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France, d'Angleterre, de Normandie et de Picardie. Telle fut l'origine de l'université de Paris, fondée vers 1200.

Terminons par la description énergique que Jacques de Vitry, dans son Histoire des Croisades, a tracée de la corruption qui régnait dans les écoles de Paris:

« En ces jours mauvais et nébuleux, en ce temps plein de périls, la ville de Paris, enveloppée, comme toutes les autres villes, de toutes sortes de crimes, et souillée d'innombrables impuretés, marchait dans les ténèbres.... Elle corrompait, par ses pernicieux exemples, les hôtes nombreux qui affluaient, de toutes parts, vers elle.... Dans une seule et même maison, les écoles étaient en dessus, et les lieux de prostitution en dessous. Dans l'étage supérieur, les maîtres donnaient leurs leçons; dans l'étage inférieur, les femmes de mauvaise vie exerçaient leur infâme trafic. D'un côté, les courtisanes se querellaient entre elles ou avec leurs galants; de l'autre, les clercs disputaient et criaient à haute voix dans leurs contestations animées. Presque tous les écoliers de Paris, étrangers et nationaux, ne s'occupaient absolument qu'à apprendre ou à rechercher quelque chose de nouveau. Les uns apprenaient seulement pour savoir, ce qui est curiosité; les autres pour se faire connaître, ce qui est vanité; d'autres encore pour faire des profits, ce qui est cupidité et vice de simonie. Bien peu d'entre eux apprenaient pour être édifiés ou pour édifier. Ils se provoquaient les uns les autres, et se contredisaient entre eux, soit au sujet des diverses sectes, soit à l'occasion de quelque discussion. En outre la diversité des contrées excitait entre eux des dissensions, des haines, de violentes animosités, et ils se faisaient impudemment les uns aux autres toutes sortes d'affronts

et d'insultes. Ils affirmaient que les Anglais étaient buveurs et ridicules; les enfants de la France fiers, amollis et artistement parés comme des femmes; ils disaient que les Teutons étaient brutaux et obscènes dans leurs festins; les Normands vains et glorieux; les habitants du Poitou traîtres et toujours courtisans de la fortune. Ceux qui étaient originaires de la Bourgogne, ils les tenaient pour grossiers et insensés. Les Bretons étaient réputés légers et mobiles; les Lombards étaient appelés avares, méchants et incapables de faire la guerre; les Romains séditieux, violents et médisants; les Siciliens tyrans et cruels; les habitants du Brabant hommes de sang, incendiaires, brigands et ravisseurs; ceux de la Flandre légers, prodigues, adonnés à la gourmandise, mous comme le beurre, et lâches. A la suite de pareilles insultes, on en venait très-souvent aux coups 1. »

QUERELLES LITTÉRAIRES.

Un passage de Grégoire de Tours peut donner une idée des querelles littéraires entre les savants aux époques de barbarie :

«< Astériole et Secondin, dit le chroniqueur, avaient un grand crédit auprès du roi 2. Tous deux étaient

1 Jacques de Vitry, Histoire des Croisades, 1. II, c. 6, collection Guizot, tome XXII, p. 259 et suiv. -Jacques de Vitry est mort en 4244. 2 Théodebert Ier, qui régna de 534 à 548.

savants et profondément versés dans les lettres. Mais Secondin avait été plusieurs fois envoyé par le roi vers l'empereur, et il en avait pris un orgueil qu'il montrait souvent hors de propos. Cela fit qu'il s'éleva, entre lui et Astériole, un cruel différend, qui alla si loin, que, laissant de côté les argumentations verbales, ils se déchirèrent à belles mains. Le roi ayant pacifié les choses, Secondin n'en conserva pas moins une grande colère d'avoir été battu, de sorte qu'il s'éleva entre eux une nouvelle querelle, et le roi, prenant le parti de Secondin, lui soumit Astériole, qui, grandement abaissé et dépouillé de ses dignités, fut rétabli cependant dans ses honneurs par la reine Wisigarde. Après la mort de celle-ci, Secondin s'éleva de nouveau contre son rival et le tua. Astériole laissa en mourant un fils qui, grandissant et parvenu à l'âge d'homme, commença à vouloir venger l'injure de son père. Alors Secondin, saisi de frayeur, se mit à fuir devant lui de place en place, et, voyant qu'il ne pouvait éviter sa poursuite, on dit que, pour ne pas tomber entre les mains de son ennemi, il se donna la mort 1. >>

Nous tirons l'exemple suivant d'un historien du dixième siècle, le moine Richer, dont la Chronique a été publiée, pour la première fois, en 1839:

Le roi Louis IV d'Outre-mer avait deux médecins; l'un s'appelait Déroldus, et fut depuis évêque d'Amiens; l'autre, que Richer ne nomme pas, était né à Salerne. Tous deux entamèrent un jour une discussion qui dégénéra bientôt en querelle, et le Salernitain, furieux de n'avoir pas pu expliquer les noms grecs donnés à quelques branches de la médecine, résolut de s'en venger sur son ad

1 Grégoire de Tours, I. III, c. 33, collection Guizot, tome I, p. 147.

versaire. Un jour qu'il se trouvait avec lui à table chez le roi, il oignit de poison l'ongle de l'un de ses doigts, et le plongea dans la poivrade où tous deux trempaient leurs morceaux. A peine Déroldus eût-il goûté de cette sauce, qu'il se sentit malade, et reconnut qu'il était empoisonné. Mais, grâce à la thériaque dont il fit usage, il fut hors de danger au bout de trois jours. S'étant trouvé de nouveau à table avec son ennemi, il cacha du poison entre son index et son petit doigt, et le répandit sur les mets destinés à son confrère, qui, empoisonné à son tour, épuisa inutilement toute sa science pour se guérir; il se vit bientôt en danger de mort, et fut obligé d'implorer la pitié de Déroldus. Celui-ci, se laissant fléchir par les prières du roi, consentit à lui donner des soins, et le guérit, mais imparfaitement et à dessein, de telle sorte que le mal se rejeta sur l'un des pieds du Salernitain, qui fut obligé de subir une amputation 1.

Pendant le moyen âge, jusqu'à la renaissance des lettres, les querelles entre les savants ne furent guère que des querelles théologiques ou philosophiques. Mais à cette dernière époque, où la critique joua un si grand rôle, il était bien rare que la publication d'un ouvrage n'entraînât pas son auteur dans quelque longue et violente querelle.

Deux célèbres philologues, Philelphe et Timothée, s'étant pris de dispute sur la valeur d'une syllabe grecque, le premier paria cent écus que son opinion serait regardée comme la meilleure par les savants auxquels ils s'en rapporteraient. Timothée n'avait point d'argent à parier, mais il mit pour enjeu une chose bien plus précieuse dans le préjugé des Grecs, il paria sa barbe. La ques

Voy. Journal des Savants, 1840.

tion fut agitée devant une assemblée de savants dans la bibliothèque du roi de Naples, Alphonse. Timothée, se voyant condamné par les plus anciens manuscrits, voulut prévenir la perte de sa barbe par l'aveu de sa défaite; mais Philelphe fut inexorable; Timothée fut rasé, et sa barbe fut attachée comme un trophée à la chaire où il donnait ses leçons.

Le même Philelphe ayant été chassé de Florence lors de la rentrée de Côme de Médicis, fut poursuivi dans sa retraite par les injures de ses nombreux ennemis, et en particulier du Pogge, avec lequel il engagea une guerre de plume. Celui-ci, après l'avoir, dans une de ses satires en prose, appelé bouc puant, monstre cornu, boute-feu exécrable et écrasable, ajouta : « Si tu ne peux t'empê« cher de vomir des outrages, que n'en accables-tu ceux <«< qui courtisent ta femme et qui parent si dignement ta << tête impure?» Telles étaient les aménités que se disaient les savants de cette époque, et dont tôt ou tard ils avaient à se repentir. George de Trébisonde, secrétaire apostolique comme le Pogge, se lassa un jour des sarcasmes de ce dernier et y répondit par des soufflets. Une lutte à coups de pied et à coups de poing s'engagea entre eux, et il en résulta un duel qui n'eut aucune suite fâcheuse.

Des paroles, comme on le voit, on passait souvent aux coups. Le célèbre philologue français, Denis Lambin, se battit à coups de poing avec Manuce, pour l'orthographe du mot consumptus.· Murtola, après avoir essayé inutilement de se venger, par la Marinéide, de son ennemi Marini, qui l'avait couvert de ridicule dans la Murtoléide, recueil de sonnets fort piquants, lui tira un jour un coup de pistolet, et ne fit que blesser un ami de

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