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à ce point, ceste partie contendra iij choses. Premièrement, assavoir se on doit faire aucune alliances avecques l'empereur des Grecz ou avecques le roy de Rassie; secondement, assavoir, se on se doit aucunement fier en eulx; tiercement, assavoir, s'il se pourroit trouver juste cause, licite et honneste, pour assaillir leurs seignouries.

QUE ON NE DOIT FAIRE PACT NE ALLIANCE QUELCONQUES AVECQUES LES DEUX SEIGNEURS
DESSUSDICTS POUR IIIJ RAISONS.

Quant à la première chose, qui est que on ne doit faire nul pact ne alliance quelconques avecques l'empereur des Grecz ne avec le roy de Rassie, je y assigne iiij raisons. La première raison se prent de par la foy catholique, laquelle eulx ne leur église ne tiennent ne ne croient point, ains le déjettent, le impugnent et le hayent de courages endurcis et n'en peuent ouir parler comme héréses pervers, obstinez et mauvais qu'ilz sont. Et quant les frères prescheurs et les cordeilliers ont esté députez par le siége apostolique pour les réduire à la foy et pour eulx déclairier la foy catholique, ilz en ont esté vilenez, batus et injuriez par leurs éditz et commandemens. Ne je ne dis pas seulement qu'ilz mesprisent et refusent de la foy ce qui est vray, mais aussi ilz attraient et induisent autant qu'ilz peuent à leur mauvaistié* les nostres, quelz qu'ilz * Fol. 30 ro. soient, par prières, par promesses, par faveurs, par honneurs et par menaces: cecy appert par leurs femmes que noz misérables latins leur baillent, lesquelles ils ne vuelent prendre à mariage jusques à tant qu'elles ont renié la foy catholique et fait profession en leur dampnée trécherie, comme pour exemple je le conte pour la suer du conte de Savoie, ad présent femme de l'empereur des Grecz2; laquelle est devenue grigoise perverse, car tantost qu'elle fu menée en Constantinoble, on lui osta les frères meneurs qu'elle avoit mené avec elle, et bouta-on hors de sa court ses conseillers bons preudommes, ses nourrices et damoiselles catholiques, et tant firent que de tous ceulx

1 Les frères prescheurs et les cordeilliers ; ces deux ordres ont été, au moyen âge, en butte aux traits satiriques des trouvères, qui les traitaient avec une liberté que le dix-huitième siècle n'a point dépassée. C'étaient des Voltairiens avant Voltaire. Rutebeuf s'est principalement signalé dans cette lutte épigrammatique. Voir dans ses œuvres rassemblées par M. Achille Jubinal, De la descorde des Jacobins et de l'université ( t. I, p. 151; Les ordres de Paris (ib., p. 158; pièce déjà imprimée dans le recueil de Barbazan et de Méon, II, 293); Le dict des Jacopins (ib., 175); Li diz des Cordeliers (ib., 180); La division d'ordres et de religion, par Rois de Cambray (ib., 441); La requeste des frères Meneurs, par un anonyme (ib., 448); Complainte des Jacobins et des Cordeliers, également anonyme (ib., p. 461). Il est aussi fréquemment question des jacobins et des cordeliers dans le Couronnement Renart et dans le Nouveau Renart. Les jacobins étaient dominicains, frères prêcheurs; les frères mineurs ou frères menus, comme on disait jadis, étaient franciscains, cordeliers. Les uns et les autres datent du treizième siècle.

2 La suer du conte de Savoie.... Anne de Savoie, seconde femme d'Andronic III.

Fol. 30 vo.

Fol. 31 r.

qu'elle avoit mené avecques elle, ilz ne l'y en laissèrent oncques nul, s'il ne vouloit renier la foy catholique et confesser publiquement leur faulse trécherie mise par escript laquelle chose icelle dame fist au grant déshonneur de l'église de Romme et au grant reproche de la foy chrétienne. Mais comme dient ceulx qui vuelent excuser en ce sacrilège, elle fist cela non pas voluntairement, mais par contrainte. Les Grecz et leurs complices ont, dès le commencement de l'église naissant, trouvé les scismes et erreurs et les ont entretenu obstinéement tousjours; et ès premerains temps des apostres sourdi de leur mauvais sourgon l'ochoision de division et de scisme, car, comme dist saint Luc, depuis que la murmure des Grecz se esmut contre les Hébrieux, ils ont eu à paines tous les inventeurs des hérésies: c'est assavoir Paul, Arrien, Sabel, Machedon 2, Nestor, Dioscore, qui du très-pervers trésor de leur cuer ont espandu partout les mortelz venins grégois. Certes de combien grans erreurs et de combien divers loyens de tricherie celle église des félons soit soullié, la corrompue et dampnée naissance de toutes hérésies le tesmoigne et aussi l'anchienne séparation de la vérité de la foy. Samblablement la division de l'unité et obédience de l'église le tesmoigne, aussi font les diverses sectes qu'ilz ont aujourd'uy ensamble : car autant comme il y a d'ostelz, autant y a-il d'erreurs. En après plusieurs nations d'Orient l'appreuvent, lesquelles ilz ont par leur derverie tiré avecques eulx en enfer. Item la nostre église de Romme le tesmoigne et repreuve en les dampnant pour les énormes erreurs dont ilz sont envelopez, et que plus est, tous les anchiens recteurs et les modernes aussi repreuvent et condempnent leurs hérésies, tant par raisons comme par auctoritez, en tant qu'ilz afferment que le Saint-Esperit procède du Père seulement, et pour ce qu'ilz mentent à leur enscient, disant que nulle âme ne sera en paradis ne en enfer jusques au jour du jugement, et pour ce aussi qu'ilz maintiennent que le primat de l'église n'est pas en nostre saint père le pape de Romme, et pour ce que tous les roys de France, depuis le temps qu'ils ont receu le don de la foy catholique et la grâce du saint sacrement de baptesme, ont toujours esté pro moteurs, deffenseurs, filz et champions d'icelle foy chrétienne rommaine, qui est seule vraie et catholique ; et par dessus tous les autres roys du monde ilz le ont déclairé, affermé et dilaté par eulx et par les leurs, et exposé leur vie pour elle et respandu leur propre sang. Les dernières choses doncques ne sambleroient pas correspondre aux premeraines, se vostre dévote majesté royale prenoit alliances quelconques tant pervers et si anchiens faulx et mauvais hérétiques comme sont lesdicts Grecz.

Paul, latin: Samosatenum.

* Latin Sabellium, Machedonium.

5 Loyens, liens, latin : vinculis; en rouchi on dit encore loyer pour lier.

'Derverie, Roquefort et nous-même avons tiré ce mot du latin deviare; peut-être vient-il du flamand dief, dieven, voleur, larron.

LA SECONDE RAISON.

La seconde raison pourquoy on ne doit point fere alliances avecques lesdicts Grecz et Rassiens se démonstre, affin qu'il ne samble qu'on prengne partie contre Dieu et qu'on face pact avec ceulx d'enfer. Et ad ce nous désenhorter nous appreuvent et esmeuvent les tesmoignages qui sont sur ce : car le psalmiste récite que Nostre-Seigneur fu couroucié contre son pueple pour ce qu'ilz n'ont point désemparé les gens que Nostre Seigneur leur avoit dit, ains se sont meslez entre les gens et ont aprins les ouvrages des mors et ont servi à leurs entaillures, dont ilz sont venus à esclandre. Samuel aussi maudit Saul par le commandement de Dieu, en disant : Nostre-Seigneur a déjetté! que tu ne soies point roy sur Israel pour ce que tu as mesprisié la parole de Dieu, Nostre Seigneur! Samblablement laissa Jonathas le Machabée chéoir prisonnier en la main de* Fol. 31 vo. ses ennemis, nonobstant que tout lui fust venu à souhait ès batailles de Nostre Seigneur, depuis qu'il ot fait alliances avecques les Rommains. Il fu dit aussi à Acab par l'un des filz des prophètes, lorsqu'il laissa eschaper Benadab, roy de Sirie, et print alliances avecques lui pour ce que tu as laissié aler hors ung homme qui estoit digne de mort, ton âme sera en captivité, en lieu de la sienne, et ton pueple en lieu du sien. L'angèle de Nostre-Seigneur protesta ou temps de Josué, en disant : « je vous ay promis que je ne feroie pas mon pact vain avecques vous a tousjours, mais par condition toutesfois que vous ne prendriez nulles alliances avecques les habitans de ceste terre; et vous n'avez point voulu ouïr ma voix ! Pour ceste cause je ne les vous ay point voulu destruire, affin que vous eussiez des ennemis. Il fu aussi intime à Josaphat, roy de Judée, prenant amistiez à Acab, roy d'Israel, et dit par Jhésu portant la parole de NostreSeigneur en ceste manière: tu bailles ayde et confort au félon, et te es joint par amistié à ceulx qui héent Nostre-Seigneur! Pour ceste cause tu as déservy de encourir l'ire de Dieu! » On list aussi de cestui Josaphat mesmes les paroles qui s'ensievent après ce; Josaphat print amistié avecques Ochosias, roy d'Israel, de qui les euvres furent trèsmauvaises et fu consentant qu'on fist des nefz pour aler en Tharse; et furent faittes lesdictes nefz en Asyongaber, et lors prophétisa Eliéser à Josaphat en disant : « Pour ce que tu as prins alliance avec*ques Ochosias, Nostre-Seigneur a dissipé tes œuvres 1!» *Fol. 32 ro.

LA TIERCE RAISON.

La tierce raison est prinse de par l'église de Romme, nostre mère, laquelle ilz vitupèrent et mesprisent, car ilz l'appellent l'advoultire 2, voluptueuse, fornicaire, église malignante. Ilz repreuvent et condempnent tous ses sacrements, comme nulz; ilz pro1 Paralip. c. xx, v. 37. | L'advoultire, l'adultère.

nuncent aussi et afferment que en icelle n'a nul chief, nul prélat, nul degré, nul estat ne nul ordre; ilz appellent ses enfans chiens envieux et les dénuncent pluseurs fois l'an et publiquement, comme hérétiques et scismatiques et comme membres mortefiez et corrumpus, séparez de l'unité du corps mistic, les excommunians et anathématisans, et maudisans, pour ce qu'ilz consacrent en pain sans levain; et s'il advient que aucuns des nostres célèbrent en leurs églises, ilz les réconcillent et nettoient comme se elles estoient pollués et soulliés et violées par effusion de sang ou autrement. Se aucun d'eulx oste de qui que ce soit des nostres aucune chose soit grande ou petite par larrecin, par violence ou par rapine, leurs confesseurs ne leur enjoingnent, pour ce, à en faire nulle restitution, ains loent et recommandent en leurs confessions, se aucun d'eulx nous détient riens, affermans que tout nous doit estre osté licitement et méritoirement comme de gens injustes possesseurs. Finablement, comme toutes les nations d'Orient et de Septentrion facent grande estimation des François et les loent moult et appellent François tous ceulx qui sont obéissans à l'église de Romme, de quelconque gent ou lignie qu'ilz soient extrais, et par ceste estimation qu'ilz ont de nous, ilz nous préfèrent à toutes les nations qui sont dessoubz le ciel; mais les Grecz seulement nous mettent derrière et déjettent et nous jugent que on nous doit relenquir1 comme mors de cuer et vaisseaulx rompus, en nous diffamant et injuriant tant qu'ilz peuent. Toutes ces choses-ci et pluseurs autres que seroit longue chose à les réciter, maintient et opine faulsement, hayneusement et félonneusement celle orde église des Grecz encontre le beauté, sainteté et pureté de l'église rommaine et de ses enfans dévotz et vrais catholiques.

Fol. 33 ro.

LA QUARTE RAISON.

La quarte raison se prent de ce qui est dit ci-dessus, c'est assavoir que nul ne doit bailler ayde ne faveur aux hérétiques, ne aux ennemis de l'église, ne à autres quelconques en faveur de crime ne en détriment du droit d'autrui. Comme doncques le roy de France soit de singulière excellence et de merveilleuse estimation envers toutes les nations d'Orient et de Septentrion, et jusques aux extrémitez de la terre habitée, et soit nommé le souverain quant à toute manière de noblesse, et comme seul entre et par-dessus tous les princes d'Orient; pour ceste cause, il se doit moult bien advertir et de tout son povoir entendre qu'il ordonne et dispose telement ses fais que par iceulx n'en puist venir dommage ne esclandre à nul mesmement catholique et vray subget, à l'église de Romme. Certes, tout Orient scet bien que l'empereur des Grecz et le roy de Rassie sont notez infâmes en ij manières : l'une, car ilz sont réputez hérétiques par l'église de Romme et condempnez comme telz passé longtemps; l'autre, car ilz sont

1 Relenquier, de relinquere, qui n'est pourtant pas dans le texte latin.

faulx et trahitres invaseurs et violens et tiranniques déteneurs du droit d'autrui. Et pour ce qu'ilz ont esté d'eulx et d'autrui jusques à maintenant réputez telz et par leurs hérésies dévisez de l'église de Romme catholique, laquelle chose, les frères prescheurs et cordeilliers les enhortans souvent pour retourner au sain de nostre mère Sainte Église, leur ont démonstré, tant par lettres apostoliques comme par auctoritez et par raisons, toutes et quantesfois que ilz y ont voulu entendre. Se maintenant ung tel et tant grant, comme est le roy de France, prenoit alliances avec eulx, il ne sembleroit aux Orientaulx que ce fust autre chose senon qu'il approuvast leurs erreurs et blasphèmes contre les nostres et leurs scismes avecques leurs supersticions, et par conséquent les frères dessusdicts à tout leurs lettres et confirmations seroient réputez mençongiers et frivoles; il sambleroit aussi qu'il ratefiast celles seignouries qu'ilz usurpent et tiennent contre droit et raison, les occupant indeuement et trayteusement non mie contre chacun, mais proprement contre ceulx de la maison de France, comme ci-après il sera démonstré plus clèrement, ne je ne pourroie penser autre manière parquoy leur puist estre baillié seureté de plus grant faveur ne fermeté de plus certain ayde en leur er- Fol. 33 vo. reur et tirannie que cellui prengne paix et alliance avec eulx, lequel a tousjours esté extirpateur de hérésies et exécuteur de justice: de quoy s'en ensieuvroit grant esclandre pour la foy et ung évident dommage du passage, qui se doit prochainement faire. Voie doncques et considère cellui qui ot toutes ces choses et juge cellui qui les sent, assavoir se on puet justement et deuement fère aucune paction et alliances quelconques avec tele manière de gens.

DU SECOND POINT QUI EST TOUCHIÉ EN CESTE PARTIE, C'EST ASSAVOIR QUE ON

NE SE DOIT NULLEMENT FIER EN EULX.

Puis doncques qu'il a esté démonstré que on ne doit fère nul pact avec les Grecz, il s'ensieut du second, c'est assavoir que on ne se doit nullement confier en eulx. Et à prouver cecy je mettray en brief iiij raisons appartenant au fait. La première raison vient de la générale propriété de toutes les nations d'Orient, qui ont habituele coustume de varier la foy, de la muer et de la pervertir avec fortune. Certes, il n'y a en ce monde nulles gens qui sachent mieulx se couvrir de paroles et de fais, muchier de savoir, complaire à autrui par flateries, de promettre largement et grandement et de faire services agréables: certes il ne sont gens en ce monde qui mieulx sachent faindre les choses dessusdictes, ne plus soubtilz à décevoir, ne plus cauteleusement traittans une trayson, ne mieulx* et sans moins de vergongne soy retraire de leurs juremens et féaultez aus- Fol. 34 ro. quelz on doit moins croire, de tant qu'ilz promettent et jurent plus fort, et se doit-on plus

1 Sain, sein.

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