Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

sir. Quoique Corneille ait débuté par des comédies, il peut paraître étonnant qu'il soit descendu tout à coup des hauteurs sublimes où il s'était élevé avec le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, pour voir les hommes tels qu'ils sont après les avoir peints tels qu'ils devaient être. C'est qu'il avait la souplesse, la variété du génie. Mais qu'on ne s'y trompe pas cependant : il circule encore dans cette amusante comédie je ne sais quel souffle héroïque qui nous rappelle de temps en temps le vers du poète :

Corneille est à Rouen, mais son âme est à Rome.

Son Dorante qui ment avec tant de candeur et de vérité n'est pas un personnage comique odieux ou vulgaire. Les spectateurs s'aperçoivent dès l'abord que ses mensonges ne sont que des étourderies, des fredaines de jeunesse dont il se corrigera. Il invente les histoires les plus extravagantes pour étonner et forcer à se taire les conteurs de nouvelles », pour leur faire rentrer leurs nouvelles au corps. » Outre qu'il a de l'esprit, il est brave: à peine débarqué à Paris, il se met trois affaires sur les bras, un amour, un mariage et un duel, et il va tout de suite au-devant de celui qui « l'ose quereller. » Quant à Géronte, c'est un autre don Diègue, qui trouve des accents superbes pour gourmander son fils, et qui gronde d'une bouche indignée, « tumido delitigat ore. » C'est ainsi que Corneille, avec un art qu'on ne saurait assez faire ressortir, a mêlé le sublime au plaisant. Ne dirait-on pas qu'il a habité Paris toute sa vie lorsqu'il fait dire à Cliton :

Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez.
Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés;
L'effet n'y répond pas toujours à l'apparence :
On s'y laisse duper autant qu'en lieu de France;
Et parmi tant d'esprits plus polis et meilleurs,
Il y croit des badauds autant et plus qu'ailleurs.

Ce Cliton, valet de Dorante, a pour le moins autant d'esprit que son maître. Molière ne l'oubliera pas, et dans Regnard, il fera rire maintes fois sous les noms d'Hector ou de Crispin. On rencontre çà et là dans le Menteur quelques préciosités de langage que M. Lavigne a eu soin de noter. Ainsi lorsque Dorante, essayant de se soustraire au lourd fardeau du mariage, dit à son père qu'il lui faut auparavant acquérir quelque nom dans les combats et signaler son bras par quelques exploits, Géronte lui fait cette réponse qui sent le fin du fin :

Avant qu'être au hasard, qu'un autre bras l'immole.

Ce trait et quelques autres semblables sont comme la marque de l'époque.

Du Menteur je passe sans transition à l'Esther de Racine, édition annotée par M. Lanson. Elle est précédée d'une biographie du poète, courte et sommaire, comme il convient, et d'une notice sur la pièce. M. L. a eu raison de ne pas voir dans cette tragédie, comme l'a fait

M. Deschanel, une longue série d'adulations à l'adresse de Louis XIV et de Mme de Maintenon; non pas que Racine ne fasse point quelques allusions au grand roi et à la favorite (le sujet choisi y prêtait naturellement), mais je ne crois pas qu'il soit paradoxal de soutenir que le poète, ainsi qu'il le dit lui-même dans sa préface, a évité, autant qu'il l'a pu, de mêler le profane au sacré, et qu'il a voulu montrer surtout qu'on pouvait tirer de beaux effets de l'Ecriture. Quoi qu'en dise M. Deschanel, la conversion de Racine était bien sincère, et de plus il était devenu

Tant de nos premiers ans l'habitude a de force!

aussi janséniste que ses anciens maîtres, si bien qu'il semble que ses deux dernières tragédies ont été faites moins pour faire sa cour que pour expier les premières. Il ne voulait pas écrire pour les « profanes amateurs des spectacles frivoles », et ce n'est point sa faute si Esther obtint dans la Maison de Saint-Cyr un succès tout mondain.

M. Lanson a mis en note tous les passages du Livre d'Esther traduits ou imités par Racine: de cette façon les élèves verront mieux à l'œuvre l'abeille industrieuse.

A. DELBOULle.

174.

Eléments de grammaire française à l'usage de l'enseigne. ment moyen, par J. DELBOEUF et L. RERSCH, professeurs à l'Université de Liège, 2o édition, revue et corrigée. Liège, Ch. Descer, 1886. In-8 de xiv, 149.

• Il importe que, dans les premières années du collège ou de l'école moyenne, l'élève se tasse une idée juste de la nature des mots et des diverses fonctions qu'ils peuvent remplir dans la phrase. C'est dire qu'il faut lui donner des définitions simples et claires, mais avant tout exactes, l'exactitude étant d'ailleurs une condition indispensable de la clarté. Si les éléments ont été mal exposés ou mal compris, l'élève ne cesse de tâtonner dans tout le cours de ses études et subit, jusque dans l'enseignement supérieur, les conséquences d'une première instruction défectueuse ».

J'ai tenu à citer, dans son entier, ce passage de la préface que MM. J. Delboeuf et L. Roersch ont mis en tête de leur grammaire, parce qu'on y trouve nettement exprimé le programme qu'ils ont voulu et ils y sont entièrement parvenus réaliser en l'écrivant; ne donner à l'élève que des définitions claires et exactes; le faire passer, sans effort, du simple au composé; grouper ensemble les faits grammaticaux de même nature, de manière à en faire saisir les rapports et l'analogie, voilà quelques-uns des traits qui distinguent la grammaire des savants professeurs de l'université de Liège et qui lui assignent une place à part parmi les ouvrages du même genre.

Après quelques notions préliminaires, sur lesquelles je reviendrai

[ocr errors]

il s'agit des sons et des lettres qui les représentent, des signes orthographiques et de l'accent MM. D. et R. abordent l'étude des mots, la Lexilogie, comme ils l'appellent; là, apparaît tout d'abord l'effort qu'ils ont fait pour rompre avec la routine traditionnelle; depuis deux siècles, la plupart des grammairiens ont donné des diverses parties du discours, à peu près les mêmes définitions, quelque peu satisfaisantes qu'elles soient; MM. D. et R. ont cru que l'ancienneté de ces définitions n'était pas une raison pour les conserver, et ils se sont attachés à en donner d'autres plus complètes et plus compréhensibles pour les élèves auxquels elles s'adressent; ils ont fait plus encore; avant de les formuler, ils les ont fait précéder d'explications destinées à faire voir quelle est la vraie nature du mot dont il s'agit: espèce de définition préparatoire qui précise le sens des termes de la définition définitive. Ainsi, au chapitre du pronom : « En désignant les objets par leurs noms, lit-on p. 26, je rappelle l'idée de ces objets et leurs qualités; mais je puis aussi en parler au moyen de mots indiquant l'idée vague et générale d'être, ou celle d'un être avec une qualité purement relative, telle que la place occupée ou le rôle que jouent les personnes dans le dialogue. Les mots servant à désigner les personnes ou les choses sans rappeler, par eux-mêmes, aucune de leurs qualités distinctives, sont les pro

noms. »

On voit quel est le procédé simple et méthodique employé par MM. D. et R., de quel genre d'exposition, nette et claire, ils se servent; on les retrouve à chaque ligne de leur Lexilogie. Néanmoins, c'est dans la syntaxe qu'ils ont surtout innové et se sont montrés vraiment originaux. Cela se conçoit; si on peut présenter les faits grammaticaux avec plus ou moins de clarté, on ne peut en changer la nature et le développement; après avoir parlé du genre, par exemple, dans le substantif, il faut nécessairement parler du nombre; le tableau de la conjugaison du verbe est de même suivi, non moins nécessairement, de la théorie des temps et de la liste des formes dites irrégulières. Il en est tout autrement dans la syntaxe; là, les grammairiens ont le droit de grouper les règles dans l'ordre qui leur paraît le plus logique, et plus cette partie de la science grammaticale a été négligée jusqu'ici, plus grande aussi est la faculté d'y innover. MM. D. et R. ont largement usé de ce privilège, et il faut les en féliciter.

Leur syntaxe s'ouvre par une étude générale de la proposition et de ses éléments; puis vient un chapitre consacré aux « Rapports des termes de la proposition », il s'agit de l'« accord du verbe et de l'attribut avec le sujet »; ensuite ils passent à l'étude des « compléments du sujet et des verbes attributifs ». Les deux chapitres où ils les examinent contiennent, rapprochées et s'éclairant ainsi les unes les autres, des questions qu'on trouve dispersées d'ordinaire et sans lien qui les unisse : emploi de l'article, accord de l'adjectif qualificatif et syntaxe des déterminatifs, puis les divers compléments du verbe, avec leur place, leurs

rapports, depuis le régime direct jusqu'aux adverbes de négation. On voit comme tout se tient et s'enchaîne dans les « Eléments » de MM. D. et R. et avec quelle facilité, grâce à cette heureuse méthode, l'élève peut saisir les règles les plus compliquées.

A l'étude des compléments succède celle des voix, des modes et des temps; elle a été traitée avec un soin tout particulier; M. D., qui avait autrefois dans une brochure, dont la Revue critique a eu occasion de parler, consacré quelques pages pleines de vues ingénieuses aux définitions grammaticales et à l'emploi des temps, ne pouvait manquer de mettre ici la marque de son esprit philosophique et précis. Les diverses définitions, données des modes et des temps, sont à retenir pour leur simplicité et leur clarté : « L'imparfait exprime l'action comme se faisant à un moment du passé. › Le passé indéfini présente l'action verbale comme faite, achevée au moment de la parole. » On voit comme cela est simple, facile à comprendre et à retenir. On en doit dire autant de la théorie des temps du subjonctif, parfois si obscure et ici si nette et si claire.

Un sixième chapitre, consacré à la construction et aux figures de syntaxe, termine, — je ne parle pas de l'Appendice, les « Eléments » de MM. D. et R.; il forme, avec le premier chapitre de la syntaxe, un cours d'analyse logique complet, mais débarrassé des subtilités qui l'obscurcissent trop souvent. On le voit, rien d'essentiel n'est oublié dans ce livre de 143 pages, et tout y est présenté avec une méthode, une clarté d'exposition qui en assure le succès. En quatre ans, il est arrivé à sa seconde édition, on ne peut douter qu'il n'arrive bientôt à la troisième, et l'on peut ajouter que ce n'est pas seulement en Belgique, mais en France, qu'il mérite d'être consulté ou employé. Les auteurs, dans l'édition nouvelle qu'ils devront bientôt préparer, tiendront, on peut l'affirmer, à rendre leur oeuvre encore plus digne de l'accueil favorable qu'elle a déjà reçu et qui l'attend encore; ils me permettront aussi de leur soumettre quelques observations sur des points de détail de la première partie; je n'ai guère trouvé qu'à approuver et à louer dans la seconde.

P. 4, on lit, au sujet de la demi-voyelle j : « Elle est parfois représentée par y, on l'écrit j après les sons ai et oi, suivis d'une voyelle »; jamais l'i consonne ou demi-voyelle ne s'écritj en français; il est difficile aussi, du moins pour un Français, de saisir ce que MM. D. et R. ont voulu dire. Il est également inexact de dire que, dans pays, lej joint a i n'est qu'un simple i; si on prononce abbé-ie (abbaye), on ne prononce pas pé-i, mais pé-yi (pays). Est-il bien exact de dire, même page, que i ou ou, o, u, suivis d'une voyelle autre que e muet, forme une diphthongue? Dans le premier cas, au lieu de i, on a y, dans le second, au lieu de ou, o, u, on a en réalité w. Plus loin, je lis que u de cercueil, orgueil, « fait partie de la consonne composée »; s'il en était ainsi on devrait prononcer eil et non euil la syllabe finale; ue est l'ancien équi

valent de eu, cercueil est donc égal, non à cercu-eil, mais à cerc-ue-il MM. D. et R. ont eu grand raison de parler, p. 9, de l'« importance grammaticale de l'accent tonique », mais cette importance, c'est dans la dérivation dont ils ne disent rien, non dans la forme actuelle des mots, qu'on peut la constater; l'ancienne langue disait treuve (* trobo), trouvons (* trobamus), parce que l'o de* trobo est accentué et l'o de * trobamus atone; bien que l'accent tonique n'ait point changé, nous disons aujourd'hui trouve, trouvons. Il faudrait donc modifier la règle et surtout en écarter les mots savants, comme solitude, ou ceux où, comme dans vaux, la voyelle composée provient de la transformation de l. - N'aurait-il point été bon, au sujet du double genre de certains noms, d'en indiquer les causes historiques? De même à propos de la formation du pluriel, MM. D. et R. auraient pu trouver dans les notions grammaticales du Seizième siècle en France, de M. A. Darmesteter, une explication de l'emploi de x, qui fait paraître moins étrange l'usage que nous faisons de cette lettre. Ils pourront y trouver aussi de quoi modifier quelques points de leur théorie de la formation du féminin des substantifs. Il ne faudrait pas, par exemple, laisser croire que la terminaison féminine euse vient de la désinence masculine eur, ni que la forme en esse est une exception. -La conjugaison en ir a été, avec grand raison, subdivisée en deux classes; mais je ne vois pas indiqué le motif de cette division; pourquoi aussi dans le tableau des formes temporelles n'avoir pas mis en évidence l'iss, qui distingue ces deux classes de verbes : fin-iss-ons, sent-ons? Il n'eût peut-être pas été inutile non plus de faire remarquer que si, des quatre conjugaisons, les deux premières sont si nombreuses, les deux dernières si peù, c'est que les unes sont vivantes et renferment tous les dérivés français, les autres mortes et ne comprennent que des verbes tirés du latin. Du moment que MM. D. et R. écartaient de leurs « Eléments » la phonétique, il eût fallu, je crois, dans le chapitre de la composition, ne faire entrer que des dérivés français; l'élève comprendra sans peine, p. 63, comment de règle, viennent régler, réglement, réglementer, réglementation; verrat-il, s'il ne sait rien de la phonétique, le rapport qu'il y a entre roi, reine et régir, entre direct et droit, etc.? Mais en voilà assez. Le petit nombre des remarques qui précèdent ne peut que faire ressortir tout ce qu'il y a de nouveau et d'excellent dans le livre de MM. J. Delbœuf et L. Roersch, et je ne les ai faites que pour montrer le soin, je dois ajouter l'intérêt, avec lequel je l'ai lu.

Ch. J.

« VorigeDoorgaan »