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breux, et tout à la fin le séjour le plus ordinaire, on ne dira pas trop en comptant par milliards. Telle fut la fortune d'un repaire de serpents, de charognes et de grenouilles, uniquement choisi pour n'y pouvoir dépenser: tel fut le mauvais goût du roi en toutes choses, et ce plaisir superbe de forcer la nature, que ni la guerre la plus pesante, ni la dévotion, ne purent émousser.

De tels excès de puissance et si mal entendus faut-il passer à d'autres plus conformes à la nature, mais qui en leur genre furent bien plus funestes? Ce sont les amours du roi. Leur scandale a rempli l'Europe, a confondu la France, a ébranlé l'Etat et a sans doute attiré les malédictions sous le poids desquelles il s'est vu si près du précipice, et la postérité du roi à un filet de son extinction. Ce sont des maux qui se sont tournés en fléaux de tout genre, et qui se feront sentir longtemps. Le prince, dans sa première jeunesse, plus fait pour les amours qu'aucun de ses sujets, lassé de voltiger et de cueillir des faveurs passagères, se fixa enfin à la Vallière; on en sait les progrès et les fruits. Touché ensuite de la beauté de madame de Montespan, que son mari, cent fois pressé par elle, n'en voulut pas sauver par une folle confiance, en fut enfin écouté, et la lui enleva avec cet épouvantable fracas qui retentit avec horreur chez toutes les nations chrétiennes, et donna au monde entier le spectacle de deux maîtresses à la fois. Il les promena aux frontières, aux camps, des moments aux armées, toutes deux dans le carrosse de la reine; et les peuples accourant de toutes parts se montroient les uns aux autres les trois reines et se demandoient tout haut avec simplicité s'ils les avoient vues. A la fin, madame de Montespan triompha et disposa de la cour et du maître avec un éclat sans voile aucun, et pour qu'il ne manquât rien à la licence publique de cette vie, elle eut la première charge de la maison de la reine, pour lui donner le tabouret sous ce prétexte, qu'elle ne pouvoit obtenir autrement par l'embarras d'un mari ; puis on vit sortir de son cloître éloigné la reine des abbesses, qui chargée de son voile et de ses vœux vint jouir de la gloire de cette Mionée (1), et être de tous les particuliers du roi les plus charmants par l'esprit et par les fêtes, avec ses deux sœurs madame de Thianges et madame de Montespan, et l'exquis trayé par elle de toutes les dames de la cour. Les grossesses, les couches, furent publiques. La cour de madame de Montespan devint le centre de la cour, des plaisirs, de la fortune, la terreur et l'es

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(1) Il y a Mionée dans le manuscrit dú Ministère des Affaires-Etrangères; mais c'est une faute, et il faut lire Niquée, comme dans l'édition des Mémoires de Saint-Simon, publiée par M. Chéruel, Niquée est, dit-il, une héroïne du roman alors célèbre de l'Amadis des Gaules.

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pérance des ministres et des généraux, et l'humiliation de toute la France; ce fut aussi le centre de l'esprit et d'un tour si particulier et si délicat, mais si naturel et toujours si agréable, qu'il se faisoit distinguer à son caractère unique : c'étoit celui des trois sœurs, qui toutes trois en avoient infiniment et qui avoient l'art d'en donner aux autres. On sent encore avec plaisir ce tour charmant et simple, dans ce qui reste de personnes qu'elles ont élevées chez elles et qu'elles s'étoient attachées, et entre mille autres on les distingueroit dans les conversations les plus communes.

Madame de Fontevrault étoit celle des trois qui en avoit le plus : c'étoit peut-être aussi la plus belle; elle y joignoit un savoir rare et fort étendu. Elle possédoit les langues savantes, savoit bien là théologie et les Pères, étoit versée dans l'Ecriture, excelloit en tout genre d'écrire, et parloit à enlever quand elle traitoit quelque matière. Elle avoit un don tout particulier pour le gouvernement et pour se faire adorer de tout son ordre, en le tenant toutefois dans la plus exacte régularité. La sienne étoit pareille dans son abbaye ses séjours à la cour, où elle ne sortoit pas de chez ses sœurs, né donnèrent d'atteinte à sa réputation que par l'étrange singularité de venir partager une faveur de cette nature, et si la bienséance eût pu y être en soi, il se pouvoit dire que dans cette cour même elle ne s'en seroit jamais écartée.

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Madame de Thianges dominoit les deux autres et le roi même, qu'elle amusoit plus que ses sœurs, et qu'elle domina tant qu'elle vécut, et conserva les plus grandes privances et des distinctions imiques, même après l'expulsion de madame de Montespan.

Celle-ci étoit méchante. Les courtisans évitoient de passer sous ses fenêtres ils disoient que c'étoit passer par les armes, et qu'elle n'épargnoit personne quand elle étoit avec le roi, très-souvent sans autre dessein que de se divertir; et comme elle avoit beaucoup d'esprit, de tour et de plaisanterie fine, rien n'étoit plus dangereux que les ridicules qu'elle donnoit mieux que persome. Avec cela elle aimoit sa maison et ses parents, et ne laissoit pas de bien servir les gens pour qui elle avoit pris de l'amitié. La reine supportoit avec peine sa hauteur avec elle, bien différente des ménagements continuels et des respects de la Vallière, qu'elle aima toujours. Madame de Montespan pendant la durée de cet amour, ne laissa pas d'avoir ses jalousies. Mademoiselle de Fontanges plut assez au roi pour devenir maîtresse en titre et pour avoir aussi sa cour; quelque étrange que fût ce doublet, il n'étoit pas nouveau : on l'avoit vu de mesdames de la Vallière et de Montespan, à qui celle-ci ne fit que prendre ce qu'elle avoit prêté à l'autre ; mais elle ne fut pas si heureuse, ni pour le vice et la fortune, ni pour la pénitence : sa beauté la soutint; mais són esprit u'y

répondoit en rien, et il en falloit au roi pour l'amuser et le tenir. Avec cela il n'eut pas le loisir de s'en dégoûter tout à fait une mort prompte, et qui ne laissa pas de surprendre, finit en bref ces nouvelles

amours.

D'autres succédèrent; presque tous ne furent que passades; un seul subsista longtemps: une infâme politique le souffrit pour le moins. La même politique en fit un mystère, qui, dans les suites, ne le demeura que de nom : le mystère le fit durer, et l'art de s'y conduire gagna les plus intéressées, et en bâtit la plus rapide et la plus prodigieuse fortune. Le même art la soutint toujours croissant, tourna l'amour en amitié et en considération la plus distinguée, et mit les enfants de cette belle (1) en situation de s'élever et de s'enrichir, eux et les leurs, de plus en plus après elle, toujours comme ses fils. Une autre tira toute sa vie un grand parti de la même conduite; mais ni la beauté, ni l'art, ni la position des deux maris de ces belles, ne permirent à cette dernière ni la durée, ni la continuité, ni rien de l'éclat où l'autre parvint et subsista jusqu'à sa mort. Cette autre n'avoit qu'à vouloir : quoique le commerce fût fini depuis extrêmement longtemps, et que les ménagements extérieurs fussent extrêmes, on connoissoit à la cour son pouvoir. Tout y étoit en respect devant elle: ministres, princes du sang, rien ne résistoit à ses volontés. Ses billets alloient droit au roi, et les réponses du roi à elle, sans que personne s'en aperçût; et si très-rarement elle avoit à parler au roi, ce qu'elle évitoit tant qu'il lui étoit possible, mais toujours dès l'instant qu'elle le vouloit, c'étoit toujours à des heures publiques, et dans le premier cabinet du roi, tous deux assis dans le fond, les portes des deux côtés absolument ouvertes, affectation qui n'étoit que tandis qu'elle étoit avec le roi, et la pièce publique contigue à ce cabinet pleine de tout le courtisan; si quelquefois elle ne vouloit dire qu'un mot, c'étoit debout à la porte du cabinet. Elle fut belle jusqu'à la fin, et quoique vieux tous deux, il n'étoit pas difficile de démêler ce qu'ils avoient été l'un à l'autre, à l'air respectueux, gracieux, si distingué et si marqué, à un coin unique dont le roi alloit à elle, l'écoutoit, lui répondoit} et la congédioit. Du reste une fois en trois ans un court voyage de Marly; jamais aucuns particuliers avec le roi, même avec d'autres, l'unisson gardé soigneusement avec tout le reste de la cour; souvent à Versailles, souvent au souper du roi, qui prenoit garde à ne la distinguer jamais dans ce courant d'avec les autres dames. Le mari, presque jamais à la cour, vivoit obscur à Paris, tout occupé de ses affaires, qu'il entendoit parfaitement, et s'applaudissoit de son bon sens, qui, de concert avec les charmes de sa femme, l'avoit porté à

(1) Madame de Soubise. (Note de Saint-Simon.)

tant de richesses, d'établissements et de grandeurs, sous des rideaux qui demeurèrent rideaux, mais qui ne furent rien moins qu'impénétrables.

Il ne faut pas oublier la belle Ludre, fille d'honneur de Madame, qui fut aimée un moment à découvert; mais cet éclat passa avec la rapidité d'un éclair, et l'amour de madame de Montespan demeura le triomphant.

Il faut passer à un autre genre d'amour, qui n'étonna pas moins toutes les nations que celui-ci les a scandalisées et que le roi emporta tout entier au tombeau. A ce peu de mots qui ne reconnoîtroit la célèbre Maintenon, dont le règne permanent n'a pas duré moins de trente-deux ans. Née dans les îles de l'Amérique, où son père, peutêtre gentilhomme, et sa mère, étoient allés chercher du pain, et que l'obscurité a étouffés, revenue au hasard en France, abordée à la Rochelle, recueillie par pitié chez madame de Neuillant, mère de madame de Navailles, réduite par sa pauvreté et par l'avarice de cette vieille à mesurer et à donner l'avoine à ses chevaux, venue à sa suite à Paris, belle, jeune, spirituelle, adroite, sans pain et sans parents, d'heureux hasards la firent connoître au fameux. Scarron. Il la trouva aimable, ses amis peut-être encore plus; elle crut faire la plus grande fortune et la plus inespérable d'épouser ce joyeux et savant cul-de-jatte, et des gens qui avoient peut-être plus besoin de femme que lui s'entêtèrent de faire ce mariage, et vinrent à bout de lui persuader de tirer par là de la misère cette charmante malheureuse. Le mariage fut fait; la nouvelle épouse plut à toutes les compagnies qui alloient chez Scarron, qui la voyoit fort bonne, qui n'étoit guère en état de l'aller chercher hors de chez lui, et que son esprit, sa gaieté inconcevable et toujours nouvelle, et cette rare fécondité qu'on admire dans ses ouvrages, autant que l'imagination et la plaisanterie du bon goût, attiroit continuellement chez lui. Madame Scarron fit donc là des connoissances de toutes les sortes, qui pourtant à la mort de son mari ne l'empêchèrent pas d'être réduite à la charité de sa paroisse. Elle prit une chambre dans une montée pour elle et pour une servante, où elle vivoit très à l'étroit; ses appas élargirent quelquefois ce mal-être, et peu à peu on l'entretint: Villars, père du maréchal; Beuvron, père d'Harcourt; les Villarceaux, qui demeurèrent les trois tenants, et bien d'autres. Cela la remit à flot et l'introduisit à l'hôtel d'Albret, à l'hôtel de Richelieu, et ailleurs: ainsi, de l'une à l'autre dans ces maisons, elle étoit à tout faire, et point du tout sur le pied de compagnie; trop heureuse d'être bonne, tantôt à demander du bois, tantôt si on serviroit bientôt, une autre fois si le carrosse de celui-ci et de celle-là étoient revenus, et ainsi de mille petites commissions, dont l'usage des sonnettes qu'on tire pour appeler a ôté l'importunité.

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C'est dans ces maisons, et principalement à l'hôtel de Richelieu et plus encore chez le maréchal d'Albret, qui tenoit un grand état, où elle fit la plupart de ses connoissances, dont quelques-unes lui servirent beaucoup, ou devinrent très-utiles aux personnes qui l'avoient faite avec elle. Les enfants de Villars et de Beuvron, la sœur de ce dernier, le fils de Villarceaux, la princesse d'Harcourt, fille de Brancas, M. et madame de Richelieu eux-mêmes, les nièces du maréchal d'Albret et nombre d'autres se sentirent grandement de ces premiers temps, dont quelques-uns qu'on vient de nommer leur durent la plus grande fortune. Elle dut la sienne à la parenté du maréchal d'Albret et de madame de Montespan, qui étoient enfants du frère et de la soeur. Ce dernier étoit souvent chez le maréchal, et sa femme avec lui. Les respects, les soins de plaire, l'esprit et les agréments de madame Scarron réussirent fort auprès de madame de Montespan; elle prit de l'amitié pour elle, et quand elle eut ses premiers enfants du roi, M. du Maine et madame la Duchesse qu'on voulut cacher, elle proposa

roi de les confier à madame Scarron, à qui on donna de quoi les loger avec elle et les entretenir dans le dernier secret. Dans les suites ces enfants furent amenés à madame de Montespan, puis montrés'au roi et peu à peu tirés du secret. La gouvernante plut de plus en plus à madame de Montespan lorsqu'elle fut tout à fait fixée à la cour avec eux, elle lui fit donner par le roi à diverses reprises; mais le roi ne pouvoit la souffrir, et ce n'étoit que par excès de complaisance qu'il lui donnoit quelquefois à regret et toujours fort peu. Cependant la terre de Main

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tenon étant tombée en vente, la proximité de Versaille

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bien madame de Montespan pour elle, qu'elle ne donna pas de repos au roi qu'il ne lui donnât de quoi l'acheter, puis d'en raccommoder la maison. Quelque temps après elle attaqua encore le roi pour obtenir de quoi rajuster le jardin, que MM. d'Angennes avoient fort abandonné. C'étoit à sa toilette, où le capitaine des gardes en +1 quartier suivoit le roi, et c'étoit le maréchal de Lorges qui l'entendit et l'a souvent raconté depuis. Le roi fit la sourde oreille, puis refusa, enfin importuné se facha, dit qu'il n'avoit déjà que trop fait pour cette créature, qu'il ne comprenoit pas la fantaisie de madame de Montespan pour elle et son opiniâtreté à la garder, après tant de fois qu'il l'avoit priée de s'en défaire; qu'il avouoit pour lui qu'elle lui étoit insupportable et que, pourvu qu'on lui promft qu'il ne la verroit plus ét qu'on ne lui en parleroit jamais, il donneroit encore, quoique, pour en dire la vérité, il n'eût déjà que beaucoup trop donné pour une créature de cette espèce. Madame de Montespan se tint bien court et bien en peine d'avoir trop pressé. Les lettres que cette gouvernante écrivit pendant les divers voyages qu'on fit faire aux eaux et chez des artistes fameux à M. du Maine, pour tâcher à le guérir d'être fort boiteux par la chute,

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