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sa vie s'en aller et, comme Mozart écrivant son Requiem, rendit l'âme avec la dernière touche. Ni Kanaoka ni les siens, pour être Japonais, ne sont et ne prétendent s'être affranchis de la tradition chinoise: Kanaoka, nourri dans le culte des artistes chinois de la dynastie des Tang, adopte leurs enseignements, et c'est le représentant éminent d'un art ancien et étranger, non le créateur d'un nouvel art national.

A la fin du xive siècle commence la troisième et dernière période de l'art bouddhique avec le moine Chô Densu, le Fra Angelico du Japon: cette période dure encore, mais l'art bouddhique touche à sa fin; la révolution l'a tué. Chô Densu s'est fait sa place, par sa puissance à individualiser ses personnages, en particulier les cinq cents Arhats, et à rendre toutes les nuances du caractère apostolique, depuis l'énergie intense du promulgateur jusqu'à l'immobilité et la contemplation abstraite du philosophe prêt à s'absorber dans le Nirvana. >> Le caractère distinctif de l'art bouddhique, par opposition à l'art séculier, c'est que, tandis que celui-ci, s'adressant à des lettrés, vise surtout à la dextérité calligraphique 1, l'autre, qui s'adresse à la foule, vise à l'effet décoratif et à la sensation : il enlumine, il prodigue l'or et la couleur ; parfois l'or est seul employé. Les motifs sont formés par la légende de Bouddha; mais certains éléments chinois et même japonais, étrangers au fonds indien, sont entrés dans le cercle de l'artiste bouddhiste. Ses sujets favoris sont, outre Sakyamuni, Amitâbha et la déesse chinoise adoptée par le Bouddhisme chinois, Kwanyin (v. s.); les seize Rakan ou Arhant dont les noms sanscrits ont été restitués avec plus ou moins de certitude par M. Buniyu Nanjio; les Sennin (hommes de la montagne ou ermites), qui sont les Rishis de l'Inde, mais renforcés en nombre de génies purement taoistes; le Dragon, forme chinoise du Nága; le Tigre, qui semble jouer le rôle du Sinha dans l'Inde; enfin et surtout les sept dieux de la Bonne Fortune, septade étrange et grotesque, répondant assez au Dieu des bonnes gens et traitée familièrement par ses adorateurs. La réunion des sept divinités est relativement moderne, quoique les individus eux-mêmes soient anciens et aient des origines très diverses; les uns d'origine chinoise et taoiste (Fuku-roku-jiu, vieillard à petite tête, représentant la longue vie et qui peut-être n'est autre que Lao-tse en personne; Ho-tei, protecteur de l'enfance; Ju-rô, doublet de Fuku-roku-jiu); un d'origine shintoiste (le pêcheur Ebisu, le fils aîné et infirme du couple créateur); les autres d'origine indienne : Bishamon, dieu de la guerre et de la fortune, le Vaiçravana bouddhique; Daikoku, dieu des cinq céréales, représenté par le rat et le ballot de riz et qui semble répondre à Ganeça; Benten, déesse de l'éloquence et de la mer, la Sarasvatî indienne. On les représente tous les

1. Les critiques d'art chinois ramènent à dix traits calligraphiques toutes les formes de la figure humaine. Les Persans ont également posé en principe l'identité de la calligraphie et du dessin; un grand calligraphe vaut pour eux un grand peintre. «Nos calligraphes, me disait un Persan très instruit, sont nos Raphael. »

sept sur un bateau naviguant sur la mer de la fortune; le bateau ne touche le port que dans la nuit du nouvel-an.

Nous pouvons passer rapidement sur les autres écoles, aussi importantes au point de vue du japonisme pur, mais d'un intérêt moins direct pour l'orientalisme. Ce sont l'Ecole du Yamato ou Ecole nationale (fondée au commencement du x1 siècle; appelée école de Tosa au xe), nationale par les sujets plus que par le traitement qui est chinois; ils illustrent surtout la légende et la tradition populaire, d'origine japonaise ou chinoise, historique ou fabuleuse, et les cérémonies de cour 1. Au xv° siècle, renaissance chinoise; ou pour parler plus exactement, car l'art du Japon n'avait point cessé d'être chinois, mise à point de l'art japonais, qui n'a point suivi le progrès des écoles chinoises et en est resté à la tradition de l'art des Tang (vie-xe s.); or, dans l'intervalle sont venus l'art des Sung (x-x11e) et l'art des Yuen (xie s.). Un prêtre de Kioto, Jô-setsu, au courant de ces mouvements, fonde la nouvelle école chinoise, illustrée par ses trois élèves Shiûbun, Sesshiû et Kano. Au milieu du siècle dernier, l'école chinoise, ou Kara-ye, se divise : le style des Ming (xive s.), haut de couleur, à l'opposé du style des Sung et des Yuen, qui est tout de dessin et de calligraphie, vient faire une concur. rence désastreuse à l'art austère de l'ancienne école. L'école chinoise du Japon emprunte à la Chine, non seulement son style, mais ses motifs, et elle puise presque toutes ses inspirations historiques, légendaires et religieuses, à la littérature et à l'art des Sung et des Yuen. Son paysage même est le paysage chinois, non le paysage japonais la nature qu'il reproduit est à l'étranger. Au XVIe siècle paraît l'école populaire et réaliste, qui prend ses motifs, non plus dans la religion, ni dans les cérémonies de cour, ni dans la légende chinoise ou japonaise, mais dans la vie réelle c'est l'école qui domine à présent, c'est par elle que l'Europe a appris d'abord à connaître l'art japonais c'est jusqu'à un certain point l'art japonais proprement dit; car jusque là il n'y a eu qu'un art chinois du Japon.

Nous ne pouvons mieux terminer ce compte-rendu qu'en reproduisant les pages suivantes de M. Anderson, qui montrent l'heureux accord d'esprit historique et de goût artistique qui fait le caractère de sa recherche et qui placent les deux arts dans leur relation véritable (History, p. 261): << Il n'y a peut-être pas d'art qui ait été plus mal compris en Europe que la peinture chinoise. Pour nous, le peintre chinois, présent ou passé, n'est qu'un copiste qui imite exactement, laborieusement et sans discernement, tout ce qui est placé devant lui, se délecte à étaler des couleurs aussi nombreuses et aussi variées que le permettent le sujet et ses honoraires, et n'est original que dans la création des monstruosités. Nulle impression ne saurait être plus contraire au fait, si nous laissons hors de considération le travail fait pour le marché étranger, que tout 1. M. A. donne les légendes le plus souvent traitées; noter en particulier l'histoire de la perle de Mugé Hô-jiu (p. 103) qui est le Plongeur de Schiller.

Chinois éclairé renierait. Les vieux maîtres de l'Empire du Milieu unissaient la grandeur de conception à un immense talent d'exécution, s'inquiétaient peu de l'élaboration des détails et, sauf dans les peintures bouddhiques, cherchaient leurs meilleurs effets dans la simplicité du blanc et du noir ou dans les harmonies chromatiques les plus effacées. Leur art était imparfait, mais pas plus que celui de l'Europe jusqu'à la fin du XIe siècle 1... Jusqu'à la fin de l'Empire du Sud, en 1279, les Chinois étaient à la tête du monde dans la peinture, comme dans beaucoup d'autres domaines, et leurs rivaux les plus proches étaient leurs élèves, les Japonais.

«La culture japonaise a ajouté à l'art original plus d'un élément de poésie et de grâce; dans l'école de Shijô elle a ajouté quelque chose en fait de vérité; les écoles de Yamato (nationale) et Ukio (populaire) en particulier ont apporté dans le motif des traits nouveaux sans nombre. Mais pour la force, la palme reste toujours à la Chine et elle peut revendiquer comme siens tous les principes artistiques qui ont guidé la brosse de Kanaoka, Meichô et Motonobu. Il est souvent difficile à tout autre qu'à un expert de distinguer de la peinture chinoise l'œuvre des premiers maîtres de l'école chinoise du Japon et plus d'un dessin qui orne la porcelaine et le laque moderne du Japon peut se suivre ligne pour ligne jusqu'à l'original chinois d'il y a huit ou neuf siècles. L'artiste japonais ne refuse pas son tribut à ses voisins du continent; il a reconnu le génie des vieux maîtres de la Chine en langage gracieux, aussi bien que par la flatterie plus substantielle de son imitation, et le but de son ambition autrefois était de mériter d'être comparé à des hommes tels que Muhki et Ngan Hurie 3. Mais dans les cent dernières années, tandis que les Chinois se sont reposés sur les chefs-d'œuvres de leurs ancêtres, l'énergie de leurs anciens élèves a présenté le Japon devant le monde comme le représentant de ce qu'il y a de plus beau dans l'art de la grande race touranienne. »

J. D.

1. C'était aussi l'opinion de leurs artistiques voisins, les Persans, à la même épo¬ que (voir Revue critique, 1. c.).

2. « La peinture japonaise est l'avatar d'un art à présent éteint, l'art de la Chine ancienne et jusque tout récemment elle a conservé intactes presque toutes les caractéristiques qui distinguaient son précurseur de l'art plus scientifiquement construit de l'Europe moderne » (p. 183).

3. On regarde au Japon comme un des plus grands hommages rendus à l'art japonais la commande donnée à Sesshiû (xv' siècle) par un empereur de Chine d'une peinture à exécuter sur un des murs du palais impérial (Catalogue, 264).

265.

Fréd. PLESSIS. Etudes critiques sur Properce et ses élégies, avec le fac-simile de six feuillets du Neapolitanus; Hachette, Paris, 1884, in-8; I-XVI; 327 p.

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Propertiana; Extrait du Bulletin de la Faculté des Lettres de Poitiers; Paris, Leroux, 1886; in-8, 16 p.

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On avait vu paraître dans ces dernières années plusieurs thèses de doctorat traitant des élégiaques latins. On pouvait donc prévoir que la Sorbonne recevrait et au besoin provoquerait une thèse sur Properce. Le livre de M. Plessis était en quelque sorte attendu; il est tout à fait le bien-venu. Il faut savoir beaucoup de gré à l'auteur d'une telle entreprise. Les difficultés y sont telles qu'on serait plutôt tenté de les exagérer que de les méconnaître. Properce est certainement de tous les auteurs latins l'un des plus malaisés non pas même à approfondir, mais simplement à saisir et à bien comprendre. Aux obscurités que le poète a pu volontairement ne pas éviter sont venues se joindre des altérations peut-être légères à l'origine, mais bien vite aggravées, et que le défaut d'une bonne source a rendues pour nous parfois irréductibles. Peu s'en est fallu que Properce ne devint ainsi un auteur mort dans une langue morte. Scaliger et Lachmann, qui ailleurs portent si souvent avec eux la lumière, ont paru ici obscurcir et compliquer comme à plaisir les questions de critique, de division et d'interpolation des poèmes. Depuis, de nombreux savants ont travaillé à la même œuvre; les éditions, les articles, surtout les « programmes se sont suivis sans qu'on ait avancé beaucoup, et nous n'avons encore sur Properce rien qui paraisse définitif.

Dans ces conditions, il y avait bien quelque témérité à entreprendre une étude générale d'un tel auteur, étude à la fois scientifique, car il fallait un fonds solide pour asseoir le reste, et aussi littéraire; car que deviendrait l'œuvre d'un poète si l'on ne tâchait pas de le faire goûter? M. P. a été ce téméraire. Il s'est proposé de donner un résumé des meilleurs travaux étrangers sur le texte, sur la division, sur l'authenticité des poèmes de Properce; il a étudié ce qu'on sait et ce qu'on a conjecturé de la vie du poète; enfin, il a tâché de caractériser son talent.

Le but a-t-il été atteint? Je me serais peut-être borné à une réponse affirmative si j'avais écrit plus tôt ce compte-rendu. Mais le livre de M. P. a reçu dans les périodiques français et étrangers 3 un accueil si

1. Couat, Catulle, Paris, 1875; Larroumet, de quarto Tibulli libro, Paris, 1882; Nageotte, Ovide, Dijon, 1872.

2. La thèse de M. Plessis est dédiée à M. Benoist. « C'est à lui, dit-il (p. xv), que je dois d'avoir osé entreprendre et d'avoir pu achever ces études ».

3. Voir les articles de MM. Boissier, Journal des savants, avril 1886; P., Revue de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur de 1886, p. 172; Ellis, Academy, 22 mai 1886; Rossberg, Philol. Rundschau, 10 juillet 1886; H. Magnus, Berlin. Philol. Wochenschrift, 9 octobre 1886; Reisch, Zeitschr. für die œsterr. Gymn., xxxIII, n' 5.

unanimement favorable que je me sens non plus difficile, mais plus libre d'indiquer quels sont à mon avis les désidérata d'un travail très remarquable. Je demande de pouvoir user et abuser de cette liberté. Je crois montrer par là quel prix j'attache à ces Etudes et donner d'avance un témoignage d'estime à l'édition qu'annonce M. Plessis. Marquer sur ce terrain particulièrement difficile ce qui reste à conquérir, ce sera aussi marquer indirectement ce que, grâce à M. P., nous avons conquis.

Commençons par des défauts qui frappent tout d'abord, mais qui n'ont rien de bien grave. Il semble que le livre manque d'unité ; que les parties écrites d'abord s'accordent mal avec celles par lesquelles l'auteur a fini; que le développement souvent diffus soit ailleurs insuffisant; bref la thèse est inégale, surtout dans le style. Mais, venons à l'essentiel et commençons par une critique générale. Il est bien d'être complet dans un exposé scientifique. Mais là comme partout il y a une mesure à garder. J'ai peur qu'à force de conscience, M. P. ne soit tombé souvent dans l'excès. A quoi bon énumérer toutes les erreurs de critique ou de sens commises par les commentateurs et les éditeurs' et tirer d'un programme inconnu, pour la réfuter, telle idée bizarre ou tel système justement et heureusement ignoré? L'avantage était sans doute qu'à l'heure où a paru le livre de M. P. le lecteur pouvait être assuré d'être au courant puisque toute la littérature de Properce avait été dépouillée. Mais quel avantage éphémère! Au bout de quelques mois à peine et sûrement après peu d'années, il aura disparu, le livre n'étant plus à jour. Il ne faut retenir dans nos livres que ce qui vaut la peine d'être retenu. Je trouve aussi que M. P. ne se tient pas assez au-dessus des auteurs qu'il cite ou auxquels il fait des emprunts. Il est beau d'être informé; mais il est plus beau encore d'être libre d'esprit et de jugement. Combien de fois reviennent ici et sans grande nécessité les noms, souvent des citations et des traductions de Paley, Potsgate, Schulze, Haupt, etc!

Dans toute la première partie de l'ouvrage on peut louer le jugement droit et en général assez sûr de l'auteur. Les chapitres sur les manuscrits et sur les éditions de Properce sont clairs et intéressants. Le chapitre sur la biographie du poète est bon, quoiqu'il y ait déjà là bien des longueurs 2. Ensuite le défaut s'accentue. M. P. détaille ses arguments; il les répète et comme, en s'attardant, on finit souvent par se perdre, il lui arrive, même sur des points importants, de déplacer sans le vouloir la question. Prenons comme exemple un sujet qui a

1. Fautes de latin (p. 125. note 1); contre-sens (p. 120 au milieu); erreurs de numérotage (p. 49-50), etc. Fausses appréciations de Pierron (p. 265, note 1, et p. 266); de P. Albert et de Beurlier (p. 302, note 1). M. P. est particulièrement sévère pour Hertzberg. Il y a là, ce me semble, quelque ingratitude.

2. Il m'est impossible d'accepter le sens que M. P. p. 187 donne à Penates : patrie, et non famille.

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