Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

en est admirable. Ils se plaisent même à admirer ce qu'ils n'entendent pas, et ils veulent que tout le monde l'admire avec eux. Ils tirent gloire des louanges qu'ils donnent à ces auteurs obscurs, parce qu'ils persuadent par là aux autres qu'ils les entendent parfaitement, et cela leur est un sujet de vanité; ils s'estiment au-dessus des autres hommes, à cause qu'ils croient entendre une impertinence d'un ancien auteur, ou d'un homme qui ne s'entendait pas lui-même. Combien de savants ont sué pour éclaircir des passages obscurs des philosophes et même de quelques poètes de l'antiquité! et combien y at-il encore de beaux esprits qui font leurs délices de la critique d'un mot et du sentiment d'un auteur !.... Ils se regardent aussi comme ne faisant avec eux qu'une seule personne; et dans cette vue l'amour-propre joue admirablement bien son jeu. Ils donnent adroitement des louanges avec profusion à leurs auteurs, ils les environnent de clarté et de lumière, ils les comblent de gloire, sachant bien que cette gloire rejaillira sur eux-mêmes. Cette idée de grandeur n'élève pas seulement Aristote ou Platon dans l'esprit de beaucoup de gens, elle imprime aussi du respect pour tous ceux qui les ont commentés; et tel n'aurait pas fait l'apothéose de son auteur,.s'il ne s'était imaginé comme enveloppé dans la même gloire... c'est aussi pour cela que presque toutes les préfaces ne sont point conformes à la vérité ni au bon sens. Si l'on commente Aristote, c'est le génie de la nature. Si l'on écrit sur Platon, c'est le divin Platon. On ne commente guère les ouvrages des hommes tout court; ce sont les ouvrages d'hommes tout divins, d'hommes qui ont été l'admiration de leur siècle, et qui ont reçu de Dieu des lumières toutes particulières. Il en est de même de la ma

tière que l'on traite : c'est toujours la plus belle, la plus relevée, celle qu'il est le plus nécessaire de savoir 1.

[ocr errors]

DE QUELQUES OUVRAGES ALLÉGORIQUES.

Le moyen âge a été fécond en poèmes, romans et autres ouvrages allégoriques. Le plus célèbre est le roman de la Rose, poème de vingt-deux mille vers, commencé par Guillaume de Lorris, mort vers 1240, et continué, ou, pour mieux dire, refait complétement quarante ans plus tard par Jean de Meung. En voici le résumé : L'auteur suppose que s'étant endormi un jour de printemps, il rêva qu'il se promenait dans une prairie au milieu de laquelle il vit un beau jardin entouré de murailles. La porte lui en fut ouverte par Oyseuse (l'Oisiveté), et il aperçut Déduit, le maître du jardin, dansant avec les Ris et les Jeux qui forment sa cour. Il se disposait à cueillir une rose demientr'ouverte sur un rosier placé au milieu du jardin, lorsque l'Amour, qui s'était mis en embuscade, lui décocha plusieurs flèches, et le força de se rendre prisonnier. L'Amour alors lui enseigna ce qu'il fallait faire pour plaire aux dames, et l'auteur, après avoir repoussé les conseils de Danger et de Raison, finit par cueillir la rose, objet de ses désirs. Bien que cette allégorie soit très-claire, cependant ce poème a été interprété de mille manières différentes. Les uns, comme Marot, voulurent

1 Recherche de la vérité, liv. II, de l'Imagination.

expliquer « la rose tant appétée de l'amant, par l'état de sapience lequel est justement à la rose conforme. »> D'autres y virent l'état de grâce, ou la glorieuse vierge Marie, ou la gloire d'éternelle béatitude. Les alchimistes crurent qu'il s'agissait du grand œuvre.

Le succès de cet ouvrage fut immense, malgré les attaques réitérées des prédicateurs, et en particulier de Jean Gerson; à la fin du seizième siècle il avait encore de nombreux admirateurs. « Guillaume de Lorris et Jean de Meung, dit Pasquier, lesquels quelques-uns des nostres ont voulu comparer à Dante, poète italien, moi, je les opposerois volontiers à tous les poètes d'Italic. » On y trouve en effet une grande verve, beaucoup d'imagination, de nombreuses satires et un style vif et agréable. La meilleure édition du roman de la Rose, que Marot avait rajeuni et défiguré, en 1526, est celle de Méon, 1814, 4 vol. in-8.

Voici l'abrégé d'un autre poème allégorique, le Songe d'Enfer, par Raoul de Houdan, qui commence ainsi :

«En songe doivent se trouver fables. Je rêvai un jour que je me faisais pèlerin, et que, jaloux de voir des pays que d'autres n'avaient pas connus, je voulais voyager en Enfer. » Le poète arrive d'abord à la ville de Convoitise, où il trouve Envie, Avarice et Rapine. Avarice lui demande des nouvelles de ses sujets; il répond que les riches ont chassé Largesse, dont on ne connaît plus que le nom. Rapine l'interroge sur les siens; il lui apprend que le royaume qu'elle a établi en Poitou est toujours florissant, et à ce propos il fait une sortie contre les Poitevins. Plus loin il rencontre la demeure de Filouterie, et celle-ci lui fait plusieurs questions sur certains bourgeois de Paris et de Chartres qui possédaient

le secret d'être toujours heureux au jeu. Le poète passe ensuite à Ville -Taverne, où il trouve Yvresse avec son fils, né en Angleterre. Ce jeune homme est si vigoureux, qu'il renverse les plus forts. De là Raoul arrive chez Fornication, et enfin à la porte d'Enfer, qui est gardée par Meurtre, Désespoir et Mort-Subite. Il est surpris en entrant d'y trouver des tables toutes servies, et cependant la porte ouverte; coutume bien étrangère en France, dit-il, où chacun maintenant s'enferme pour manger, et ne reçoit personne, à moins qu'il n'apporte.

Ce jour-là le roi d'Enfer tenait sa cour, et faisait la revue de ses sujets. Dans ce nombre étaient force cleres, évêques et abbés. Il fait asseoir tout le monde à sa table et y invite le voyageur, auquel il fait servir de la chair d'usurier et de moine noir, engraissés, l'un du bien d'autrui, l'autre de fainéantise. Comme le pèlerin reste sans manger, Belzébut cause avec lui et l'interroge sur les motifs de son voyage. Vers la fin du repas, le monarque se fait apporter son grand livre noir, sur lequel sont écrits tous les péchés passés et futurs. Il le met entre les mains du voyageur, qui l'ouvre, et tombant sur le chapitre des ménétriers, y trouve écrite la vie de chacun d'eux. Je l'ai retenue par cœur, dit-il, et puis vous en réciter quelques traits curieux. Mais à ce moment le pèlerin s'éveille et le conte finit avec le songe 1.

J. Meschinot, dit le Banni de Liesse, poète de la fin du quinzième siècle, composa un recueil de poésies intitulées Les Lunettes des Princes, 1473, in-4, gothique, Junettes spécialement destinées aux nez des papes,

Fabliaux ou contes du douzième et du treizième siècle, par Legrand d'Aussy, 1784, in-18, tome II, p. 475 et suiv.

des empereurs, des rois, etc.; aussi l'auteur assure-t-il :

« Que jamais l'œil ne vit telles besicles. >>

..... La Raison, le voyant désespéré d'avoir perdu sa fortune, lui présente un petit livret intitulé Conscience, puis des lunettes destinées à en faciliter la lecture et à le rendre profitable. Sur l'un des verres est écrit l'rudenc: ; sur l'autre, Justice; l'ivoire qui les enchâsse se nomme Force, et le fer qui les joint, Tempérance, etc.

Lalli, poète italien du seizième siècle, est l'auteur d'une épopée dans laquelle il décrit le mal français, et où des chevaliers vont à la recherche du bois de gayac.

Parmi les ouvrages allégoriques publiés à diverses époques, on trouve des livres de grammaire, de droit, des livres mystiques, des pamphlets, etc. Nous allons parler de ceux qui nous ont paru les plus singuliers.

Guarna, littérateur italien du quinzième siècle, est auteur de Grammaticæ opus novum mira quadam arte et compendiosa, seu bellum grammaticale. Après avoir décrit le royaume de Grammaire, gouverné par deux rois, le Nom et le Verbe, l'auteur raconte leurs débats pour la prééminence. La guerre éclate entre les deux rivaux, qui cherchent à augmenter leurs forces, l'un de l'Adjectif, l'autre du Participe. La victoire reste au Verbe, et le Nom lui envoie demander la paix, qui se conclut par l'intermédiaire de quelques grammairiens.

Hoppers, jurisconsulte hollandais, a publié : Seduardus, sive de vera jurisprudentia, Brunswick, 1656, in-4, en douze livres, dont quatre traitent de la législation, quatre du droit public, et quatre du droit civil. Cet ouvrage est une sorte de drame, qui se passe à bord d'un

« VorigeDoorgaan »