Le dix-sept octobre mil huit cent quatre-vingtdouze, à midi moins un quart, les membres de la Cour d'appel de Poitiers se sont réunis dans la Chambre du Conseil sous la présidence de M. Loiseau, officier de la Légion d'honneur, Premier Président, à l'effet de tenir l'audience solen nelle de rentrée. Les autorités civiles et militaires prennent place dans la salle des audiences solennelles. A midi précis, la Cour monte sur ses sièges; M. le Premier Président fait ouvrir les portes de l'auditoire; il déclare la séance ouverte et donne la parole à M. le Procureur général. M. Masquerier, substitut du Procureur général, se lève et prononce le discours de rentrée : MONSIEUR LE PREMIER PRESIDENT, MESSIEURS, L'usage, auquel je dois l'honneur de prendre aujourd'hui la parole devant vous, est d'origine lointaine. Sans qu'il soit besoin de me reporter aux harangues qui ouvraient les audiences de rentrée des Parlements, il me suffit de rappeler celles qui furent prononcées ici même à l'occasion des Assises solennelles tenues par les magistrats que le pouvoir royal déléguait avec les attributions les plus étendues. Ces discours, qui méritèrent l'éloge des contemporains, ne nous ont pas été conservés. Cependant la présence des membres du Parlement fut un événement considérable: elle forme une des pages les plus intéressantes de l'histoire de notre vieux Palais. Je veux remettre sous vos yeux une partie de ce passé en retraçant ce que furent notamment au xvre et au XVIIe siècle les Grands Jours de Poitiers. Cette ville ne posséda pas seulement des délégations temporaires du Parlement elle fut désignée à deux reprises pour être le siège d'une Cour souveraine. A l'époque la plus sombre des luttes qui ensanglantèrent le pays et dans lesquelles notre nationalité fut sur le point de succomber, alors que le dauphin, qui devait être plus tard Charles VII, s'enfuyait de Paris et se réfugiait en province, c'est à Poitiers que vinrent le rejoindre les membres du Parlement qui n'avaient pas déserté sa cause. Leur séjour s'y prolongea pendant près de dixhuit années 1. Plus tard, sous le règne de Louis XI, le Parlement de Bordeaux fut transféré à Poitiers, le roi ayant abandonné la Guyenne en apanage à son frère Charles; mais celui-ci ne tardait pas à mourir et la Guyenne faisait retour à Louis XI, qui rétablissait aussitôt la Cour à Bordeaux 2. La présence passagère des Parlements de Paris et de Bordeaux avait fait concevoir des espérances dont on s'efforça de poursuivre la réalisation. Les démarches répétées, qui furent faites pour obtenir la création d'un Parlement à Poitiers parurent à plusieurs reprises être sur le point de réussir. Pourtant elles n'aboutirent pas notre ville obtint seulement l'établissement d'un Présidial dont, il est vrai, les membres affirmaient devoir à Charles VII le droit de porter la robe 21 septembre 1418-14 avril 1436. 2 Le Parlement de Bordeaux resta à Poitiers du mois de juillet 1469 au 1er juin 1472. rouge, qui était exclusivement réservée aux Cours souveraines 1. Mais. si ces sollicitations demeurèrent sans résultat, Poitiers, dont l'importance était considérable, qui était réputée la plus grande ville de France après Paris 2, n'en fut pas moins désignée fréquemment pour recevoir les délégations du Parlement de Paris chargées d'y tenir les Grands Jours. On donna primitivement nom de Jours aux audiences tenues par les diverses juridictions du moyen-âge lorsque ces audiences avaient un caractère plus solennel, notamment lorsqu'il s'agissait d'une juridiction d'appel, elles prenaient le nom de Grands Jours. Dans son histoire du Nivernais, Guy Coquille nous fait connaître que le bailli de Nevers, en qualité de juge de Pairie, tenait quatre fois par an des Grands Jours où il statuait sur les appels interjetés contre les décisions « venant tant des «< juges ordinaires que des baillis et juges de sei«gneurs inférieurs. » Toutefois la dénomination de Grands Jours paraît avoir été réservée surtout aux assises extraordinaires que les grands feudataires de la couronne avaient le droit de tenir sur leurs terres Cour de justice se composait des principaux seigneurs, des dignitaires de l'église auxquels le roi cette 1 Ce droit était contestable, si on en juge par la défense que l'avocat général Talon fit en 1634 au Présidial de se mettre en robes rouges pendant la tenue des grands jours. (Manuscrit de Deraze). 2 « La ceinture de Poictiers est aussi grande que d'aucune autre << ville de ce royaume, excepté Paris » (Liberge, Le Siège de Poitiers en 1569). |