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Or nous dist li estore et le va tiesmoignant 1.

Ly histore nous dist et nous va tiesmoignant 2.

[] en appelle aussi aux romans.

Che (ou ce) dient li romant 3.

Le poëme est divisé en couplets inégaux monorimes, forme adoptée Forme poétique. par les plus anciens trouvères, mais qui n'est pas à elle seule une preuve de haute antiquité, puisqu'elle est employée, entre autres, dans la chronique de Du Guesclin, composée au XIVe siècle, par le trouvère Cuvelier, et publiée en 1839, par M. E. Charrière.

Entrons dans le récit.

Le roi Piéron ou Piètre était roi de Lillefort, Insula-Fortis, une riche contrée, située vers la Saxe, dit le poëte, et limithrophe de la gent deffaée ou païenne.

La Saxe est cette Saxe inférieure qui, du temps de Mélis Stoke, c'està-dire au début du XIVe siècle, désignait le pays en deçà de Nimègue, depuis le lieu où la Meuse et le Rhin serpentent pour se jeter dans la mer > et de là jusqu'à l'Escaut :

Oude boeken horic ghewaghen
Dat al tlant beneden Nymaghen,
Wilen Neder Zassen hiet,

Also alst de stroem versciet

Van der Mazen ende van den Rine,

Die Scelt was dat Westende sine.

Die Nederzassen heeten nu Vriesen *.

Quant à la gent défaée, c'est sans doute la Prusse païenne, située un peu trop loin pour être réellement marchisante au royaume de Lillefort,

1 Vers 3470.

2 Vers 1887.

3 Vers 1891, 2285 et 3476.

B. Huydecoper, Rymkronyk van Melis Stoke. Leyden, 1772, in-4o, t. I, p. 9, et la note du commentateur sur le vers 43 du liv. premier.

Géographie roman

cière.

tel que nous le concevons, mais pourtant à une distance raisonnable. Jehan de Saintré (dont le roman est du XVe siècle) est requis par la Dame des Belles-Cousines d'aller en Prusse, contre les Sarrasins 1.

De sorte que le royaume de Lille-Fort ne représente pas mal la Flandre, et surtout cette partie où, suivant le livre populaire flamand, se trouvent Lille, Douai et Orchies, Landen Lilefoort hetwelk men zegt te wesen : Ryssel, Douway en Orchie, gelegen in Vlaanderen.

Cependant les distances géographiques ne sont pas observées avec beaucoup de scrupule, car, dans un endroit, il est dit que Lillefort était bien à deux cents lieues de la Hesbaie :

Bien y a ije lieues là où nous sommes né 2.

Mais ces erreurs sont communes aux romanciers, qui n'étaient ni des Santarem ni des Ritter. L'auteur de Partonopeus ne place-t-il pas les Ardennes au bord de la mer, et son héros ne veut-il pas y aller périr sous la dent des bêtes féroces?

Le trouvère a peut être désigné sa patrie.

Le texte latin d'Oxford 3 donne pour états au roi Piéron une île de la mer appelée Belefort, où fut trouvée l'histoire du Chevalier au Cygne, primitivement écrite en français. Les îles auxquelles les nations septentrionales attribuaient volontiers un caractère sacré, étaient particulièrement réputées pour être le séjour des magiciennes et le théâtre des enchantements et des prodiges 4.

Cependant, les auteurs du moyen âge n'attachaient pas toujours au mot île un sens très-rigoureux; ainsi l'édition de Mandeville, Lyon, 1480, est intitulée : Ce livre est appellé Mandeville.... et parle de terre de promission, c'est à savoir de Jérusalem et de plusieurs autres isles de la mer, etc.

Édit. Gueulette, de Paris, 1724, t. II, p. 400. Édit. de M. J. Marie Guichard. Paris, 1843, in-18, p. 174.

2 Vers 3264.

3 Append., I, no 5.

A. Maury, Les fées au moyen âge. Paris, 1843, in-12, p. 41, note.

Lillefort est aussi nommé dans le roman en prose de St-Gréal et Ypocras y bâtit un château 1.

Le roi Piéron épousa Matabrune qui tenait Orbendée 2. M. Buddingh Matabrune. cherche quelque analogie entre le nom de Matabrune et celui de Mat-ilo de la carte de Peutinger 3. N'est-ce pas aller un peu loin demander des analogies? Orbendée paraît un nom de la forme de ceux de Teister-band, Bra-band, etc., et pourrait bien être l'Ooster-band, ou Ostrevant, partie du Hainaut, ce qui répond assez aux conditions géographiques du sujet 4. Cependant, malgré la probabilité de cette conjecture, nous remarquerons que ce serait une vaine tentative que de vouloir toujours ramener à de véritables termes la géographie romancière. Les chansons de geste sont toutes remplies de pays et de villes qu'on ne saurait découvrir sur la carte ou qui jamais n'ont existé. Où est, par exemple, le Punturkois qui obéissait à ce Brandelichelein, vaincu par Gamuret dans le Parcival? Le même poëme nous offre un royaume de Sassamak (SassenMark?). Où sont situés ceux d'Yngulie et d'Amantiste dont parle le Lohengrin3, celui d'Agramore, dans Ferabras, la rivière Flagot qui passait sous le fameux pont de Martiples? Les poëmes du Chevalier au Cygne et de Bauduin de Sebourc n'ont-ils pas eux-mêmes Orbrie, Olifierne, etc. 6?

1 Édit. de Paris, Philippe Le Noir, 1523, in-fol. goth., fol. LXXVIII. Introd. au 2o vol. de Ph. Mouskés, p. XLV.

2 Rabelais, dans son burlesque enfer, fait de Matabrune une lavandière de buées. Introd. au 2e vol. de Philippe Mouskés, p. ccXXXIII.

3 Verhandeling over het Westland, p. 88.

4 Voyez entre autres la note sur le vers 829.

3 Voir les notes sur les vers 3148, 3191, etc., du Chevalier au Cygne :

6 Vers 3137:

Li ost nostre seigneur s'est briefment arroutté

Hors de Jhérusalem, la chité honnorée ;
Vers Orberie (Orbrie) s'en vont à bannière leivée.
Ne sai que la chanson vous en fust démenée,
Car tant ala li roup, o sa gent redoubtée,
Qu'il ont véut Orbrie qui estoit bien fremée.....

A le porte de Mièkes, qui fu et grande et lée,
Fu li rois Corbarans aveukes son armée.
XV portes i ot en le cité loée.....

(Bauduin de Sebourc, II, 272-73.)

Oriant et Béatrix.

Du mariage de Piéron et de Matabrune naît un fils Oriant (Oriaunt) 1. Ce prince, s'étant égaré à la chasse, rencontre une pucelle de grande beauté, qui était dame de la forêt où il avait pénétré. Dans plusieurs versions, cette pucelle est une fée 2, mais, dans notre poëme, sauf la donnée fondamentale, le merveilleux est aussi réduit que possible.

On était voisin de l'époque où Jacques Maerlant reprochait aigrement aux romanciers leurs mensonges:

Hier moetic den boerderes antworden
Die vraie historie vermorden

Met scoenre rime, met scoenre tale 5.

Frappé de ses attraits Oriant emmène Béatrix à Lillefort et veut l'épouser. Ce projet contrarie Matabrune, qui voulait donner à son fils la fille et le royaume du roi Morghant, mais Oriant n'écoute que sa

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Il y a un roi Orient dans Arthour and Merlin. Edimburgh, 1838, in-4o, p. 260.

2 Cornel. Kempensis, lib. III, De orig. et situ Frisiae, cap. 31 : « Erant passim in Frisia

>> multa larvarum infernalium spectra (circa tempora Lotharii imperatoris) : quae in parvo quodam supereminentis collis supercilio, subterraneum habebant specum absque humana » ope artificio praestigioso exstructum, in quo residebant; quas antiqui vocabant Albas NymLes Dames blanches de » phas, sive vulgari gentis sermone Witte Wywen. Harum speciem adumbratam, non veram

la Frise.

>> fuisse constat. Quae solebant nocturnos viatores gregumque et armentorum intentos excu>> biis, et puerperas cum infantibus saepissime in abdita sua et subterranea antra clanculum >> abducere: in quibus subinde subterranei murmuris sonus atque etiam vagitus infantium au» diti sunt et praeterea ingens fletus et gemitus hominum et quandoque musarum concentus et >> voces dubia aure colligebantur. Qua de causa magna fiebat custodia praegnantinm mulierum >> et parvulorum infantium, ne ab istis nymphis infernalibus clam abriperentur. Quae omnes >> daemonum illusiones, post agnitum sincerum Dei evangelium (erant enim tum Frisii Sabel» lii et Arii erroribus dementati) evanuerunt et in nihilum redactae sunt. Scripsit enim S. Odul>>phus contra ejusmodi illusiones daemonum chartam de Sancta Trinitate, quam per ecclesias >> et parochias Frisiae sacerdotibus misit, ut in populo frequenter publice legeretur. » Répété littéralement par M. Delrio, Disquis. magic., Col. Agr., 1633, in-4°, p. 977. Rapporté aussi par traduction dans Walter Scott, Ministrelsye of the Scottish barder, 2o édit.; Édimb., 1803, t. II, p. 188. Chants popul. de l'Écosse; Paris, 1826, in-8°, t. III, pp. 149-120.

3 J. De Klerk, édit. de M. Willems, t. I, p. 213. Hoe Jacob die boerdeerres verspreect.

4 Nous avons, à cette occasion, rapporté une étymologie celtique du nom de la fée Morgan;

passion et la noce est célébrée. Matabrune en conçoit un vif ressentiment; sa haine dure seize années entières.

Cette reine était vieille et méchante; son âme, comme dit le grand tragique anglais, n'était pas pétrie du lait des tendresses humaines. Dans ces sortes de peintures on associe volontiers l'âge et la cruauté, car il semble que les rides de la vieillesse rendent plus hideux ces défauts du cœur. Le texte latin donne cent ans à Matabrune et la représente comme une sorcière. Or, par un préjugé que le respect pour les cheveux blancs Sorcières. aurait dû détruire, et qui n'en subsiste pas moins parmi le peuple dans toute sa force, presque toujours les personnes suspectées de magie, sont enlaidies et courbées par le temps, et, dans certains villages, la plupart des vieilles mendiantes passent pour de vulgaires descendantes des Canidies et des Morgan. Qui n'a point dans la mémoire les terribles images tracées par Shakspeare:

Près d'un chêne enflammé devant moi se présentent
Trois femmes. Quel aspect! non, l'œil humain jamais
Ne vit d'airs plus affreux, de plus difformes traits.
Leur front sauvage et dur flétri par la vieillesse,
Exprimait par degrés leur féroce allégresse, etc.

(DUCIS, Macbeth, act. II, scèn. 6.)

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d'Herbelot le fait venir de Morgian, nom d'une fée ou enchanteresse dont il est fait souvent mention dans les romans orientaux. Bibl. orientale. La Haye, 1778, in-4o, t. II, p. 609.

TOM. I.

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