Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Notre fable n'a point pris naissance dans le midi de la France.

bois, mis en mouvement par la magie, et se fit passer pour le dieu Vischnou 1.

Voilà la seule ressemblance que nous trouvions entre les fictions de l'Inde et notre légende, ressemblance trop éloignée pour que nous en tenions compte.

Cette fable n'est pas née non plus dans le midi de la France, parmi les troubadours.

Elle est antérieure aux troubadours, qui ne paraissent pas y avoir prêté attention. Wolfram d'Eschenbach déclare avoir traduit le Parcival et le Titurel du poëte provençal Guiot. Supposé que cette déclaration ne ressemble pas à tant d'autres dont nous avons donné des exemples 2, et que Guiot soit un personnage véritable, nous ignorons, en l'absence du texte roman, si les passages relatifs au Lohengrin de Brabant n'ont pas été ajoutés à l'original par le traducteur ou l'imitateur. Mais admettons que Guiot et Bechada aient consacré dans leurs vers le nom du Chevalier au Cygne, cette fable due à des inspirations étrangères, n'ayant rien de local et ne se rattachant à aucun souvenir du pays, aura passé avec eux; car les poëtes de la langue d'Oc, qui font des allusions fréquentes à toutes les grandes chansons de geste, à tous les sujets héroïques, se taisent sur celui-ci 3. Il est même constant que dans la majeure partie de la France, il n'obtint jamais les honneurs de la popularité. Le Fabliau des deux troveors ribauz 4, répertoire presque complet de la littérature romanesque du moyen âge, garde un silence absolu sur le Chevalier au Cygne.

Toutefois, pour ne rien omettre, je ferai remarquer que le manuscrit de la bibliothèque du roi, à Paris, côté n° 7192, offre ces deux vers au début :

1 Essai sur les fables indiennes. Paris, 1838, in-8°.

2 Introduction au 2e vol. de Ph. Mouskés, p. ccxxxvI.

5 Raynouard, Choix de poésies orig. des troubadours, t. II, pp. 282 et suiv.

* Publié par Robert et réimprimé par M. Achille Jubinal, dans son édition des OEuvres de Rutebeuf, 1, 331-341.

Car elle est en escrit, c'est cele véritable,
En escrit le fist (mettre) la bonne dame Orable,
Qui moult fut preus et sage, cortoise et aimable,
Dedens les murs d'Orenge, la fort cité durable.

Quel est cet Orable d'Orange pour laquelle écrit un trouvère Picard?

Dame Orable d'Orange.

des Pays-Bas.

Lucius de Tongres.

Il n'en est pas ainsi, sous le rapport de la célébrité, des bords du cette fableest originaire Rhin, ni surtout de la Belgique, dont cette légende retrace et les lieux et les mœurs, en s'alliant à son histoire. Une analyse approfondie rendra cette thèse incontestable, mais laissera à l'état d'hypothèse et de conjecture très-hasardée l'opinion de ceux qui, à l'exemple de Palgrave et de W.-J. Thoms 1, soupçonnent que la fiction du Chevalier au Cygne Annales tongriennes. dérive en droite ligne des annales des Tongrois, dont s'autorise si souvent Jacques de Guyse 2. Si ces annales, rédigées par Lucius de Tongres vers le XIVe siècle et par Rethmoldus, mentionnaient le Chevalier au Cygne, il est surprenant que Jacques de Guyse, attentif à recueillir tout се que leurs narrations offraient de merveilleux, ait omis celle-ci, car il ne dit mot d'Hélyas, du bon Gérard Swan, ni de Lohengrin, bien que Goerres, suivant sa facile méthode, le cite à ce sujet; le bon marquis de Fortia, qui ne nous a rien dérobé du moine de Valenciennes, n'aurait eu garde d'omettre le passage relatif à Hélyas, s'il l'avait trouvé. Il est vrai que J.-B. Devaddere nous dit que Lucius a parlé de Salvius Brabo, mais cette mention manque certainement parmi les fragments réunis par De Guyse; et, même en ne consultant que l'ordre et l'enchaînement de ce

1 Will. S. Thoms, A Collection of early prose romans. London, W. Pickering, 1838, 3 vol. in-12, t. III, préf.

2 C'est probablement d'après Gorres que M. Francisque Michel affirme qu'une des anciennes formes sous lesquelles cette saga existe, se trouve dans la CHRON. DE TONGRES, par maître de Guyse, dont une grande partie fut ensuite incorporée dans la MER DES HIST. Collection de docum. inéd. sur l'hist. de France. Rapp. aux Ministres, Paris, 1839, in-4o, p. 99.

3 Traité de l'orig. des ducs et du duché de Brabant, Bruxelles, 1672, in-4°, p. 6. Ce passage de Devaddere est transcrit dans le courant de cette dissertation. Il l'est avec d'autres où Devaddere attribue à Nicolas De Klerk une opinion puérile qu'on ne rencontre point dans sa chronique; qu'il se pourrait que Devaddere se fut aussi trompé à l'égard de Lucius.

Rethmoldus.

qui est connu, elle ne semble pas appartenir logiquement à la partie ignorée.

Il faut remarquer, en outre, que de toutes manières, Lucius n'aurait pu le premier mettre en circulation la fable du cygne, connue avant lui. Lucius cite Rethmoldus; mais qui sait si celui-ci lui avait fourni cette narration, et à quelle époque précise il écrivait? On ne saurait se payer de simples conjectures; en concluant que cette fiction est originaire des Pays-Bas, ou de la Germanie inférieure, opinion à laquelle l'autorité même de Lucius de Tongres serait favorable, nous rappellerons que cette contrée a vu naître également deux légendes touchantes qui ont avec la nôtre un rapport frappant, et qui nous retracent de même l'inGeneviève de Brabant, nocence calomniée dans Geneviève de Brabant 1, et dans Berthe aux grands pieds.

Berthe aux grands

pieds.

Blancheneige.

Métamorphoses subies par la saga du Cygne; classification de ses différentes versions.

Le conte de Blancheneige, rapporté par les frères Grimm, nous offre aussi une marâtre qui, jalouse de sa bru, charge un de ses veneurs d'emmener l'enfant dans une forêt et de l'y tuer. Mais le chasseur, attendri par les prières de la jeune victime, lui fait grâce de la vie, et la laisse seule dans les bois. Elle en sort pour épouser un fils de roi, et la marâtre reçoit sa juste punition 2.

Voyons les principales métamorphoses subies par cette saga.

Ses versions diverses peuvent se diviser en cinq classes: 1° celles qui en présentent les faits essentiels d'une manière générale; 2° celles qui se rapportent au chevalier Hélie ou Hélyas; 3° celles qui aboutissent à Lohengrin et à Salvius Brabon; 4° celles enfin qui sont d'un genre mixte et participent de ces diverses sagas.

1 Mich. Hoyeri Historiae tragicæ, sacr. et prof. Bruxellis, 1652, in-12, p. 47, cité, d'après nos notes, par M. Le Roux de Lincy. Nouv. bibl. bleue ou Lég. popul. de la France, par Ch. Nodier et Le Roux de Lincy. Paris, 1843, in-18. Geneviève de Brabant, introd., pp. xxxii-xxxvIII, 191-247. H. Leo, Ueber Beowulf. Halle, 1839, in-8°, p. 21.

2 Contes de la famille, par les frères Grimm, trad. de l'allemand, par N. Martin et Pitre Chevalier. Paris, 1845, in-18, pp. 15-30.

Dans la première classe, nous plaçons le récit du Dolopathos, qu'on Le Dolopathos. peut lire dans nos appendices avec une espèce de traduction alle

vers.

mande en prose, que M. Moriz Haupt a publiée d'après un manuscrit Rédaction allemande en de la bibliothèque de Saint-Paul, à Leipzig, no 89 (Feller, 292). Les personnages n'y sont pas nommés, les idées chrétiennes ont disparu, et l'ermite qui élève le Chevalier au Cygne et ses frères est remplacé par un sage, un philosophe solitaire; la pieuse princesse Béatrix, par une fée. Hélie ou Hélyas est le héros du poëme que nous publions, ainsi que de celui de Renaut et de Gandor de Douai; il l'est également des récits fabuleux transmis par Olivier de la Marche et par les historiens de olivier de la Marche. Clèves 1, et dont voici l'abrégé 2.

En l'année 711, sous le règne de l'empereur Justinien II, Childe

bert étant roi de France, et Pépin de Herstal duc de Brabant (?) vivait La légende de Clèves. Béatrix, fille unique de Dieterich, duc de Clèves; son père en mourant lui avait laissé pour héritage le pays de Clèves avec d'autres contrées.

Un jour qu'elle était au château de Nimègue (une autre tradition place la scène à Megen; la chronique de Brogne, à Mayence), elle aperçut un beau cygne qui descendait le fleuve; il avait au cou une chaîne d'or et traînait une nacelle dans laquelle était assis un jeune chevalier, d'une figure imposante. Cet étranger n'avait pour tout équipage qu'une épée, un cor et un anneau; mais sa mine était si séduisante, et il promettait d'ailleurs avec tant d'assurance de protéger les domaines de Béatrix et d'en chasser ses ennemis, qu'il subjugua cette princesse et devint son époux. En s'unissant à elle, il lui imposa la loi de ne jamais l'interroger sur son origine. La curiosité l'emporta cependant sur la tendresse et sur la foi des serments. Hélyas partit, et on ne le revit

1

Cf. Olivier de la Marche, Mémoires, liv. I, ch. 29; Abel, Samml. alter Chroniken; Braunschw., 1732, p. 54; les frères Grimm, Deutsche Sagen, t. II, p. 205; trad. franç. de M. Theil, t. II, p. 364; c'est ici que MM. Grimm citent Hélinand et Vincent de Beauvais, dans les écrits desquels, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, on ne trouve rien sur ce chapitre. 2 Voir aux Append., I, 8.

plus. Il s'était contenté de léguer à ses trois fils son épée, son cor et son anneau. Ses descendants furent les ducs de Clèves, les comtes de Looz, les comtes de Teisterbant et les landgraves de Hesse. Voici comment Gérard Vander Schueren, qui invoque aussi Hélinand, on l'a vu, déduit cette généalogie 1: on se souviendra que son Teutonista parut à Cologne en 1477 2.

DERICK I ou Thierri, seigneur du pays de Clèves, lequel portait d'or à la rose de gueules,
armes des Ursins, famille illustre de Rome, originaire de Troie.

BEATRIX, dame de Clèves et de Nimègue, épousa ÉLIAS, HÉLIAS OU HELYAS 3,

DERICK II, épousa une comtesse de Hainaut; il eut l'épée de son père et le comté de Clèves.

DERICK II, épousa une comtesse de Hainaut; il eut l'épée de son père et le comté de Clèves.

REYNOLD, troisième comte de Clèves, ép. une fille du comte d'Ardennes.

LOIFF, épousa une fille de Sigisbert, duc d'Aquitaine, maison d'où sont issus également les comtes de Hollande.

JEAN I, comte de Clèves, ép. une sœur de l'empereur Michel.

RUPERT épousa une fille du duc de Lorraine.

BAUDOUIN I', ép. une fille

de Philippe, prince de
Provence, etc.

le Chevalier au Cygne. GOBERT, hérita du cor merveilleux de son père et fut comte de Looz. Veldenaer l'appelle Godefroid.

CONRAEDT, obtint l'anneau, et fut landgrave de Hesse.

1 GERT'S VANDER Schueren Chronik von Cleve und Mark. Zum ersten Male herausgegeben und mit kurzen Anmerkungen versehen von Dr LUDEWIG TROSS. Hamm., 1824. In-8°, pp. 76-84. 2 Saxii Onomasticon, t. II, pp. 476-77. Foppens, 360.

3 Elias Gracilis était lieutenant ou gouverneur de la Belgique (Belgicae legatus) sous Néron. Il fit avorter le projet conçu par Lucius Vetus, de faire creuser, avec l'aide de ses soldats, un canal pour joindre la Saône à la Moselle, à force d'alarmer Vetus sur le danger de porter des légions dans une province qui n'était pas la sienne, et de paraître briguer l'affection des Gaulois, ce dont l'empereur prendrait de l'ombrage. Tacite, Ann., XIII, 53. Voy. plus haut, p. xш, note 1.

« VorigeDoorgaan »