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Si s'ensièvent les iiij causes pourquoy il est juste chose et licite que on puet courir sus à l'empire des Grecz.

Tiercement doncques, il fault démonstrer et déclairier les justes, licites et honnestes causes pourquoy on doit courir sus à leur empire et, sans blescher sa conscience, qu'il leur doit estre osté. Et jà soit ce que soient les causes qui peuent estre extraittes des raisons dessusdictes, toutesfois il en y a iiij autres que je mettray en brief, quant au regard de cestui qui se dist empereur des Grecz.

LA PREMIÈRE CAUSE.

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La première cause est que jà* soit ce que leurs ancestres vueillent mettre l'ordre de Fol. 38 vo. leur généalogie comme ung autre Hérode, pourquoy ilz se efforcent de excuser les trahysons qu'ilz ont perpétrées, et occisions de leurs seigneurs et l'invasion de l'empire, et vuelent couvrir l'oscureté de leur lignage et l'infameté de leur naissance, et soy eslever décevablement à la gloire de haultesse des empereurs augustes; toutesfois la réale vérité est qu'ilz ne descendent pas de la lignie impériale, ne ne sont extrais du sang, senon de cellui que Paléologue, attave de cestui, voult jà piécà commencer; et fu le premier empereur et le premier trahiteur de sa maison.

LA SECONDE CAUSE.

La seconde cause vient de la première, où il appert qu'il n'a nul droit en l'empire, Fol. 39 r. senon tel que le grant-père de son ayeul, le premier violent tirant, et se usurpa indeuement comme injuste possesseur. Se aucun ne vuelt dire qu'il le obtient par droit trahiteux qui lui fu délaissié de ses pervers prédécesseurs, par la succession de iniquité et de injustice, et, affin que nous véons clèrement que le droit de cest empire appartient à j autre et non pas à lui, en tant qu'il touche ad présent je mettray-ci en brief la raison du fait. Aucuns nobles de France, c'est assavoir Baudouin, conte de Flandres, Loys, conte de Bloix, Estienne de Partois et le marquis de Montferrat se mirent en mer pour secourir à la terre sainte. Si arrivèrent en Constantinople, qui lors

Partois, le latin Particensis. Étienne, frère de Geoffroi, comte du Perche.

Fol. 39 y.

estoit occuppée de cellui Andronicus, qui son propre frère germain nommé Tursach 2, avoit chacié hors de l'empire, lui crevé les yeulx, puis bouté en une prison moult dure, et j nommé Alexis, nepveu dudict avugle 3. Or advint par la voulenté de Dieu que icellui Alexis, délivré de prison, se retrait en l'ost desdicts François qui, ressongnans les vices dudict Andronicus, félon tirant, assaillirent tantost la cité en laquelle ilz entrèrent par force si s'enfuy ledict Andronicus, et le jouvencel Alexis fu couronné empereur des Grecz; mais son père Tursach fu ainçois mis hors de prison. Cestui Alexis, comme ingrat et desloial, descongnoissant qu'il tenoit la vie par lesdicts François, et que par eulx il estoit parvenu à la couronne de l'empire, machina pluseurs maulx encontre eulx, et de là en avant fu du tout enclin aux trécheries et faulsetez des Grecz. Finablement, par la juste permission divine, j sien homme nommé Morculfus l'estrangla, dormant en son lit, après ce qu'il avoit jà débouté les François hors de la cité et attempté pluseurs maulx contre eulx, comme dit est. Ce néantmoins, en détestation de l'ort péchié, les François se arrivèrent contre ledict Morculfus, assaillirent la cité et dedens x jours entrèreut ens. Et pour ce que Alexis laissa l'empire sans héritier et légitime successeur, par le uni conseil et assentement des princes du clergié et de tout le pueple, Baudouin, conte de Flandre, dessusdict fu esleu en empereur et couronné sollennèlement en l'église de Sainte-Sophie; et illec lui fu ottroyée de tous la loenge impériale. Mais puisque les François eurent tenu ledict empire par succession de temps, il vint finablement à Phelippe, fil de Baudouin, le second de ce nom, qui fu fil de Pierre de Courtenay, conte d'Ausoirre, et de la suer Baudouin le premier, et de Henry frères qui avoient tenu l'empire et l'avoient laissié successivement sans héritier. Cestui Philippe espousa la fille de Charles le premier, roy de Sécile, qui fu mère de vostre mère. De ceste femme engendra ledict Phelippe, madame Katherine, qui fu femme de monseigneur Charles, de bonne mémoire, vostre père, et mère de vostre suer ad présent vesve de feu le prince de Tarente. Or chaça jadis Paléologus hors de l'empire tant Phelippe dessusdict que madame Katherine, sa fille, et occupa ledict empire larchineusement et tiranniquement; comme aussi cestui Andronicus, nepveu dudict Paléologus, le détient occupé non mie par droit, ains injustement, comme dit est.

Andronic I, Comnène, dit le Vieux, petit-fils de l'empereur Alexis 1, mourut le 12 septembre 1185, pendu par les pieds et victime de la haine de la populace, à laquelle l'avait abandonné son successeur Isaac l'Ange. Isaac l'Ange, nommé Cursath par les latins, n'était pas frère d'Andronic I. Ce fut Alexis III, l'Ange, dit Comnene, frère d'Isaac, et non pas Andronic I, qui fit enfermer Isaac, après lui avoir fait crever les

yeux.

Alexis IV était fils d'Isaac et neveu d'Alexis III.

Alexis Ducas, surnommé Murzulphe, de l'épaisseur de ses sourcils, étrangla Alexis IV le 8 février 1204. 3 Ausoirre, Auxerre.

LA TIERCE CAUSE.

La tierce cause est, car cest empire n'est pas occupé au dommage d'autrui, quel qu'il soit, ains au détriment et destourbier de vostre hostel. Certes, mon souverain seigneur, la vraye héritier de cest empire, c'est vostre suer de bonne mémoire, jadis espeuse de feu le prince de Tarente; et ses enfans voz nepveux et cousins germains sont demourez orphenins en vos mains, et adrèchent les yeulx envers vous pour ce que la providence de vostre bonté leur a donné et ottroié ung seul singuler refuge et ayde: pourtant vous, amoureux de pitié et exécuteur de justice, par vostre bonté et puissance, secourez à la vesve et aux pupilles et destruisiez les voies des Grecz pécheurs.

LA IIIJE CAUSE.

La iiije cause est la vengance de la cruele effusion du sang des loyaulx et innocens François. Certes quant Paléologus occupa l'empire, comme dit est, il fist morir cruèlement tous les François qu'il peut trouver partout l'empire de Constantinoble, fust Fol. 40 ro. prez ou loingz. Et de combien grande foursènerie les Grecz se soient exercez alors et autresfois contre les François, la champaigne des os des mors qui est en une crette d'emprès les murs de la cité 1, le démonstre manifestement à tous ceulx qui le vuelent véoir; lesquelz ilz n'ont nullement souffert d'estre ensevelis pour la détestation de nostre foy et pour la hayne qu'ilz ont aux François. Ceste mesme cruauté se démonstre maintenant du roy de Rassie, c'est assavoir qu'il détient et occupe par trahyson et par violation du droit d'autrui; il possesse par tyrannie ledict royaume et non mie par succession légitime, ne par fondation de héritage. Certes, comme il est expressément dit ci-dessus, il est fil de cellui bastart qui fist guerre à son père, nommé Urose; puis conspira contre lui jusques à la mort, et traitta maintes trahisons pour lesquelz maulx son père commanda que on lui crevast les yeulx, et qu'il fust envoié en exil; et lequel depuis, après la mort de son père Urose, déchaça violentement hors du royaume par tyrannie et par trahison Vlatislaus vostre cousin, fil du roy Estienne, vray droiturier seigneur et héritier dudict royaume de Rassie. S'il avoit doncques quelque droit oudict royaume, lui fil de bastart qui règne adprésent, certes chacun scet qu'il a perdu

1 Au midi de Constantinople, dit Bertrandon de la Broquière (Mém. de l'Institut, sciences mor., V, 559), près d'une porte, on voit une butte composée d'os de chrétiens qui, après la conquête de Jérusalem et d'Acre, par Godefroi de Bouillon, revenaient par le détroit.

tout le droit, car il a esté naguères nouveau trahitre et a pris et tué son propre père.

Ci fine la ve partie de ce traittié.

Ci commence la vjo partie qui démonstre iiij manières pour prendre légièrement et bien aise ledict empire 1.

Fol. 40 vo ̧

Et se, pour les choses dessusdictes, il samble, mon souverain seigneur, à vostre prudente circumspection que de vostre saint voyage on doive oster telz ennemis suspectz, que j mal tant anchien soit destruit, et que on doive débouter du tout en tout si obstinez trahitres, tant en eulx comme en leur antécesseurs, comme est chacun des deux dessusdicts, je me vueil emploier à la vje partie de cest advis directif, et démonstreray iiij causes par lesquelles on verra iiij manières faciles de prendre tant l'empire de Grèce comme le royaume de Rassie.

LA PREMIÈRE MANIÈRE SI :

Fol. 41 г.

La première manière si est, pour ce que les Grecz et ceulx de leur secte, depuis qu'ilz relenquirent la foy et l'obéissance de l'église de Romme, ilz ont perdu iiij biens qui accompaignent la foy dès le commencement du monde : car, premièrement, ilz ont perdu Dieu qui daigne habiter par foy dedens les cuers de ses loyaulx amis. Seconde ment, ilz ont perdu prudence, laquelle ilz souloient jadis prester à l'église universèle ; et maintenant toute science et prudence sont péries entre eulx. Tiercement, ilz ont perdu sainteté de vie, laquelle démonstrent les miracles. Certes, il n'y a entre eulx nulz miracles, quelz qu'ilz soient, qui protestent vérité de vie et de foy. Quartement, ilz ont perdu la prouesse d'armes par laquelle ilz ont acoustumé de garder les seigneuries, subjuguer les ennemis, vaincre et déchacier leurs adversaires, et de dilater au long et au lé leur nom et leur gloire. En vérité ils sont aujourd'ui laidement vaincus et suppéditez de tous leurs ennemis (et vaincus 2). Toutes ces choses que je récite maintenant ci, advinrent lorsque j'estoie en Constantinoble ou à Père, qui siet au plus près à j quart de lieue; et véys adoncques que ijm Turcz ou environ desconfirent vaillammant et en

1 Bertrandon de la Broquière donne aussi ses vues sur la manière de s'emparer de la Grèce et de triompher des Turcs. (Mém. de l'Institut, sciences mor., IV, 610 et suiv.)

Surcharge.

chassèrent l'empereur Michiel, père de cestui qui ad présent tient l'empire des Grecz, nonobstant qu'il eust xm chevaliers et plus, rengiez en champ de bataille, où il avoit une très-grande multitude de piétons à l'entour; et puis lesdictz Turcz gaignèrent et emportèrent les tentes des Grecz, le throsne impérial, la couronne et moult d'autres despoulles. Les Cathelans aussi, que on appelle maintenant la compaignie qui est en la duché et seigneurie d'Athaines, qui n'estoient pas plus de deux mil et vc hommes de cheval et dont il n'en y avoit pas ije gentilzhommes, assaillirent hardiment au désespéré ce mesme empereur Michiel, accompaignié de xiiijm hommes de cheval et d'une grant multitude de piétons, et destruirent ses ostz rengiez, et occirent une très-grante partie de son ost, et boutèrent jus de son cheval ledict Michiel à son déshonneur; mais il eut aide de ses gens et fu mis sur ung autre cheval, puis s'enfuy de la bataille navré durement; lequel lesdicts Cathelans sièvirent si radement qu'ilz le firent enclorre dedens la cité de Andrenopoli, et là tindrent asségié pluseurs jours; puis coururent et gastèrent tout le pays à l'environ, et mirent tout au feu et à l'espée; prindrent villes et chasteaulx et ne trouvèrent oncques homme qui les attendist en bataille. Ainsi doncques sont les Grecz misérables, de petit courage, lâches et récrans par la grâce divine qui les a relenquis et par vengance qui leur est deue : car les Tartres les deffoulent et abbatent; le Turc les subjugue, asservist; les Esclavons, les Vulgaires et tous leurs ennemis leur courent sus, les déchacent et mettent à néant; ne ilz n'ont espérance senon en ung mot qu'ilz ont acoustumé, c'est assavoir fige, fige, qui vault autant à dire en nostre langage latin comme fuge, fuge, et en françois fuyez, fuyez.

1

LA SECONDE MANIÈRE FACILE.

La seconde manière légière pour acquérir ledict empire vient de la piteuse dépopulation d'icellui et déplourable solitude qui est oudit pays, c'est assavoir de chasteaulx abbatus, de citez désertes, de villes solitaires, de champs ars et destruis, du pueple mis en servitude, des nobles qui sont devenus la proie de leurs ennemis, et de tout sexe, soient hommes ou femmes, qui sont ramenez en servage devant la face de ceulx qui vendront après eulx. Ne il n'est homme, s'il ne l'a veu et esprouvé, qui peust penser les afflictions de ce peuple, ne la multitude de la misère en quoy ilz sont. Et moy mesme, lorsque je demouroie ès parties de Perse, véys bien souvent une grant multitude de Grecz de l'un et de l'autre sexe, de toute condition et de éage, que on amenoit prisonniers en grans pleurs et gémissemens; et les vendoit-on au marchié, comme

1

Tartres, Tartares. Sur les Tartares il y a un extrait de Plancarpin dans Vincent de Beauvais, Speo. hist., lib. XXXI, ch. 3 et suiv.

TOM. I.

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