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x naves, avecque iijc personnes pour chescune nave, et pour estre voisins d'Alexandrie, et plus que nésun aultres lieux de crestiens, et lez personne de celle ysole vaillant et de grant corrage, provés et par terre et par mer, et ballestriers et archiers; et que tousjours ont usées et contresté contre toutes puissances et spétialement contre poyens, comme est pars d'Alexandrie, et par tous ycelluy pays-là où tousjours ont pratiqué. Et pour tant vous recorde que, non pas tant seullement par la puissance de l'isole de Crède, mais pour moulx d'aultres raisons et grant puissance qui a la seignerie de Venise; et si ilz voloyent prendre l'entreprise, ilz porroyent donner le cop; et que ilz se trovassent lez leurs gens et puissance entour lez murs d'Alexandrie, que homme du monde ne lez sentissent. Et en ceste raison, non y a puissance en tout Ytalie qui seust ne peust faire pourquoy que cest occasion a esté pratiquée et dicte; par quel façon ne par quel raison se porroit faire, on n'y porroit trouver aultre chemin, senon par Vénissians pourquoy en leur conseil ne entre nésun, et si serrent lez portes. Et sont en leur conseil de vij à viije gentilzhommes, tous unis et tous d'une volenté alla conservation de leur estat; et tout ce que ilz délibèrent mandent à effect et à sécution. Et homme du monde ne sèvent lez leur fais, concludans que ceste entreprise à eulx seroit pou de chose pour estre maistres. Et pratiques dez fais de faire conqueste est beaucop plus périlleux que de conquester Alexandrie; mais qui leur en viegne la volenté de entrer que Dieu promecte le bien et la salvation de la crestienté!

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Jusques yci avons dénoté lez raisons et conditions du Cayre et de Babilonne, lesquelx sont hédifiez en lieux désers, entre deus mers; et de l'une part vers Lavant, là où sont lez ysoles et mers, là où naissent lez espices, lezquelles lez conduissent par mer avecques leur navilz au Cayre: et la segonde mer si est la mer de Ponent, qui Fol. 37 v°. est soubz crestiens, et une part soubz poyens; lequel pays tous navigent avecques leurs galées et naves et marchandise au port et cité d'Alexandrie. Et de là se mettent au Cayre, et si s'espandent par le pays d'Egipte. Et pourtant donrons commencement et premiers du pays dez poyens, qui vont en Alexandrie. Premièrement le pays du roy de Tune et de la Barbarie, Tripoli et tous celluy pays, en tant que chescun en viennent de celle Barbarie en Alexandrie, de viij ou x naves de iiije per fin à viije bottes l'une, chargié de marchandise, et la maieur part sont chargié de olio 1 en jarre, couvertures blanches de laine, une très-grant quantité en balles; dezquelles couvertes, avecque une d'icelle, ung arrabois se la met entour de luy sus sa chair nue, sans aultre vestir, et avecques celle-si le descent en terre et dorme dessus, de nuyt; après portet cire, olive en jarre couverte et olio, et cebibo ou vrayement raisins de quaresme : ancores chargent de petits esclaves noires m ou m et ve ou ij" chescun an, de temps environ,

Olio, huile.

Cebibo, voy. à la pag. suivante, la note 6.

TOM. I.

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*Fol. 38 r.

de x ans l'ung, et tous lez font devenir payens, pourquoy crestiens ne sèvent achetter, et aussi beaucop d'aultres marchandises menues. Et quant lez dictes naves de Barbarie joingent au port d'Alexandrie, deschargent leurs marchandises en terre, et ne lez peuvent lever de là, se premièrement ilz ne payent lez drois de la doana 1, qui est xviij pour cent, et puis, deschargié ladicte nave, demeurent tout l'iver en Alexandrie, et vont vendant et achettant, et si font leurs besoinges, et aulx tamps noveaulx, commensant du premier jour d'avril jusques au xv jour dudit mois, et puis se mettent tous en ordre, et si se partent et chargent de beaucop manières de marchandises, lezquelles sont principalement d'une très-grant valeur. Et sont lezdictes marchandises cestes: lins, cottons, espices comme poivre, lacq, incense 2, archende et aultres espices; lezquelles espices de là lez espandent vers Ponent jusques ès pors de Cathologne; ancores draps de soye, toile de lin, grosses et subtilles, et joyaulx comme balais robins, perles de contes et de toutes choses, pour très-grant somme et très-grant valeur. Lezquelles naves ont de costume de tousjours venir audis pors d'Alexandrie, vers la fin de september, et de se partir au temps noveaulx, comme du mois d'avril; et tousjours se lièvent tous ensamble de conserve, pour doubte qu'ilz ont de corssaires. Et si ne porroit vivre le pays de Barbarie sans la cité d'Alexandrie par nésune manière du monde pourquoy lez choses qui naissent en leur pays n'a aultre voye de lez conserver, senon par la voye d'Alexandrie, et semblablement lez choses qui sont nécessaire et besoings en leur pays convient qu'ilz lez ayent par la voye d'Alexandrie. Et des parties de la Surie comme de Baructi, Tripoli et Lallicza, se chargent naves sur lezquelles se chargent savons, soyes, cebibo 6 ou vrayment roisins de quaresme, rosa', egrosa avantageuse; et toutes ses choses se conduissent avecques lezdictes naves en Alexandrie.

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Qe Sathalia et Candiloro, qui est pays de la Turquie et confine avecque le pays de Surie, qui sont terre de mer, et vient de leur pays et respont ès lieux de mer et pre

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* Lallicza, Ladikié ou Lataquié, l'ancienne Laodicea-ad-mare?

• Cebibo (cubeb?); ce mot est suivi de son explication. M. Depping se sert du mot cubibes, Hist. du commerce entre le Levant et l'Europe. Paris, 1830, I, 24; mais ce mot y désigne certaines graines de l'Orient qui corrigent les mauvaises vapeurs de la bouche, et non pas des raisins de carême. On lit également le mot cucuboe (cubeboe) dans un tarif ajouté à une charte du duc Jean de Brabant de l'an 1315. Lünig, Codex German. diplomat., II. 1 Rosa. Il en est question dans la Bible Guiot :

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miers soye, cire, saffran, susumane 1, tappedi 2, laine soubtile, esclaves et esclavectes, galle, miel et des aultres marchandises. Et tout se chargent sus grosses gallées : car ilz sèvent faire, ès dis lieux, galées à la mesure apportées de galées de Venissians, qui vont à voyage de Flandres. Et avecques celles galées apportent toutes leurs marchan- Commerce de Flandre. dises en Alexandrie, par tel manière que l'une de leurs galées rencontrarent missire Incotères catelain 3, qui s'en alloit en courssegue avecques deux de ses galées, et si rencontrarent ladicte galée, et furent ès mains, et firent grande bataille; mais alla fin* ledit missire Incotères prinst celle galée avecques c et 1 Turs, entre marchans Fol. 38 vo. et esclaves, qui venoyent estre porté au souldain, et avecque toutes marchandises; par tel manière que ladicte galée fust estimée de valeurs de Lm ducas.

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Audit lieu de Sathalia, pour estre boscages et flumes qui respont en mer, ilz ont ligname de toutes raisons pour faire naves et galées infinites. Ancores audict lieu de Sathalia, se charge naves et galées de ligname, de toute raison, et si se portent en Alexandrie et à Damiata; duquel ligname le souldain fait faire ses galées pour guerroyer crestiens. Ancore dudict lieu de Sathalia ne saille galées armées qui vont contre crestiens. Es dis lieux viennent de crestiens de Ponent; lezquelx sont marengons, et sèvent faire les galées en manière de crestiens, et si prisent Turs et ne prisent leur art; et si vont multiplicant à dompmage et à ruyne de chrestienté. Et après, dudit lieu se tiret pegola, aultrement poix, à grant quantité, et si se portent en Alexandrie et à Damiata.

A partir de Sathalia se va sus par la rivière du pays de Turquie, et, passés l'isole de Rode et de Bochar, le canal de Rode, et prendre la volta par la rivière, s'en va à Pallatia et aultres lieux de Turquie, parmi l'isole de Sio, à xviij milles; laquel ysole de Sio est de Genevois. Et auquel lieu de la Pallatia et aultres lieux entour, se chargent cestes marchandises comme dessus lez naves; c'est assavoir cebibo noires, qui sont roisins de quaresmes, saffran, cire, susumani, galla, couvertures par balles, sclavi et sclave, cuirs tins en rouge, fautres de laine, miel et de aultres menues marchandises; et tout se portent au port et cité d'Alexandrie, et aulcune fois avecques petis navilz en Damiata, par la bouche du flume: perque non y a port, senon que le flume qui descent du Cayre, de la Pallatia fine en Brusia, laquel est terre principal de la Turquie à viij journées.

Quant la Turquie fust de crestiens, le siége de l'empereur estoit en la cité de Brusia, * Fol. 39 ro.

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Ailleurs susumani, sésame, voy. l'Introd. | Tappedis, tapis. | 3 Catelain, catalan. | Courssegue, course. |

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ין

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Entre, partie... | Saille, saillent. | Pallatia pour Gallatia? | Sio, Scio. | Brusia. Brussa ou Brouse, dans la Propontide; l'ancienne Pruse, qui doit son origine à Annibal.

Fol. 39 vo.

comme à présent il est à Constantinopoli. Et le grand seigneur de la Turquie se retrahist pour son estance insus la Grétie, en la cité d'Andrinopoli, qui est près de Constantinople, environ à vj journées; et semblablement print Ghalipoli, qui est sus la rivière de l'estroit de Romania; auquel lieu arrivet moult marchandises et premièrement : esclaves chrestiens, marters 2, vars 3, zebbelins, armelins, cire, safran, susumani, galla, cuirame adoubbé pour cordounanniers, et des aultres marchandises; et tout se charget sur naves de crestiens et de payens; et de lieux en lieux vont tant qu'ils viennent au port et cité d'Alexandrie.

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A Constantinoble viennent de toutes marchandises, et viennent par la bouche de la mer maieur, comme de Latane, Gaffa, Trapexonda 5, et ancores de la Turquie et de la Grétie; et premiers soye, martres, vars, zebbelini, armelini, rami en piatines, saffran, cire, cuirs adoubbés; et de telles marchandises se chargent sur naves, et vient droit par la scala et se portent au port et cité d'Alexandrie.

De Saloniqui, qui est magnifique cité, et si est sur la rive de la mer dessus la Grétie, et si l'eurent lez Vénissians de l'Empereur, et depuis celle occupation de la guerre du duc de Milan, Vénissians l'ont perdue, et est allé soubz lez Turs, lequel, avecque toute sa puissance et avecque la personne, combatist pour l'avoir; de laquel cité tousjours s'en tiret plomp, cire, miel, et si le mandet par navilz en Candie et delà au port et cité d'Alexandrie.

La cité de Gaffa est de Genevois, et si est voisine et circondée du pays payens, comme de Tartres de Cercassi et de Rossi et d'aultres nations poyens. Jusques à celles pars le souldain du Cayre mande ses facteurs et fait achatter esclaves; lezquelx n'ont nésune aultre voye de monter en mer, senon que en la cité de Gaffa; * et quant

Arrivet pour arrivent.

2 Marters, martres.

Vars, vaires, fourrure dont le nom est resté dans le blason.

* Cuirame; il doit être question de cuir préparé pour les cordonniers.

Trapexonda, Trébisonde.

Rami, cuivre. Piatines, plus bas platines.

Gaffa, Caffa, en Tauride, située à l'endroit où finissent les montagnes; ancienne Theodosia, qui, sous les Génois, était parvenue à une telle prospérité, qu'on l'appelait le Petit Constantinople; c'était le débouché de toutes les marchandises de la Tartarie d'alors, c'est-à-dire de la Russie orientale et méridionale d'aujourd'hui. Mahomet II, maître du Bosphore, la conquit en 1475. Sous les Tartares, cette ville fut encore florissante, mais elle se dépeupla sous les Russes. Maltebrun, Précis de la géogn. univ., liv. CXXIV. Depping, Hist. du commerce entre le Levant et l'Europe, I, 137, 207, 208; II, 103, 226, 338.

8 Cercassi, Circassie.

"Rossi, Rassie ou Russie.

ilz viennent mennés audit lieu de ceulx ytels esclaves genevois; gouverneurs dudit lieu, font demander se ilz veullent estre crétiens ou poyens, et ceulx qui disent voloir estre crestiens les retiennent, et ceulx lezquelx respondent valoir estre poyen lessent aller, et demeurent en la liberté du facteur du souldain, lequel lez vient à charger sur naves de très-faulx et très-mavais crestiens, et lez apportent en Alexandrie ou vrayment à Damiata et de là au Cayre. Et se ne fust la nécessité que Genevois ont de la cité d'Alexandrie, ilz ne lasseroyent passer nésuns desdis esclaves.

De la Flandre fameuse et gentil s'en tirent draps de laine une très grant quantité et Commerce de Flandre. d'une très grant valeur; après s'en tirent ambre, estain, vers et beaucoup d'autres marchandises par menus, lezquelles marchandises se chargent sur naves et sur galées

et viennent de pors en pors, infin au port et cité d'Alexandrie.

De Sibilia 1, si s'en tiret olio en jarres, une très grant quantité; et plus s'en soloit tirer au temps passé qu'i ne se fait au présent : ancores s'en tiret vermeillons, verdegris, asur, argent vifz, et tout ytelles marchandises et avecques naves se portet au port et cité d'Alexandrie.

De l'isole de Maiorque s'en tire olio en jares, et labourages de pierres, et grans pos de pierre, et si se vent de xij à xv ducas le pitier 2 plain; laquelle marchandisez se portent avecques naves au pors et cité d'Alexandrie.

De l'isole de Cicilia s'en tire mellaci 3, qui sont colladure de sucre, et si la mettet en petis vaseaulx comme carteles : en après s'en tire fromage et beure, et toutes ytelles marchandises se charge sur nave, et si se portent en Alexandrie.

De Cathelogne et de Barselonne s'en tire moult de marchandise, premièrement, draps de laine de trois manières : barsolonois, cathelanois et perpignan; coral à grant quantité, en casses, et pour très-grant valeur; miel de trois sortes: minchinese, cantara et catalanois; cebibo, amandels, noisettes, coffolo, herbe de bamo; et toutes telles marchandises se portet en Alexandrie avecques lez leurs naves et galées. Et quant le souldain a guerre contre Cathalains, il fa faire ung commandement par son pays que nésune personne ne soit si hardie qu'il ose porter marchandise de Cathalains en son

'Sibilia, plus loin Sébile, Seville. Lannoy appelle aussi cette ville Sebile et Sibile.

2 Pitier, mesure de capacité.

3 Mellaci, mélasse.

4 Fa faire, fait faire.

* Fol. 40 ro.

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