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la réduction de Majorque, mais il n'a que l'expectative parce qu'il n'y a point de place vacante.

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Ducasse, flibustier dans ses premières années et fils et frère de charcutiers, puis de vendeurs de jambons à Bayonne, Bay, fils d'un cabaretier de Besançon, Asfeld, fils d'un marchand d'étoffes d'or à Paris, déshonorèrent la Toison par leur naissance, et l'honorèrent par leur mérite; tous trois ont commandé souvent en chef. Ducasse rendit de signalés services à la mer et en Amérique; Asfeld est parvenu par les meilleures voies au bâton de maréchal de France. Son frère aîné l'eût été de la promotion du maréchal de Villeroy, s'il eût vécu; c'étoit un homme du mérite le plus distingué et le plus reconnu, fort bien avec M. de Louvois et fort connu et goûté du roi, qui le regretta fort. Il avoit merveilleusement défendu Bonn; il mourut de ses blessures aussitôt après avoir été pris, et reçut de l'armée qui en fit le siége les honneurs les moins accoutumés.

Mardi 6, à Marly. - Le roi tint le conseil de finances et travailla ensuite avec M. Desmaretz, et aussitôt après son dîner il donna audience dans son cabinet à madame la princesse des Ursins, qui prit congé de lui. Elle demeura trois quarts d'heure avec le roi, et puis passa chez madame de Maintenon, où elle fut beaucoup plus longtemps*. Après l'audience de madame des Ursins, le roi tint le conseil de dépêches, et puis alla faire un tour dans ses jardins avant que d'entrer chez madame de Maintenon, où il travailla avec M. le chancelier. Le fils de M. le maréchal Rosen ** arriva d'Alsace; il apporta la nouvelle de la mort de M. son père, qui avoit quatrevingt-huit ans. Il étoit chevalier de l'ordre du SaintEsprit et grand'croix de l'ordre de Saint-Louis.

* Madame des Ursins, bien avertie de l'état du roi, se hâta de sortir de France avec une précipitation peu décente et qui montra toute la frayeur qu'elle eût de se trouver en la puissance de M. le duc d'Orléans, qu'elle avoit si cruellement offensé; elle le mesuroit à son aune et se trompoit entièrement. Jusqu'alors peu décidée sur le lieu de sa retraite, amusée par un reste d'amis et de connoissances et par ceux de son frère, chez qui elle logeoit, et qui en avoit beaucoup; occupée à retirer ses effets d'Espagne et à s'arranger dans ses affaires pour un si grand changement d'état, elle avoit coulé le temps dans l'incertitude;

mais la frayeur de perdre le roi, ou plutôt de se trouver entre les mains de M. le duc d'Orléans, ne lui laissa plus un instant à perdre. Elle fut encore si frappée du changement du roi à ce congé, depuis qu'elle l'avoit vu en arrivant d'Espagne, qu'elle se crut perdue, et hâta la rapidité de son départ et de sa course en poste jusqu'à Lyon, et si près des frontières elle prit haleine et se reposa, incertaine encore du lieu de sa retraite. Elle avoit abandonné le projet de la Hollande; la liberté lui en avoit donné la pensée; l'égalité et l'unisson d'une république l'en dégoûta. Elle ne pouvoit se résoudre de retourner à Rome; elle y avoit trop régné autrefois pour y retourner sans aucune figure, avec un visage fané, et dans la crainte encore d'y être mal reçue après ce qui s'étoit passé en Espagne de la nonciature fermée et d'autres démêlés entre les deux cours, la perte de mille gens de ses amis ou de sa connoissance, ou le déplaisir de trouver tout renouvelé depuis quinze ans d'absence, et y revenir en asile et en proscrite après avoir régné avec tant d'éclat. Turin n'étoit pas un théâtre digne d'elle; le roi de Sardaigne n'en avoit pas toujours été content, et de plus ils en savoient trop tous deux l'un pour l'autre. Elle coula ainsi le temps avec le pied à l'étrier, et se tenant aux écoutes de la maladie du roi; mais dès qu'elle en apprit l'extrémité, elle s'enfuit de nouveau avec la même précipitation et la même vitesse, et se jeta dans Chambéry comme au plus sûr et au plus près pour ce moment, où elle arriva comme hors d'haleine. Cet asile fut sa première station, où elle se donna tout le temps de se choisir une demeure fixe et de s'arranger pour s'y établir. Tout bien consulté elle se fixa à Gênes; la liberté lui en plut; le commerce d'une riche et nombreuse noblesse, la beauté du lieu et du climat, une espèce de milieu entre Paris, Madrid et Rome : tout cela la détermina. Elle avoit toujours ses commerces dans ces trois capitales; elle étoit affamée de tout ce qui passoit, et le renversement de tant de réalités si grandes et de tant de desseins plus grands encore, n'avoit pu venir à bout de ses espérances ni beaucoup moins de ses désirs. Elle passa donc enfin à Gênes, où elle fut fort bien reçue, et espéra d'y fixer ses tabernacles; elle y passa quelques années; mais l'ennui enfin la gagna, et peut-être encore plus le dépit de n'y être pas assez comptée. Elle ne pouvoit vivre sans se mêler, et de quoi à la longue se mêler à Gênes, quand on est femme et vieille? Elle tourna donc enfin toutes ses pensées vers Rome; elle se réchauffa avec effort pour son frère le cardinal de la Trémoille; elle sonda la cour romaine; elle renoua d'anciens commerces, elle tâta le pavé partout; surtout elle fut attentive à s'assurer du traitement de tout ce qui tenoit à la France et à l'Espagne, et à la fin elle quitta Gênes et retourna dans son nid. Elle n'y fut pas longtemps sans s'attacher au roi et à la reine d'Angleterre, et ne s'y attacha pas longtemps sans les gouverner et bientôt à découvert. Quelle triste res

source! Mais enfin c'étoit une idée de cour et un tumet d'affaires

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pour

qui ne pouvoit plus s'en passer. Elle passa ainsi le reste de sa vie dans une grande santé et dans une prodigieuse opulence qui n'étoit pas inutile aussi à cette déplorable petite cour. Du reste médiocrement considérée et nullement comptée à Rome, désertée de ce qui sentoit l'Espagne, médiocrement visitée de ce qui étoit françois, mais sans rien essuyer de la part du régent, bien payée de France et d'Espagne, et toujours occupée du monde, de ce qu'elle avoit été et de ce qu'elle n'étoit plus, mais sans bassesse et avec courage et grandeur. Le cardinal, son frère, qu'elle perdit en janvier 1720, ne laissa pas, sans amitié de part ni d'autre, de lui faire un vide. Elle le survécut trois ans, conserva toute sa santé, sa force et son esprit jusqu'à sa mort, et fut emportée à plus de quatre-vingts ans d'une fort courte maladie le 5 décembre 1722. La petite cour d'Angleterre la regretta fort, et d'ailleurs cette perte, qui auroit retenti quelques années auparavant sur toute l'Europe et qui auroit causé de si grands mouvements, ne fit pas alors le moindre bruit dans le monde. Elle y en a tant fait et en tant de façons, et y a été un personnage si singulier, si considérable, si unique toute sa vie, on a eu occasion de parler d'elle en tant d'occasions sur ces Mémoires, enfin elle est si parfaitement connue, qu'il seroit inutile de s'y étendre davantage. On ajoutera seulement qu'elle eut le plaisir, avant sa mort, de jouir de la disgrâce de ses deux ennemis, et de les voir arriver à Rome, tous deux chassés d'Espagne, les cardinaux del Giudice et Albéroni, et précipités, surtout le dernier, du faîte de la grandeur et de la puis

sance.

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** On fait connaître Rose lors de sa promotion à l'office de maréchal de France. Il ne commanda jamais d'armée en chef, mais des ailes, mais la cavalerie, mais quelques gros corps détachés pour peu de temps. Ils'en acquittoit avec capacité, mais elle n'alloit pas au delà, et il étoit sujet à s'emporter et à perdre la tramontane dans le commandement, et pour cela même évité des officiers généraux qui servoient sous lui; du reste galant homme et bon homme, généreux au possible. Il reprochoit à son fils de trop bien parler françois, et lui-même se gardoit bien de tomber dans cette faute. Le roi se plaisoit à avoir des étrangers à son service et à les avancer; Rose vouloit que toutes ses paroles fissent souvenir qu'il l'étoit. Il finit sa vie d'une manière également utile et honorable; il se retira après la paix de Ryswick dans une de ses terres en Alsace, dont le château et les jardins étoient beaux, et qu'il avoit fort accommodés. Il étoit veuf et avoit marié son fils à une Gramont de Franche-Comté, qui se trouva une femme entendue, d'esprit, de vertu et d'un vrai mérite qui suppléa à celui de son mari. qui devint pourtant lieutenant général. Le maréchal aimoit fort sa belle-fille, qui gouvernoit la maison et qui y avoit toujours bonne compagnie. Il avoit

marié sa fille à Rottembourg, dont le fils mourut en 1735 portant l'ordre du Saint-Esprit depuis deux ans, dont sa santé ne lui permit pas de recevoir le collier, et dont la capacité dans les négociations du Nord et dans ses ambassades en Espagne devint une perte considérable pour l'État. Le maréchal vivoit dans sa famille, à qui il avoit tout abandonné ; sa belle-fille le mit peu à peu dans le bien. Il trouva que son âge ne convenoit guère à la vie qu'il menoit dans ce château, où sa considération et l'accueil de sa belle-fille attiroient beaucoup de monde. Il se bâtit un pavillon. au bout du parc; il s'y retira avec un trèscourt nécessaire pour l'y servir, et venoit quelquefois au château en visite. Là, il ne s'occupa plus que de son salut sans y recevoir personne, et venoit une fois l'an passer huit ou douze jours à Paris ou à la cour, où le roi le traitoit toujours avec bonté et distinction, et on s'empressoit de lui témoigner de l'estime. Jamais ses voyages n'étoient plus longs. Il passa ainsi quelques années dans une santé parfaite de corps et d'esprit, se préparant soigneusement à une meilleure vie où il entra par une courte maladie, content de sa vie, de sa fortune, de sa retraite, de sa famille, de sa considération jusqu'au bout, et ayant grand sujet de l'être.

Mercredi 7, à Marly. Le roi tint le conseil d'État, dina chez madame de Maintenon, se promena toute l'après-dinée dans ses jardins et vit poser de fort belles statues qu'on lui a envoyées de Rome; elles sont dans le bosquet à côté du petit mail. Le soir il y eut grande musique chez madame de Maintenon. Madame la duchesse de Berry alla à la roulette, mais comme on n'avoit point commandé de chevaux pour la monter, elle se servit des soldats du régiment du roi qui se promenoient dans les jardins, et elle leur donna libéralement pour leur peine. Il y a encore un bataillon de ce régiment campé, qui suivra demain les trois autres qui sont déjà partis.

Remplacement fait par le roi dans la marine le 5 août 1715.

Le cordon rouge de M. Ducasse à M. le marquis de Coëtlogon; celui de M. de Coëtlogon à M. de la Harteloire, lieutenant général. M. d'Aligre, chef d'escadre, a été fait lieutenant général.

Chefs d'escadre nouveaux (1).

MM. Duquesne-Monier,

Des Nos,

Duguay-Trouin,
De Court.

Comte de la Luzerne,

Jeudi 8, à Marly. · - Le roi, après la messe, fit entrer le maréchal d'Huxelles dans son cabinet, et lui donna ordre de partir incessamment pour s'en aller en Alsace. La mutinerie des troupes à Strasbourg sur le pain de munition s'est communiquée dans les autres places de cette province; on a envoyé ordre en même temps à M. de la Houssaye, intendant d'Alsace, qui est à Paris, de partir pour s'en aller à son intendance. Le roi, après son dîner, donna audience dans son cabinet à M. le premier président et au procureur général; M. le chancelier les mena dans le cabinet du roi et y demeura avec eux. Il s'agit d'une déclaration du roi sur les affaires de la Constitution, et le parlement fait quelques représentations sur cette déclaration. - Le duc d'Ormond arriva hier à Paris et s'est sauvé d'Angleterre sur un fort petit bâtiment; les ordres étoient donnés pour l'arrêter, et sa maison de Richemond, où il étoit, étoit déjà investie.

Vendredi 9, à Marly. Le roi travailla le matin avec le P. le Tellier et courut le cerf l'après-dînée, menant toujours sa calèche; mais il paroît qu'il en est un peu fatigué. Le soir il y eut grande musique chez madame de Maintenon. La cour prendra dimanche à Versailles le deuil pour la mort du prince François de Lorraine, et le roi le portera douze ou quinze jours. Le roi a envoyé ordre au maréchal d'Huxelles, qui étoit allé hier à Paris, pour en partir ce soir ou demain, de demeurer; on a envoyé le même ordre à M. de la Houssaye, parce

(1) Ces noms ne se trouvent pas dans le manuscrit de Dangeau; nous les donnons d'après la Gazette de 1715.

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