de visage et jeunesse de cœur?

Non, Messieurs, un public, quel qu'il soit, mais surtout à ces époques d'énergie et de puissance, ne se plaît qu'à sa propre image. L'influence, même des héros e des poètes espagnols y fut secondaire. Mais ces récits d'amour, ces duels, ces combats, ces bravades castillanes,

cette fierté des seigneurs, cette bonhomie d'un roi réduit presque au rôle d'un arbitre, tout cela charmait la foule au grand déplaisir du terrible cardinal. Cet idéal chrétien et chevaleresque de l'Espagne du Moyen Age était aussi et avant tout celui de la noblesse française encore frémissante. Les applaudissements avaient je ne sais quel air de liberté frondeuse qui ne déplut jamais à la jeunesse, et dans le chef-d'œuvre naissant, le public tout entier reconnaissait son image image merveilleuse assurément! Pour être tracé de main de maître, pour embellir l'original dont il supprimait les défauts, le portrait n'en était pas moins vrai. Qu'importait le cadre, qu'importaient les aventures? Dans cette scène. représentée sous les yeux d'une reine espagnole, au lendemain des ministères de Concini et de Luynes, à la veille de la faveur éphémère des Importants, le mérite de l'à-propos rehaussait d'autant l'éternelle vérité. Et quel jeune gentilhomme n'eût pas donné gaiement sa vie pour servir son roi comme Rodrigue, ou contrarier ses édits par un duel éclatant? Quelques mots de Chimène « Va, je ne te hais point; -Rodrigue, qui l'eût dit? »> ne leur eussent pas paru trop chèrement payés de tout leur sang.

Comment donc imitait Corneille ? Sans le savoir peutêtre, assurément sans le vouloir. Il n'était pas «<le Contemplateur » comme Molière; il ne méritait pas comme La Fontaine le surnom de Polyphile; il ne passait pas comme La Bruyère sa vie à observer des originaux. Renfermé dans sa famille ou dans le cercle d'une amitié qu'il ne prodiguait pas, retiré à Rouen qu'il ne quittait le plus souvent que pour communiquer avec ses acteurs, ne se plaisant pas à la Cour, il ne cherchait pas à étendre son expérience. Génie contenu, intime, il regar

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