Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

elle s'étoit persuadé sans doute qu'il lui suffiroit d'employer le langage de son ambition et de sa hauteur pour obtenir de la France des preuves d'une déférence sans bornes. Mais aux propos et aux démarches les moins mesurés le roi n'opposa constamment que le calme de la justice et de la raison; S. M. fit connoître sans détour au roi d'Angleterre qu'elle n'étoit ni ne prétendoit être le juge de sa querelle avec ses anciennes colonies, et que ce n'étoit point à elle à la venger; que par conséquent rien ne lui imposoit l'obligation de traiter les Américains comme des rebelles, de leur fermer les ports de son royaume, et encore moins d'interdire à ses sujets tout commerce et toute espèce de liaison avec eux. Cependant le roi voulut bien mettre les entraves qui pouvoient dépendre de lui à l'exportation des armes et des munitions de guerre, et il donna même l'assurance la plus positive que non-seulement il ne protégeroit point ce commerce, mais aussi qu'il laisseroit à l'Angleterre une entière liberté de réprimer selon les règles prescrites par les traités et selon les lois et usages de la mer, tous ceux de ses sujets qui seroient trouvés en contravention à ses défenses. Le roi alla plus loin encore : il se fit un devoir scrupuleux d'exécuter les stipulations du traité de commerce signé à Utrecht, quoique l'Angleterre eût refusé dans le temps de le ratifier dans toutes ses parties, et que la cour de Londres y contrevînt journellement; S. M. défendit en conséquence aux corsaires américains d'armer dans ses ports, d'y vendre leurs prises, et les d'y séjourner au-delà du temps porté par le traité qui vient d'être cité; elle défendit même à ses sujets de faire l'achat de ces prises, et les menaça de confiscation dans le cas où ils transgresseroient ses ordres; ce qui a eu son effet. Mais tous ces actes d'une complaisance aussi marquée, tant de fidélité à remplir un traité que l'on auroit été autorisé à regarder comme non existant, étoient bien loin de satisfaire la cour de Londres; elle prétendoit rendre le roi responsable de toutes les transgressions, tandis que le roi d'Angleterre ne pouvoit pas lui-même, malgré un acte formel du parlement, empêcher ses propres négociants de fournir des marchandises et même des munitions de guerre aux colonies.

Il est aisé de comprendre combien le refus de se prêter aux prétentions arbitraires de l'Angleterre dut blesser l'amour-propre de cette puissance, et réveiller son ancienne animosité contre la France; elle s'irrita d'autant plus qu'elle commençoit à éprouver des revers en Amérique; que tout lui pronostiquoit la séparation irrévocable de ses anciens colons et les pertes

qui devoient en être la suite inévitable, et qu'elle voyoit la France profiter d'une partie d'un commerce qu'elle avoit repoussé d'une main indiscrète, et s'occuper des moyens de faire respecter son pavillon.

Ce sont toutes ces causes réunies qui augmentèrent le désespoir de la cour de Londres, et qui la portèrent à couvrir les mers d'armateurs munis de lettres de marque d'une teneur vraiment offensive; à violer sans ménagement la foi des traités; à troubler sous les prétextes les plus frivoles et les plus absurdes le commerce et la navigation des sujets du roi, à s'arroger un empire tyrannique en pleine mer; à prescrire des lois arbitraires, inconnues et inadmissibles; à insulter en plus d'une occasion le pavillon de S. M.; enfin, à violer son territoire, tant en Europe qu'en Amérique, de la manière la plus caractérisée et la plus insultante.

Si le roi eût moins respecté les droits de l'humanité, s'il eût été moins avare du sang de ses sujets; enfin, si au lieu de suivre l'impulsion de son propre caractère, il n'eût pris conseil que de sa dignité blessée, il n'auroit point hésité un instant à user de représailles et à repousser l'insulte par la force

de ses armes.

Mais S. M. fit taire son juste ressentiment; elle voulut combler la mesure des bons procédés, parce qu'elle avoit encore assez d'opinion de ses ennemis pour se flatter qu'à force de modération et de représentations amicales, elle réussiroit enfin à les ramener dans la voie de la conciliation que leur propre intérêt leur conseilloit.

C'est par une suite de ces considérations que le roi déféra à la cour de Londres tous ses griefs. S. M. les fit accompagner des représentations les plus sérieuses, parce qu'elle ne vouloit point laisser le roi d'Angleterre dans l'incertitude sur la disposition ferme où elle étoit de maintenir sa dignité, de protéger les droits et les intérêts de ses sujets et de faire respecter son pavillon.

Mais la cour de Londres affecta de garder un silence offensant sur la plupart des offices de l'ambassadeur du roi, et lorsqu'elle se détermina à répondre, il ne lui en coûta rien de nier les faits les mieux prouvés, d'avancer des principes contraires au droit des gens, aux traités et aux lois de la mer, et d'encourager des jugements et des confiscations de l'injustice la plus révoltante en excluant jusqu'aux moyens d'appel.

Tandis que la cour de Londres mettoit à une si forte épreuve la modération et la longanimité du roi, elle faisoit dans ses

ports des préparatifs et des armements qui ne pouvoient avoir 'Amérique pour objet; leur but étoit par conséquent trop déterminé pour que le roi pût s'y méprendre, et dès-lors il devint d'un devoir rigoureux pour S. M. de faire des dispositions capables de prévenir les mauvais desseins de son ennemi, et des dépradations et des insultes pareilles à celles de 1755.

Dans cet état des choses, le roi qui, malgré des intérêts pressants, s'étoit refusé jusque-là aux ouvertures des Etats-Unis de l'Amérique septentrionale, sentit qu'il n'y avoit plus un moment à perdre pour former des liaisons avec eux. Leur indépendance étoit prononcée et établie par le fait; l'Angleterre l'avoit en quelque sorte reconnue elle-même en laissant subsister des actes qui tiennent à la souveraineté.

Si l'intention du roi eût été de tromper l'Angleterre et de l'induire à faire de fausses démarches en la laissant dans l'erreur, il auroit enseveli dans l'ombre du secret ses engagements avec ses nouveaux alliés; mais les principes de justice qui ont dirigé S. M., et le désir sincère de conserver la paix, la décidèrent à tenir une conduite plus franche et plus noble: S. M. crut se devoir à elle-même d'éclairer le roi d'Angleterre en lui notifiant ses liaisons avec les Etats-Unis.

Rien ne pouvoit être plus simple et moins offensif que la déclaration que l'ambassadeur de S. M. remit au ministère britannique.

Mais le conseil de Saint-James n'en jugea pas de même, et le roi d'Angleterre, après avoir rompu la paix en rappelant son ambassadeur, dénonça à son parlement la démarche de S. M. comme un acte d'hostilité, comme une agression formelle et préméditée. Cependant ce seroit s'abuser de croire que c'est la reconnoissance que le roi a faite de l'indépendance des treize Etats-Unis de l'Amérique septentrionale qui a irrité le roi d'Angleterre; ce prince n'ignore pas sans doute tous les exemples de ce genre que fournissent les annales britanniques et même son propre règne son ressentiment a eu un tout autre principe. Le traité de la France prévenoit et rendoit inutile le plan formé à Londres d'une coalition momentanée et précaire avec l'Amérique, et il faisoit échouer les projets secrets qui avoient conduit S. M. britannique à une pareille démarche : la véritable cause de l'animosité que le roi d'Angleterre a manifestée et qu'il a communiquée à son parlement, n'est autre que de n'avoir pu rallier à sa couronne les Améri pour les armer contre la France.

cains

Une conduite si extraordinaire indiquoit évidemment au roi à quoi il devoit s'attendre de la part de la cour de Londres; et s'il avoit pu lui rester le moindre doute à cet égard, S. M. en eût bientôt trouvé l'éclaircissement dans les préparatifs immenses qui redoublèrent avec la plus étonnante précipitation dans tous les ports d'Angleterre.

Des démonstrations aussi manifestement dirigées contre la France durent faire la loi à S. M.; elle se mit en état de repousser la force par la force. C'est dans cette vue qu'elle pressa les armements dans ses ports, et qu'elle envoya en Amérique une escadre sous le commandement du comte d'Estaing.

Il est notoire que les forces de la France furent les premières en état d'agir; il étoit au pouvoir du roi de porter à l'Angleterre les coups les plus imprévus et les plus sensibles; on avouera même que S. M. s'en occupoit, et que ses projets alloient éclater, lorsqu'une parole de paix l'arrêta. Le roi catholique lui fit part du désir que la cour de Londres laissoit entrevoir pour une conciliation par la médiation de l'Espagne. Ce monarque ne voulut pas paroître comme médiateur sans être assuré préalablement d'une acceptation claire et positive, dans le cas où il offriroit son entremise, et sans connoître les objets principaux qui pourroient servir de base à la négociation.

Le roi reçut cette ouverture avec une satisfaction proportionnée au vœu qu'il a toujours fait pour le maintien de la paix. Quoique le roi d'Espagne eût déclaré d'abord qu'il lui étoit indifférent qu'on acceptât ou qu'on refusât sa médiation, et que nonobstant les ouvertures qu'il faisoit, il laissât le roi son neveu dans une entière liberté d'agir selon ses vues, non-seulement S. M. accepta la médiation, mais elle suspendit sur-le-champ la sortie de sa flotte de Brest, et consentit à communiquer ses conditions de paix aussitôt que l'Angleterre auroit articulé d'une manière positive son désir pour une réconciliation dans laquelle seroient compris les États-Unis de l'Amérique, la France ne devant et ne voulant les abandonner.

Rien assurément ne pouvoit être plus conforme aux intentions apparentes de la cour de Londres que cette détermination. Le roi catholique ne perdit sans doute pas un moment pour agir en conséquence auprès du roi d'Angleterre et de son ministère; mais celui-ci ne tarda pas à convaincre la cour de Madrid que ses ouvertures de paix n'avoient point été sincères. Le ministère britannique répondit sans détour qu'il ne pouvoit être

question de réconciliation et de paix qu'après que la France auroit retiré sa déclaration du 13 mars de l'année dernière. Cette réponse étoit injurieuse pour l'Espagne comme pour la France, et elle déceloit de la manière la plus évidente les vues hostiles de l'Angleterre. Les deux monarques l'envisagèrent sous ce point de vue; et quoique le roi, toujours animé par son amour pour la paix, laissât encore S. M. catholique le maître de donner, s'il le jugeoit à propos, suite à la médiation; ce prince ordonna à son chargé d'affaires à Londres de garder désormais le silence sur cet objet.

Cependant l'espoir d'une conciliation flattoit encore le cœur du roi lorsque les escadres commandées par les amiraux Keppel et Byron sortirent des ports d'Angleterre : cette démonstration acheva de déchirer le voile léger sous lequel la cour de Londres cherchoit à cacher ses véritables intentions. Il n'étoit plus permis d'ajouter foi à ses insinuations insidieuses ni de douter de ses projets d'agression; et dans cet état des choses S. M. se trouva forcée de changer la direction des mesures qu'elle avoit prises précédemment pour la sûreté de ses possessions et du commerce de ses sujets. L'événement démontra bientôt combien la prévoyance du roi avoit été juste. Tout le monde sait de quelle manière la frégate de S. M., la Belle poule fut attaquée par une frégate angloise à la vue même des côtes de France; il n'est pas moins notoire que deux autres frégates et un moindre bâtiment furent interceptés par surprise et conduits dans les ports d'Angleterre.

La sortie de l'armée navale que le roi avoit mise sous les ordres du comte d'Orvilliers devint nécessaire pour rompre les desseins des ennemis de sa couronne et pour venger les insultes qu'ils venoient de faire à son pavillon. La Providence fit triompher les armes de S. M. : le comte d'Orvilliers attaqué par la flotte angloise, la combattit, et la força à la retraite après lui avoir causé un dommage considérable.

Depuis cette époque les hostilités ont continué entre les deux couronnes sans déclaration de guerre. La cour de Londres n'en a point fait parce qu'elle manquoit de moyens pour la justifier; d'ailleurs, elle n'a osé accuser publiquement la France d'être l'agresseur après l'enlèvement que les escadres angloises avoient fait de trois bâtiments de S. M., et elle sentoit qu'elle auroit eu trop à rougir lorsque l'exécution des ordres qu'elle avoit fait passer clandestinement aux Indes auroit éclairé l'Europe sur la confiance qu'on devoit à ses dispositions pacifiques, et auroit mis toutes les puissances en état de juger à laquelle

« VorigeDoorgaan »