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les marchés passés, les sommes payées ou reçues pour la composition, la mise en scène et la représentation de ce drame. M. Petit de Julleville, qui parle à plusieurs reprises de la pièce des Trois Doms dans la première partie de son ouvrage Histoire du théâtre en France : les mystères, n'a pas manqué de faire ressortir ce qu'il y a de neuf et de précieux dans le mémoire mis en lumière par M. Giraud, où, selon l'expression du savant professeur à la Faculté des lettres de Paris, l'histoire du mystère est retracée avec des détails que nous ne possédons sur aucun autre mystère '. Peu de temps après que M. Petit de Julleville se fut occupé de ce mémoire, le manuscrit du mystère des Trois Doms fut découvert à Romans, dans le grenier de Mme Sablières des Hayes, au milieu d'autres registres poudreux (décembre 1881). Acquis par M. Giraud, il fait actuellement partie de la belle bibliothèque qu'a héritée de son oncle M. Paul Giraud, conseiller à la cour d'appel de Lyon.

Les éditeurs, après avoir décrit (p. xIII), le ms. si heureusement retrouvé, recherchent dans quelles circonstances fut décidée et menée à bonne fin la représentation d'un mystère à Romans, quelles furent les causes déterminantes de la résolution prise à cet égard par le clergé et le peuple de la ville. Ils montrent (p. xxvii) que les Romanais, heureux d'avoir vu cesser la peste de 1505-1507 « songèrent à témoigner leur reconnaissance à Dieu et aux martyrs Séverin, Exupère et Félicien, dont ils avaient deux fois invoqué la puissante intercession. Les reliques de ces généreux confesseurs de la foi, que saint Barnard avait transférées de Vienne à l'église de Romans dès sa fondation, y reposaient enfermées dans une châsse consacrée par la vénération des fidèles; c'était donc une pensée populaire et pieuse que celle de célébrer leur martyre, et de reproduire aux yeux de tous les actes de leur vie et le tableau de leurs glorieux tourments ».

Les éditeurs racontent ensuite (p. xxvIII-XL) les incidents divers auxquels le Mystère des Trois Doms donna lieu à Romans. Ils nous présentent l'auteur de la pièce, le chanoine Siboud Pra, un des personnages considérables de la ville de Grenoble, et un autre poète dont on voulut faire son collaborateur, mais qui refusa de « besoigner avec le chanoine », ayant, il est vrai, consenti un peu plus tard à corriger l'œuvre de son confrère : c'était Claude Chevalet, natif de Vienne. La notice sur ce dernièr poète (p. xXXII-XXXVII) est fort intéressante et révèlera force particularités à ceux qui connaissent le mieux l'histoire littéraire de la première moitié du xvre siècle 2. Mentionnons, après

1. L'original du compte de la représentation a été donné par feu M. Giraud, le 14 septembre 1881, à la Bibliothèque nationale, où il est inscrit sous le n° 1261 des nouvelles acquisitions du fonds français.

2. Le nom de ce poète, lit-on (p. xxxII, note 1), « est bien Chevalet et non point Chivalet, comme l'écrivent Chorier (Hist. de Dauph. 1672, t. II, p. 536 de la n. éd.) et Guy Allard (Biblioth. du Dauph. 1680, p. 71), et après eux MM. Weiss (dans la Biogr. univ. de Michaud, 1813, t. VIII, p. 413) et Gust. Brunet (dans la Nouv.

cela, la liste des noms des acteurs tirée du ms. original du Mystère des Trois Doms, acteurs qui, au nombre de 96, appartenaient aux premières maisons de la ville et parmi lesquels figuraient un cordelier, un chanoine et l'official lui-même, c'est-à-dire l'ecclésiastique chargé des pouvoirs de l'archevêque de Vienne à Romans; la description du théâtre établi dans la cour du couvent des Cordeliers; l'énumération de ceux qui élevèrent ou décorèrent le théâtre (au nombre de ces derniers brille le peintre François Thévenot, artiste distingué sur lequel on ne savait presque rien); diverses indications sur le costume des acteurs, sur les répétitions accompagnées d'autant de collations (gâteaux appelés foyasses, fruits et vin); l'analyse du mystère laquelle ne remplit pas moins de seize pages (LIX-LXXIV), suivie d'une appréciation (p. LXXV) que nul trouvera trop sévère et que voici : « Faiblesse du plan, enchevêtrement des faits, prolixité fastidieuse, manque de goût, négligence de style, anachronismes singuliers, tout cela s'y trouve successivement ou même à la fois. L'expression surtout atteint souvent la grossièreté la plus odieuse ». Les judicieux critiques atténuent quelque peu (p. LXXVIvii) ce rigoureux jugement, mais, en définitive, comme ils le disent Biogr. génér., 1856, t. X, c. 336). Il suffisait, pour éviter cette erreur, de lire le titre même du Mystère imprimé en 1530, que nous citerons plus loin. Du Verdier et son annotateur La Monnoye (Bibl. franç. 1772, t. III, p. 314-5) ne s'y sont pas trompés, non plus que M. Petit de Julleville (ouv. cité, t. I, p. 331). » Voici une seconde note rectificative (p. xxxш): « Guy Allard, qui fait de Chevalet un gentilhomme du Viennois dont la famille porte de gueules au cheval échappé d'argent (Dict. du Dauphiné, 1864, t. I, c. 282), lui donne, ainsi que les frères Parfaict (Hist. du théâtre franç., 1745, t. II, p. 259) et M. Rochas (Biog. du Dauph. 1856, t. I, p. 234) le prénom d'Antoine; Chalvet, dans sa nouvelle édition de G. Allard (Bibl. du Dauph. 1797, p. 113), celui de Claude. C'est à ce dernier qu'il faut s'arrêter, car les registres de la ville de Valence l'appellent à trois reprises Claudius, Claudus : seulement le nom y est toujours précédé de la qualité fort peu aristocratique de mestre. Quant à sa noblesse et à ses armes, rien n'est moins certain; nous n'avons à ce sujet que le témoignage de Guy Allard (reproduit sans autre preuve par M. de la Batie dans son Armorial de Dauph. 1867, p. 151) et cet auteur, en général peu exact et peu scrupuleux, est ici d'autant plus suspect que Chorier, qui entre au sujet de la famille Chivallet dans des développements étendus (Estat polit., 1671, t. III, p. 186-7), ne parle nullement de l'auteur de Sainct-Christophe, dont il était cependant le compatriote... » Voir, sur la vie de Sainct-Christofle, une très bonne note bibliographique (p. xxxv).

1. « Gardons-nous d'ailleurs d'outrer le mal. S'il y a beaucoup à redire dans le Mystère des Trois Doms, si trop de scènes sont parsemées de mots de la rue, il est bon d'observer que c'est là le fait presque exclusif des personnages subalternes. Tout à côté et ceux qui ont écrit sur les mystères ont peut-être trop glissé sur cette observation on rencontre des formules d'exquise politesse, qui touchent même parfois à l'obséquiosité... Au point de vue littéraire, l'œuvre du chanoine Pra offre quelques passages qui tranchent avec bonheur sur le fond languissant et monotone du drame. On n'y trouve pas de scène irréprochable, mais il en est qui sont heureuses par certains côtés. Tel qu'il est, avec les défaillances, les longueurs et la pauvreté de style qui le caractérisent, cet ouvrage a dû atteindre son but, qui était d'arracher pour un moment toute une foule au prosaïsme de la vie vulgaire et de la mettre dans un contact plus intime avec les saints qu'elle aimait. »

avec une douce ironie, le Mystère des Trois Doms ne prendra pas place parmi les chefs-d'œuvre de l'esprit humain.

Dans le reste de l'Introduction, on trouvera le relevé de la recette des trois journées de représentation, appuyé sur des chiffres officiels (P, LXXX-LXXXVI), une étude développée sur les trois martyrs Séverin, Exupère et Félicien (p. LXXXVII-CIV), enfin un substantiel résumé des nombreux documents réunis à la suite du mystère et qui remplissent le dernier tiers du volume. De ces documents publiés, comme le mystère lui-même, avec toute l'exactitude que l'on pouvait attendre de deux paléographes renommés, ont été tirées de curieuses indications. sur les représentations théâtrales en Dauphiné depuis le milieu du XIVe siècle jusqu'au milieu du xvi° 2. Tous les papiers des archives municipales de Die, de Grenoble, de Montélimar, de Nyons, de Romans, de Valence, de Vienne, ont été vaillamment consultés. M. l'abbé Chevalier, rappelant (p. cxIx, note 1) qu'abondance de biens ne nuit. pas, n'a pas hésité à joindre aux trouvailles des deux éditeurs sur les mystères, ses propres trouvailles sur les entrées de divers princes ou gouverneurs, entrées qui, selon son expression (p. cxvi) « sont pour l'historien une mine incomparable et presque inexplorée en Dauphiné. » De cette mine, il a tiré mille particularités, telles que celles-ci présents portés au gouverneur Guillan de Vergy, torches et draps d'or fournis pour la sépulture de ce personnage; dons au gouverneur Raoul de Louppy et à sa femme Marie de Conflans; dépense pour le séjour à Romans (15 mai 1363) du roi de France, Jean II le Bon; dons à Louis d'Anjou, frère de Charles V (18 décembre 1364); itinéraire de l'empereur Charles IV se rendant auprès du pape Urbain V (avril-juin 1365) 3; l'itinéraire de l'empereur Sigismond en 1415-16 (p. cxxx-cxxxv1), l'organisation par le chanoine Pra, en

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1. Le produit total fut d'un peu plus de 680 florins fournis par près de 14,000 spectateurs. La dépense fut beaucoup plus considérale que la recette et ne s'élèva pas à moins de 1737 florins. Les éditeurs (p. LXXXIV) évaluent le florin de 1509 à 12 fr. 73 c. ce qui représente une dépense de 22,120 fr. 87 c.

2. << Dans l'espace d'un peu moins de deux siècles, disent les éditeurs (p. CXLV), nous avons constaté la représentation de 35 mystères ou autres compositions dramatiques et d'un nombre supérieur d'histoires, farces, etc., lors des entrées de personnages importants. >>

3. C'est à l'aide de documents locaux qu'a été établi (p. cxx-cxXxIV) l'itinéraire de ce prince fort incomplet pour cette période dans les Regestes de J. J. Boehmer. M. l'abbé C., qui ne se refuse pas le plaisir délicat des rapprochements littéraires, cite (p. cxxiv, note 4), au sujet de la messe pontificale à laquelle Charles IV assista, le 1 juin à Avignon, la phrase d'un chroniqueur sur ces duo mundi capita, et il ajoute :

< Ces deux moitiés de Dieu, le Pape et l'Empereur, aurait traduit Victor Hugo (Hernani) ».

4. M. l'abbé C. fait observer (p. cxxix, note 5) que Sigismond n'a pas encore été l'objet d'un de ces volumes de Regesta, « dans la rédaction desquels les Allemands excellent et qui rendent tant de services à l'histoire spéciale et à la chronologie » mais que divers documents locaux, dont plusieurs voient ici le jour pour la première

juin 1515 de l'entrée du roi François Ier dans Grenoble (p. cxLIII), achat d'habits aux enfants de la ville de Romans (août 1528) pour jouer aulcunes chozes et farces pour faire honneur au grand maître de Rhodes (p. cxLv), trois histoires (représentations figurées) à l'entrée à Vienne (31 octobre 1529) de l'archevêque Pierre Palmier, composées par Bermond du Mas, écrivain et fatiste de Lyon, etc.

L'Introduction qui, comme on le voit, est à elle seule tout un grand ouvrage, se termine par un chaleureux hommage rendu à la mémoire du principal auteur du volume, P. E. Giraud, mort le 30 septembre 1883 << plein de jours et de bonnes œuvres ». M. l'abbé Chevalier a mis un soin pieux à achever l'édition entreprise par son maître vénéré, et tous les érudits lui sauront gré d'avoir enrichi le volume de tant de documents et de notes' qui apportent un si précieux contingent à l'étude générale de la littérature dramatique.

T. DE L.

180.

– Le Cid, Horace, Cinna, Nicomède, par P. CORNEILLE. Tragédies publiées conformément au texte des Grands Ecrivains de la France, avec notices, analyse et notes philologiques et littéraires, par L. PETIT DE JULLEVILLE, professeur adjoint à la Faculté des lettres de Paris. Paris, librairie Hachette.

Ces quatre petits volumes, dont le format est à la fois si commode et si élégant, dont l'impression est si nette, font honneur au goût de la Librairie Hachette. Le texte, conforme à celui de la belle édition des Grands classiques français, est éclairé de notes nombreuses qui facilitent aux élèves l'intelligence du vieux poète rouennais. La langue de Corneille est si différente de celle que l'on écrit aujourd'hui, de celle même que l'on parlait à la fin du grand siècle, que pour la bien comprendre, les notes philologiques, les explications grammaticales sont tout à fait indispensables. Il faut féliciter M. de Julleville de s'être attaché surtout à expliquer nettement les passages obscurs, les locutions

fois, lui ont permis de préciser avec exactitude l'itinéraire de ce prince, lequel itinéraire est écrasant pour l'assertion de certains écrivains, tels que Wurth-Paquet, qui font faire à Sigismond un voyage à Paris en mai 1415.

1. En dehors des notes relatives aux représentations théâtrales, il convient de signaler quelques autres notes biographiques qui, presque toutes, renferment quelque renseignement nouveau, par exemple, les notes sur Aymar de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, grand sénéchal de Provence (p. 656); sur Antoine d'Alpinac, évêque d'Aire (p. 657); sur Laurent er Alleman, évêque de Grenoble, d'Orange et, de nouveau, de Grenoble (p. 667); sur Jacques Gélu, archevêque de Tours (p. 689); sur Louis de Villars, évêque de Valence et de Die (p. 719); sur Jacques de Montmaur, gouverneur du Dauphiné (p. 726-727); sur Charles VII et Charles VIII en Dauphiné (p. 755 et p. 787); sur Zizim, frère du sultan Bajazet (p. 785), sur le roi René en Dauphiné (p. 842). Ajoutons que M. l'abbé Chevalier a, de plus, eu le mérite de rédiger l'Index onomastique (p. 915-925) où les philologues trouveront quelques mots qui manquent au Glossaire de Du Cange et autres célèbres recueils.

vieillies, les mots tombés en désuétude, sans que pour cela il se soit interdit les remarques littéraires, les comparaisons avec les auteurs que Corneille a traduits ou imités, les rapprochements avec ses prédécesseurs ou ses contemporains. Les Préfaces, les Dédicaces, les Examens, les Avertissements précèdent le texte « publié du vivant de l'auteur et avoué par lui; » on n'a pas négligé d'y joindre les variantes qui montrent aux yeux comment le grand poète savait se corriger, et parfois même céder trop humblement aux observations d'une critique étroite et mesquine. Ainsi l'Académie avec Scudéry ayant critiqué l'emploi du mot « funérailles » dans ce passage:

Je l'ai vu tout sanglant, au milieu des batailles,

Se faire un beau rempart de mille funérailles.

Il le remplaça par deux autres vers qui sont loin, à mon avis, de présenter une image aussi fière, aussi romantique, dirait M. Deschanel, qui voit partout du romantique, même dans les Maximes de Larochefoucauld. Il avait dit encore dans le Cid :

Au milieu de l'Afrique arborer ses lauriers.

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Mais l'Académie, d'accord avec Scudéry et Ménage, ayant prononcé qu'on ne pouvait pas dire arborer un arbre, le bonhomme Corneille, qui ne pouvait pas comme l'un de ses héros lutter contre trois, supprima cette poétique expression. Heureusement qu'il n'écouta point tous les censeurs, car ses plus belles pièces auraient fondu, comme disait la Bruyère, au milieu de la critique. « Offenseur n'est point français », lui criait Scudéry. Cette ardeur que dans les yeux je porte, sais-tu que c'est son sang? « Une ardeur ne peut être appelée sang par métaphore ni autrement », disait l'Académie. Un siècle ne s'était pas écoulé que Voltaire comprend encore moins cette langue énergique, puissante, dont le fond était tout latin, à tel point que dans les tournures, les locutions les plus usitées au xvie siècle et du temps de Corneille, il ne voit que des barbarismes et des solécismes. On peut être en prose un écrivain de premier ordre, alerte, élégant, limpide, et n'entendre rien ou peu de chose aux mâles et fières beautés de la poésie cornélienne. Voltaire en est une preuve éclatante. Singulière théorie, du reste, que celle qui pose comme un axiôme que « les vers pour être bons doivent avoir l'exactitude de la prose; que pour juger si des vers sont mauvais, il faut les mettre en prose, et que si cette prose est incorrecte, les vers le sont aussi. » Pour bien apprécier notre grand tragique, l'auteur de quelques centaines de vers les plus prodigieux qu'ait entendus le monde poétique, il fallait se faire son contemporain par la pensée, connaître à fond la langue du xvIe siècle, et se rappeler aussi, comme on l'a dit fort justement que « ce génie hardi et quelquefois inégal était fait pour

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1. Dans son Lexique de Corneille, M. Godefroy donne de ce mot un exemple du xvIe siècle, et M. de Julleville en indique un autre emploi par Robert Garnier. Il est plus ancien, car je l'ai trouvé employé deux fois au xve siècle. On rencontre aussi l'adj. invaincu au xve siècle, ce qui n'a pas été, je crois, remarqué.

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