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mais l'ours est rare, et la comtesse n'en goûte qu'en Bourgogne. En général, la cuisine est très épicée, et les repas de gala sont plantureux et interminables. Ainsi, au banquet donné par la comtesse en l'honneur de Thierry d'Hireçon, récemment promu à l'évêché d'Arras, on mangea 5 bœufs, 8 veaux, 2 porcs, 52 pourceaux de lait, 50 moutons, 8 lapereaux, 900 poulailles, 250 oisons, sans compter les hors-d'oeuvre, les poissons, les pâtés et les tourtes; on but avec cela cinq tonneaux et demi de vin. Dans ce repas gargantuesque, il n'est pas étonnant que quelques centaines de pots, hanaps et verres aient été brisés par les convives « émoustillés ». On ne serait pas surpris qu'après de telles ripailles les braves Artésiens eussent eu besoin de recourir aux trois remèdes préconisés par Thomas Diafoirus, les seuls du reste que connussent et employassent les médecins au xive siècle (voir le chap. xi, les Médecins et les Médicaments). Au milieu des fêtes et des embarras politiques, la comtesse n'oubliait pas les pauvres les hôpitaux et les maladreries dont le comté d'Artois était couvert, avaient tous part à ses largesses; elle envoyait souvent aux malheureux «< des pois, des pains et du fu pour cauffer »>, des vêtements, des souliers, des lits « blans et biaus pour herbergier toute maniere de povres ». Sa générosité s'étendait plus loin encore : elle ne néglige pas les hôpitaux de Paris et de Bourgogne, auxquels elle ne cesse point d'envoyer des secours soit en argent, soit en nature. Remarquez que les comptes sont là, et que personne ne peut mettre en doute cette bienfaisante prodigalité.

Cette princesse qui s'intéressait si vivement aux choses de l'esprit, aux ménestrels, aux enlumineurs, aux écrivains, avait aussi du goût pour les belles pièces d'orfèvrerie, pour les splendides constructions, pour la peinture, pour les œuvres de ferronnerie et les boiseries entaillées. Elle fait surtout travailler les orfèvres parisiens à l'un elle commande des chapeaux d'orfèvrerie, semées de perles; à l'autre des couteaux à manche d'argent émaillés d'or, des bassins, des plats, des encensoirs, des nefs d'or ou de vermeil avec émaux ; à celui-ci un calice x; de vermeil, à celui-là une couronne, « un treçoir », une ceinture. Les comptes donnent les noms des artistes et le prix de leurs œuvres, ce qui double l'intérêt. A Hesdin, à Bapaume, elle fait élever de superbes châteaux; ailleurs elle se contente de réparer et d'embellir. Elle emploie les imagiers et les « tailleurs au coultel » pour faire des autels, des statuettes, des tombeaux; « un banc entaillé à . bestelettes as bous >> lui coûte dix livres parisis, prix très élevé pour ce temps là. Elle occupe à l'année et tient à ses gages des peintres pour décorer les châteaux de Lens, Rihoult, Hesdin, Conflans. Au château de Hesdin, entre autres peintures curieuses, il y avait une salle « où était figurée la chanson de Robin et Marion, popularisée par le trouvère Adam de la Halle. » — Je crois en avoir assez dit pour montrer combien la comtesse Mahaut est une figure historique intéressante: mais pour bien la voir avec son

cortège magnifique d'orfèvres, de ménestrels, de verriers, d'imagiers, de peintres et d'enlumineurs, il faut lire l'ouvrage de M. J. Richard.

A. DELBOULLE.

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145. De historiarum cognitione quid senserit Joannes Bodinus. Thesim proponebat Parisiensi litterarum facultati A. JACQUET, olim scholæ normalis alumnus, Gallicæ universitati agregatus. Paris, Garnier frères, sans date (1886), grand in-8 de vi-109 p.

M. A. Jacquet constate (Prooemium, p. v) qu'ils sont bien rares ceux qui ont lu tous les ouvrages de Jean Bodin; il s'empresse d'ajouter que l'on ne doit pas s'en étonner, car cet auteur a très souvent mêlé le faux et le vrai, et ne s'est pas contenté de sommeiller (dormitare) quelquefois, mais est allé jusqu'à déraisonner complètement (delirare). M. J. passe rapidement en revue les œuvres principales de Bodin, son De Republica, où il se montre l'émule d'Aristote et de Platon et le maître de Montesquieu, son Amphitreatrum naturæ, rempli de divagations et où il attaque ridiculement les théories de Copernic et de Galilée, sa Démonomanie, où il est honteusement superstitieux, son Heptaplomeres, où il affiche, au contraire, le plus hardi scepticisme et se déclare ennemi de toute religion. Le critique regrette qu'on ne se soit pas plus occupé jusqu'ici d'un des meilleurs ouvrages de Bodin, sa Méthode pour étudier l'histoire (1566). Il s'est proposé de faire connaître le mieux qu'il lui sera possible (quantum in me erit) ce livre si recommandable (dignissimus liber). Il ne consacre pas moins de douze chapitres à retracer, d'abord, la vie de Bodin avant la publication de la Méthode, à rechercher, ensuite, quels furent ses précurseurs, ce qu'il pense de l'histoire en général, de la philosophie de l'histoire en particulier, quels sont les défauts du livre, quels jugements en ont porté les principaux critiques, etc. Cette étude sur Bodin et autour de Bodin est fort intéressante. M. J., dont les lectures ont été très vastes et très variées, y multiplie les curieuses citations, tantôt remontant jusqu'à l'antiquité, tantôt descendant jusqu'à l'époque où nous sommes '. Nous voyons défiler tour à tour devant nous Etienne Pasquier, François Hotman, François Baudouin, Sigonio, Robertello, Nicolas de Grouchy, Paul Manuce, Wolgang Lazius, Guillaume Budé, Goltzius, Laurent Valla,

1. M. J. cite même (p. 4) un livre aussi récent que la Question du latin de M. R. Frary. A propos du latin, n'omettons pas de dire que M. J. l'écrit avec clarté et élégance.

2. Son presque homonyme, Th. Lansius, l'auteur des Consultationes de principatu inter populos Europæ, a fait de nombreux et indiscrets emprunts à Bodin, et pour lui témoigner sa reconnaissance, il l'appelle vaurien (nebulo), il l'accuse de vomir des charretées de mensonges (mendaciorum plaustra evomentem), il le compare à un âne... Mais ici je laisse la parole à M. J. (p. 105): « Dixerat Bodinus in

Erasme, Machiavel, Claude de Seyssel, Beatus Rhenanus, Schardius, Guichardin, dont l'histoire est comblée d'éloges par Bodin (quam effusius laudat), Paul Jove, Nicolas Gilles, Paul Emile, Guillaume du Bellay, Du Haillan, qui avait promis plus qu'il n'a tenu et auquel est appliqué le vers cruellement ironique d'Horace :

Quid dignum tanto feret hic promissor hiatu?

Sleidan, plus louable s'il avait pu écrire sans passion (sine ira et studio), Fr. Patrizzi, Christophe Milieu, Jean Jove Pontan, David Chytræus, Foglietta, Cornelius Agrippa, Pierre Bembo, le jésuite Possevin, Jean Funck, Mélanchton, dont la Chronique a été publiée sous le nom de Jean Carion, Ph. de Commynes, etc., sans compter la plupart des historiens de l'antiquité.

Chacun, adoptant les conclusions du judicieux critique, reconnaîtra avec lui dans l'ouvrage examiné de grandes qualités et de grands défauts, mélange auquel il applique les trois mots célèbres: nova, pulchra, falsa, et auquel il applique avec non moins de justesse le demivers de Virgile: Commixtis igne tenebris.

Je n'ai que deux regrets à exprimer : pourquoi M. Jacquet, au sujet de la vie de Bodin, n'a-t-il pas consulté le curieux et excellent article de M. C. Port dans le Dictionnaire historique de Maine-et-Loire? Et pourquoi n'a-t-il pas consulté, au sujet de l'appréciation du Methodus, le Cours d'études historiques de Daunou (t. VII, p. 51-53) ? '.

T. DE L.

146.
Les grands écrivains de la France.... Œuvres de Blaise Pascal.
Nouvelle édition d'après les manuscrits autographes, les copies authentiques et
les éditions originales, par M. Prosper FAUGERE. Tome premier. Paris, Hachette,
1886, clxiv-435 pages.

Les admirateurs de Pascal auraient mauvaise grâce à taxer d'indifférence le public de nos jours; de tous les auteurs du xvir siècle, aucun, sauf peut-être Molière, dont les œuvres soient plus souvent réimprimées et plus passionnément étudiées. Ces dernières années, les manuscrits autographes de Pascal ont été revus à plusieurs reprises, et pour ne parler que des Provinciales, sans remonter plus haut que l'antota fere Gallia, præsertim in agris Andium, robustissimos esse asinos; subjicit facete Lansius:

Dum laudas asinos patriæ, Bodine, quid ervas ?
Ignotumne tibi, гváli ciaurov, erat?

Agnosco Germanorum urbanitatem... »

1. Daunou, après avoir analysé dans ces trois pages le livre de Bodin, qu'il juge presque aussi sévèrement que Joseph Scaliger et La Monnoye, examine successivement les opinions du polygraphe angevin sur Diodore de Sicile (t. XII, p. 370), sur Denys d'Halicarnasse (t. XIII, p. 631), sur Tite-Live (t. XX, p. 229, 245).

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née 1851, on pourrait compter au moins trois éditions critiques de cet ouvrage. La première en date, celle de M. l'abbé Maynard 1, rend encore aujourd'hui de réels services, et les notes théologiques de l'éditeur méri tent d'être consultées; on doit seulement regretter l'acrimonie qui parfois les dépare, on y sent trop le désir de réfuter Pascal. Le travail de M. de Soyres, publié en Angleterre, est également fort intéressant, et les notes sont dignes de l'attention des éditeurs français. Enfin, le travail de M. E. Havet n'est pas inférieur à celui du même savant sur les Pensées, c'est dire que l'apparition de cette édition a été un véritable évènement littéraire.

L'édition complète des œuvres de Pascal, entreprise par M. Faugère, suit donc des travaux considérables sur ce grand écrivain; admise à figurer dans une collection justement célèbre en France et à l'étranger, elle doit résumer tout ce qu'on sait aujourd'hui de la vie et des œuvres du grand penseur. Répond-elle à l'attente du public lettré? C'est ce que nous allons examiner.

Pour commencer, une remarque matérielle; si l'on en croit le titre du premier volume, le travail de M. F. appartient à la collection fondée et longtemps dirigée par feu. Ad. Régnier; mais pour le reste, disposition des notes, choix des caractères, il diffère absolument des autres volumes de la collection; comment expliquer cette anomalie?

Le premier tome renferme une copieuse introduction bibliographique, et le texte des douze premières Lettres provinciales. Ce qui frappe tout d'abord en parcourant le volume, c'est la brièveté des notes, leur disposition singulière, (le texte original des auteurs cités par Pascal est placé à la suite de chaque lettre), enfin le parti pris chez l'éditeur de ne citer aucun des travaux parus avant le sien. On peut ne pas adopter toutes les idées exprimées par M. Havet dans sa magistrale introduction, on peut le trouver trop sévère pour les casuistes, mais ne point le citer, passer tous ses travaux sous silence, est un procédé peu critique et encore plus dangereux. Le silence de M. F. ne saurait empêcher les amis de Pascal de consulter l'édition de son prédécesseur. Pour se montrer aussi dédaigneux du travail d'autrui, il faut vraiment être bien sûr de soi, disposer de ressources nouvelles, inconnues à ses devanciers, de documents jusqu'à ce jour inexplorés. Est-ce le cas de M. F.? Question délicate, que l'examen du texte adopté par lui va nous permettre de résoudre.

Un dieu malin, semble-t-il, a réglé le sort des œuvres de Pascal. Des Pensées, nous possédons le manuscrit autographe, mais dans un désordre incroyable; des petits écrits scientifiques, il ne subsiste plus que des éditions informes, souvent peu correctes, enfin pour les Provin

1. Paris, Didot, 2 vol. 8°.

2. The Provincial Letters of Pascal, Cambridge, 1880, 8o.

3. Paris, Delagrave, 1885, 2 vol. 8°.

ciales, l'éditeur moderne est obligé de choisir entre trois éditions différentes. Ce sont l'édition originale, in-4°, dans laquelle chaque lettre a sa pagination particulière, la petite édition in-18° de 1657, dite le faux Elzévir, enfin l'édition in-8° de 1659, en deux volumes. Le texte de chacune de ces trois éditions diffère sensiblement. Citons encore la traduction latine, publiée par Nicole sous le pseudonyme de Wendrock, traduction qui renferme des leçons dignes d'attention.

Si l'on s'en tenait aux règles ordinaires suivies par les éditeurs modernes, l'édition de 1659, dernière parue du vivant de Pascal, serait la meilleure, la seule à suivre; M. l'abbé Maynard a adopté ce parti en 1851. Des recherches plus récentes, notamment celles de M. Lesieur (1867), ont démontré au contraire que cette édition n'avait aucune valeur; les variantes qu'elle nous fournit ne sauraient être toutes attribuées à Pascal; quelques-unes sont peut-être de lui, mais leur examen minutieux prouve sans réplique qu'on ne saurait distinguer les corrections, les modifications dues à l'auteur de celles que lui imposèrent soit le purisme littéraire, soit les scrupules religieux de ses amis.

Un éditeur de Pascal doit donc aujourd'hui s'en tenir à l'édition origi nale; cette obligation avait été dès longtemps reconnue par M. Basse, le collectionneur bien connu, qui avait fait du texte des Provinciales une étude approfondie. M. Havet n'a eu garde de méconnaître cette nécessité, et c'est le texte primitif qu'il a donné dans son édition, rejetant en notes les leçons des éditions de 1657 et de 1659.

M. F. a adopté un système tout différent. Après avoir démontré péremptoirement que l'édition de 1659 n'est d'aucune autorité, il nous raconte (p. cix) qu'il hésitait entre cette même édition et l'édition princeps, quand une découverte inattendue le décida à ne suivre ni l'un ni l'autre. La riche bibliothèque de M. de Saint-Albin, vendue en 1850, renfermait une copie manuscrite des Provinciales, dont M. F. se rendit acquéreur. La garde de cette copie portait la note suivante: «Manuscrit du grand Pascal. - Ce manuscrit est celui que l'auteur a refait pour la dernière édition de ses immortelles Provinciales. » Cette note, M. F. le reconnut de suite, renfermait une erreur matérielle; le manuscrit n'était pas de la main de Pascal. C'est pourtant cette copie qu'il a suivie dans son édition. Voyons ses raisons.

M. de Saint-Albin, dit-il, (p. cxv), n'a pu inventer cette assertion; il l'a énoncée d'après un témoignage maintenant ignoré, mais qui lui avait paru digne de confiance. A ce compte, il faudrait tenir pour paroles d'évangile tout ce que les collectionneurs écrivent en tête de leurs livres, et les étiquettes mises par eux au bas de leurs tableaux. En affirmant que cette copie était de la main de Pascal, M. de Saint-Albin prouvait qu'il n'avait jamais vu l'écriture de cet écrivain; cette remarque suffit pour faire écarter son témoignage.

Seconde supposition de M. Faugère. Nicole parle quelque part des scrupules d'écrivain de Pascal, du soin avec lequel il pesait chaque mot,

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