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lève. L'auteur l'a partagé en trois parties. I. Au XVIIe et au XVIIIe siècle : a) Les Antécédents. Les Traits d'Union Normands avant le xvi siècle et le milieu du xvme siècle. L'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen. b) Les Traducteurs Normands. Le groupe de Rouen. Aperçu général sur l'Anglomanie en France au XVIe siècle. Ses effets à Rouen en particulier. Voltaire et son entourage. Rouen et le « Groupe des traducteurs Rouennais. Du Resnel, Yart, Le Roy. Madame du Boccage. Un traducteur Caennais isolé, M. Costard des Ifs. c) Les touristes et les résidents Normands en Angleterre au XVIe siècle : Madame du Boccage et son mari; Madame Le Prince de Beaumont. Voltaire et les Elie de Beaumont. d) Un savant normand en mission en Angleterre de Bréquigny.

II. Avant l'Emigration et pendant la Révolution. a) L'anglicisme à Caen. L'Académie » ou Ecole d'Equitation. L'université de Caen. Débuts de l'Emigration. Moysrant et De La Rue. b) Les Prêtres Normands émigrés. c) Un savant émigré De La Rue. Conditions et tendances de l'Erudition anglaise. Warton, Percy et Scott. Pourquoi De La Rue se fit apprécier à Londres. d) Le British Museum, Les relations de De La Rue avec la Société des Antiquaires de Londres. Intérêt et importance pour le public anglais des travaux communiqués par De La Rue à la Société des Antiquaires de Londres. e) La Société des Antiquaires de Londres. Relations du savant normand avec Francis Douce. f) Un jeune gentilhomme normand émigré: De Gerville.

III. Douce, De La Rue et les débuts de l'histoire de l'archéologie en Normandie. Ducarel, l'archéologie anglaise et la Normandie; de Gerville et Arcisse de Caumont. L'article de la « Quaterly Review ». Le Prevost. Le milieu caennais et les Anglais à Caen. Quatre appendices, un index et une table.

Il faut remonter jusqu'à la conquête de Guillaume le Conquérant en passant par l'occupation de la Normandie par l'Angleterre pour retrouver entre les deux peuples les germes de lointaines affinités et de curiosités latentes, mais c'est sous Louis XIV que s'ébauche la liaison, et c'est Caen qui l'inaugure. L'exode des protestants normands après la Révocation de l'Edit de Nantes ne va pas tarder à renouer d'autres mailles aux liens déjà créés. Très vite, ils prennent racine dans cette patrie d'adoption et y meurent: huguenots de vieille souche, au grand col de batiste comme

Moisant de Brieux, fondateur de l'Académie de Caen, et Samuel Bochard; élégants gentilshommes couverts de rubans comme Saint-Evremond; hommes de lettres, quelque peu aventuriers, comme Motteux, drapé dans son ample manteau rouge. Et tous ces noms de Normands évoquent un peu de l'Angleterre où ils ont passé Oxford, Cambridge, Chelsea, Londres ».

Mais voici qu'en France vers la fin du XVIe siècle, lorsque le mouvement littéraire et philosophique bat son plein, l'Anglomanie devient à la mode.

L'engouement pour l'Angleterre, mais une Angleterre tronquée et incomplète, fait place à la défiance et à l'aversion quelque peu générales. Et c'est par Rouen que la communication s'établit. Voltaire la prend sous son patronage. Caché à Rouen pour mieux dépister le Préfet de police, « il joue le rôle de gentilhomme anglais, sous le nom de Mylord Chevalier et avoue y trouver nombre de gens d'esprit et de mérite.

Cette élite rouennaise, ces perruques carrées, gens de négoce et de basoche savaient en effet tenir le haut du pavé et le bien tenir et par le louable usage qu'ils faisaient de leurs grands biens, jetaient dans cette ville, un air de magnificence ». Le bel esprit y avait grand air, et de son Académie donnait le ton et régentait les lettres. C'est de là que vont se tendre les fils qui ne tarderont pas à devenir un écheveau de cohésion durable.

Pour des causes variées et connues le tempérament français restait sur la défensive vis-à-vis des auteurs anglais. La prévention ne tomba pas d'emblée, et il y eut peut-être un certain courage à l'affronter ouvertement. On commença par les traduire, même de seconde main, même sans savoir la langue, avec un scrupule de fidélité plutôt tiède, pratiquant l'indépendance du texte, y ajoutant une originalité étrangère, et visant à vulgariser la pensée, en l'adaptant au goût français. Du Resnel traduit Pope, l'abbé Yart le chanoine en soupirs, Costard des Ifs, et d'autres, le genre est à la mode, à Rouen comme à Caen, « cherchent une traduction, comme on cherche un ami, qu'en embrassant on peut trahir ou étouffer de la meilleure foi du monde ». « Curés de campagne, beaux esprits cultivés, abbés mondains aux rabats et aux manchettes de dentelle, forment un ensemble auquel des bas bleus d'importance, comme Mme Le Prince de Beaumont, Mme Elie de Beaumont (par l'intermédiaire de son mari) et surtout Mme du

Boccage viennent ajouter leurs grâces. Cette dernière, âme d'émotion et de sensibilité, nature aimable et sociable, physionomie attentive, éveillée, judicieuse, tendant avant tout à s'épanouir et à résister à la médiocrité, fut la plus célèbre. Non plus que les autres, cependant, l'Amazone de l'Esprit, comme on l'appelait, n'échappa pas tout d'abord à l'insociabilité dédaigneuse du XVIIIe siècle. Elle manque de résolution devant la critique probable de son sentiment et ne se jette dans la mêlée qu'avec une prudence réfléchie. Son Paradis terrestre imité de Milton est imprimé à Londres, sous les initiales D. B. Il est vrai qu'elle ne se trahit pas davantage dans son poème qui remporte le Prix Alternatif distribué pour la première fois par l'Académie de Rouen en 1746. Le « Je » par quoi débute le premier chant est apostillé de cette petite note: « L'auteur est une dame née à Rouen »>, et après le dernier vers on n'est pas peu surpris de lire cette citation épisodique de Juvénal :

Dat veniam corvis, vexat censura columbas.....!

Le branle n'en est pas moins donné, et ce sera un Normand, Le Tourneur de Valognes, qui fera connaître Shakespeare aux Français. Il ne pourra échapper à personne que l'exposé de cette initiation à la familiarité anglaise est fait par l'auteur avec beaucoup d'habileté de présentation, sans verbosité, sans placage, sans nul souci de vaine amplification, sans rien qui sente le tour de main artificiel. C'est un chapitre bien fouillé, de nuances délicates, d'observation très fine, et d'intérêt pénétrant.

Cette ferveur de traduction jointe à la curiosité d'un tourisme mis en goût, ne tarde pas à porter ses fruits. On va en Angleterre, non seulement pour voir, mais pour connaître, travailler et s'instruire. Le monde officiel ne reste pas à l'écart du mouvement. Le savant de Bréquigny est envoyé en mission par le duc de Praslin, ministre des Affaires étrangères, pour aller faire dans les archives de l'Angleterre, le dépouillement des actes et documents anciens qui intéressent la France.

Vient l'Emigration, l'abbé De La Rue, professeur à l'Université de Caen et réfractaire, la domine de sa haute intelligence, de son vaste savoir et de son labeur acharné. « Zélateur infatigable des recherches d'antiquités les plus ardues, critique de la plus rigonreuse et de la plus rare sagacité », il fouille la Tour de Londres

et le Bureau des Archives, compulse les documents qui intéressent les vieilles familles de la conquête et les fastes littéraires du passé anglo-normand, associant les savants anglais à ses investigations. Il découvre le Roman de Rou de R. Wace, entretient des relations suivies avec la Société des Antiquaires de Londres et tout ce qui a un nom dans les sciences et dans les lettres, fréquente Walter Scott que Chateaubriand appelle le célèbre ami de De La Rue, se lie avec le sigillographe Francis Douce, le meilleur antiquaire de Londres, dont le dévouement plein d'affection et de sécurité survit aux années d'exil.

Autour, mais loin de l'abbé De La Rue, nous voyons s'agiter le douloureux essaim des Emigrés venant demander à l'Angleterre une hospitalité sûre et bienveillante qui ne leur manque pas : prêtres, nobles, bourgeois, juifs errants de l'attente, qui peinent, circulent, voyagent, souffrent en coudoyant mélancoliquement les descendants des exilés de la Révocation de l'Edit de Nantes, qui malgré le temps et des conceptions religieuses différentes les reconnaissent dans un même attendrissement pour la patrie commune. Toutes ces pages sont très belles et d'une documentation surabondante, les tableaux d'un agencement heureux et d'une lumière parfaite. Les citations nombreuses s'identifient au récit et s'agrémentent de toute la saveur des dessous épistolaires. On sent l'auteur très maître d'un sujet qu'il connaît à fond. Sa synthèse historique s'appuie sur une érudition très sûre d'elle-même et de sens exact et s'affirme dans une condensation substantielle des choses et des faits, d'une grande richesse, traduite dans un style distingué, facile et très littéraire. Sans apparence, on subit l'influence du maître qui sait enseigner, et vraiment dans son livre il enseigne, et c'est un plaisir de sentir qu'on n'échappe pas à son autorité. Sa méthode toute de clarté procède par l'enchaînement logique des causes, des faits, des conséquences et par des conclusions et des rappels de mémoire qui sont, qu'on nous permette le mot, d'une pédagogie très avertie.

L'émigration passée, sur ce terrain ainsi préparé, l'union intellectuelle entre l'Angleterre et la Normandie est consolidée et acceptée de part et d'autre. Une véritable colonie anglaise s'installe à Caen. Son Lycée et son Ecole de Droit deviennent un foyer d'enseignement très estimé et très fréquenté. Les savants d'OutreManche fouillent la Normandie et en relèvent toutes les antiqui

tés architecturales. Les échanges de pensée entre les deux pays, par les académies et les sociétés savantes acquièrent une vitalité et une émulation remarquables. It est vrai que nous avons chez nous des hommes et des travailleurs de premier ordre, c'est sans compter De La Rue, de Gerville, gentilhomme du Cotentin, nature d'élite, qui a fait sa formation pendant son exil, et le premier qui se soit occupé d'étudier sur place l'Art normand du Moyen-Age, Arcisse de Caumont, Le Prévost, Rever, « noms synonymes d'enthousiasme et de labeur archéologique et phalange qui offrait toute garantie aux érudits d'Outre-Mer. » D'un autre côté et en retour, les savants anglais, Ducarel en tête, exercent une influence indéniable sur la Société des Antiquaires de Normandie. Période brillante et glorieuse pour la Normandie qui par des hommes vraiment éminents a su s'imposer à l'attention et à l'admiration de l'Angleterre.

C'est à ce moment que s'engage une polémique très vive sur cette question d'un savant anglais, Milner, posée dans un article célèbre de la Quaterly Review: D'où vient le gothique? Horace Walpole émet l'idée que les anciens reliquaires en furent les vrais prototypes. « L'architecture gothique, dit-il, n'est pas un passage de la barbarie à l'art, mais d'une espèce d'art à une autre ». Douce à ce sujet entama avec l'abbé De La Rue une correspondance qui comporte beaucoup d'érudition et d'intérêt, tandis qu'en dehors, des hypothèses plus ou moins probables prenaient jour. Faut-il voir le plus vieux spécimen du gothique dans le palais de la monnaie de Théodore? Est-ce dans une avenue de branchages entrelacés? dans une armature d'osier, ou dans la Vesica Piscis de Kerrich? Vient-il d'Orient? N'est-ce pas plutôt l'intersection pure et simple de deux arcs en plein cintre? Le gothique anglais a-t-il la supériorité et la priorité sur le français? Débats qui indiquent la passion avec laquelle on étudiait alors le passé architectural de la Normandie et de l'Angleterre et le rôle important et illustre de ceux qui servaient de traits d'union, entre les deux rives de la Manche. Avec grand à propos M. Paul Yvon relève la discussion et renouvelle, en les rappelant, les données du vrai problème.

A tous égards, son livre restera une généreuse et docte réponse, et tous les curieux du passé normand lui en sauront gré, à cet appel ardent que lançait Auguste Le Prévost à sa génération : Nosce Patriam; Connais la Patrie. Abbé Ed. THOREL.

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